«Nous sommes assez mal placés pour les juger...»
«Nous sommes assez mal placés pour les juger...»
«Moi, tout ce qui se dit dans la presse, je n'y prête pas trop attention... Ok, on est dans un pays où il y a des restrictions, mais on vient pour la Coupe du monde, on vient pour les matches, on ne vient pas pour boire de l'alcool et faire la fête tous les soirs...» Cette déclaration n'est pas de Gianni Infantino, le président de la FIFA, mais de l'un des 886 supporters du «plat pays» présents au Qatar.
Frontalier belge, dont la société ATA-Vision se trouve à Bascharage, Thomas Malpas n'est pas un fanatique. Natif de Liège, il ne se rend qu'à de rares occasions à Sclessin, l'antre du Standard. «Le football, confie cet ancien attaquant passé par Bleid et Virton, je préfère y jouer que de le regarder.» Mais alors, pourquoi diable (rouge) s'est-il donc mis en tête de rejoindre Doha?
C'est moins couteux de faire la navette - c'est-à-dire de prendre l'avion durant 55 minutes - pour Doha, que d'y loger...
Jean-Pol Schumacker
«Une Coupe du monde ne se résume pas qu'aux matches. C'est toute une ambiance, mais c'est aussi l'occasion de rencontrer des gens de tous les horizons, de découvrir des pays dans lesquels je n'aurais jamais mis les pieds. Comme par exemple la Russie...» Ah, voilà, on y est! Pour comprendre les raisons de la présence de Thomas Malpas à Doha, il faut remonter quatre ans en arrière.
Ce 2 juillet 2018, la Belgique renverse le Japon (3-2) et se qualifie pour les quarts de finale. Dans la foulée, et sur un coup de tête aussi improbable que celui de Jan Verthongen, Thomas prend un billet pour Kazan. «Je n'étais pas sûr de revoir de sitôt la Belgique à ce stade de la compétition. Et puis, en face, c'était le Brésil...»
Une villa pour 1.000 euros les onze nuits
Le 6 juillet, la bande à De Bruyne sort la Seleçao. «Des supporters brésiliens sont venus nous féliciter», se souvient Thomas Malpas qui voit dans cette anecdote la spécificité même d'un Mondial. «Si vous allez voir Standard - Anderlecht en Jupiler League, vous allez entendre les supporters s'insulter, voir se battre. Lors d'une Coupe du monde, les gens discutent entre eux, prennent des photos, etc.» Cette différence de climat tient sans doute aussi du fait que s'ils sont sur tous les fronts pour suivre leurs clubs en déplacement, les Ultras ont un rapport bien plus mesuré avec leur équipe nationale. Et ce, tant pour des raisons identitaires que financières.
Cette ambiance apaisée a un coût. Thomas Malpas, lui, a eu le nez creux. «Avec les copains, dès le tirage au sort, on a réservé une petite villa (5 chambres, 3 salles de bain), à vingt minutes du centre de Doha, située dans une sorte de village de vacances avec une piscine collective, pour 1.000 euros par personne et pour onze nuits... Franchement, ce n'est pas cher. J'en connais qui ont un peu trop attendu et qui payent dix fois ce prix!»
Jean-Pol Schumacker (68 ans) est dans ce cas. Membre du supporter club «Diabolux Arlon», ce supporter belge loge à Dubaï: «C'est moins couteux de faire la navette - c'est-à-dire de prendre l'avion durant 55 minutes - pour Doha, que d'y loger...» Cet ancien employé de Fideuram Bank Luxembourg assure, après les maintes révélations sur le Qatar, avoir été pris d'un doute. «Bien sûr que je me suis posé la question: faut-il y aller? Il y a quelques mois, je n'avais même plus trop envie de venir. Mais réflexion faite, cela fait combien de temps que l'on a attribué l'organisation au Qatar? Douze ans! C'est à cette époque-là qu'il fallait contester...»
À propos des soupçons de corruption au moment de l'attribution et des milliers d'ouvriers morts sur les chantiers, Thomas Malpas se veut prudent: «Ouais... Qu'est-ce qui est vrai là-dedans? Il y a tellement de choses qui se disent, on ne sait plus ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas... Et puis, si on commence à se priver dès qu'on entend quelque chose, alors on ne fait plus rien. Avec tout ce qui se passe dans le monde... » Fataliste, Jean-Pol Schumacker minimise le rôle du supporter. «Nous, on est là pour le football, pour soutenir notre équipe...»
En 2016, une fois à la retraite, Jean-Pol réalise un de ses rêves: «faire partie d'un groupe de supporters». Son premier match remonte au 1er septembre 2016 face à l'Espagne, soit le premier de Roberto Martinez à la tête de la Belgique. Son premier déplacement, il le fera cinq jours plus tard à Chypre. Depuis, il n'en manque quasiment aucun et reste, avec ses comparses de Diabolux, «trois ou quatre jours sur place pour visiter». En 2018, il se rend en Russie avec le «Voetbalreizen de Bemvoort» (littéralement «voyage de football de Bemvoort»); en 2020 à l'occasion du dernier Euro, il s'en va «de Copenhague à Séville» pour soutenir la Belgique.
Il y a tellement de choses qui se disent, et que nous n'avons pas vues depuis notre arrivée, que l'on se pose la question: qu'est-ce qui est vrai?
Thomas Malpas
Depuis son arrivée au Qatar, Jean-Pol Schumacker ne fait pas que d'assister à des matches de football, il profite pour voir une partie des charmes du Moyen-Orient. «Dans mon package, j'ai pris quelques excursions. Par exemple, je vais aller visiter Abu Dhabi et Oman. Au final, ça revient à quelque 6.000 ou 7.000 euros, mais bon, c'est la Coupe du monde...»
Depuis leur arrivée, Jean-Pol et Thomas en prennent plein les mirettes. «C'est vraiment une très belle organisation. Et les stades sont impressionnants!», déclare ce dernier. «Je n'en avais jamais vu des comme ça. En dessous de chaque siège, il y a même une petite climatisation. Mais ce n'est pas fort, c'est comme un léger vent frais...»
À ce propos, qu'en pense-t-il de cette climatisation à l'origine de ce qui apparaît comme un scandale écologique? «Je crois qu'en Europe, nous sommes assez mal placés pour les juger...», lâche Thomas Malpas avant de poursuivre: «Il y a tellement de choses qui se disent, et que nous n'avons pas vues depuis notre arrivée, que l'on se pose la question: qu'est-ce qui est vrai? Par exemple, j'entendais qu'il fallait faire attention à nos tenues, c'est faux, on est totalement libre. Bon, c'est vrai qu'on ne se met pas torse nu, mais pas de problème pour le port de shorts. Les femmes aussi peuvent s'habiller comme elles le veulent...» À condition toutefois de ne pas porter de maillots trop colorés pouvant se confondre avec un arc-en-ciel...
Vol, hôtel, nourriture et... cartes SIM
Devant ce déluge de louanges, on en vient à lui poser l'inévitable question: est-il rémunéré par le Qatar pour tenir un tel discours? «Non, non, pas du tout. En revanche, j'ai des amis qui ont été invités pour assister à la phase de poules. Entre les vols, le logement et les tickets nourriture, c'est un beau cadeau de 4.000 à 5.000 euros... En échange, ils n'avaient rien à faire si ce n'est qu'on leur a donné des cartes SIM et qu'on leur a demandé de publier photos et autres vidéos sur leurs réseaux. Mais moi, rien de tout ça. (rires)»
Dans les stades justement sont apparus d'étonnants supporters brésiliens, français, espagnols ou argentins venus tout droit du Bangladesh ou d'Inde. Une autre rumeur disait qu'ils avaient été payés par le Qatar. «Ça aussi c'est faux. J'ai discuté avec certains d'entre eux qui me disaient que dans leur pays, par exemple, il y avait des groupes de supporters du Brésil ou de la Belgique par exemple. Après, quand on y réfléchit, c'est normal, l'Inde ou le Bangladesh n'ont jamais joué la Coupe du monde...»
Ce jeudi, en cas de contre-performance contre la Croatie, la Belgique disputerait son dernier match du Mondial. «Quoiqu'il arrive, je rentre après les poules», déclare Thomas Malpas. S'il n'est pas sûr de voir un jour les Diables Rouges soulever le précieux trophée, il poursuit (son) but «qui est de découvrir le monde».
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