Changer d'édition

Une nouvelle victime belge dans l'affaire Marion Barter

Une nouvelle victime belge dans l'affaire Marion Barter

Une nouvelle victime belge dans l'affaire Marion Barter
Disparue en Australie

Une nouvelle victime belge dans l'affaire Marion Barter


12.02.2023

"Charlotte" de Tournai a perdu une somme à six chiffres, arnaquée par un escroc professionnel. Photo: Bart Dewaele

Un escroc ayant des liens avec le Luxembourg n'a pas épargné sa propre famille. Les dégâts sont immenses.

Par Tom Rüdell et Yannick Lambert

Lorsque son mari décède en 2011, elle n'a que soixante ans, il n'a qu'un an de plus. Leur mariage a duré quarante ans et leur vie commune à Tournai, en Belgique, était bien remplie. Un fils adulte, des petits-enfants. Financièrement, elle n'a pas de problèmes, le défunt avait un bon travail, elle-même travaille aussi, à Bruxelles. Au début, tout le monde s'occupe avec émotion de la veuve éplorée. Mais peu à peu, le quotidien reprend ses droits. Sa vie est maintenant un peu plus vide, tout comme sa maison.


Ghislaine Danlois hat nach eigenen Angaben 70.000 Euro an einen australischen Heiratsschwindler mit Bezug nach Luxemburg verloren.
Comment une retraitée belge a tout perdu au profit d'un escroc
En 2006, il est arrivé presque la même chose à Ghislaine Danlois de Bruxelles et à Marion Barter d'Australie, disparue depuis 1997. Mais contrairement à cette dernière, Ghislaine Danlois peut encore raconter son histoire.

Pourtant, un membre de la famille continue de s'occuper d'elle. «Cousin Willy» d'Australie, un cousin de son défunt mari, a écrit des cartes de condoléances, a souvent appelé, a demandé comment elle se sentait maintenant, sans son mari Michel dans sa vie. La veuve apprécie : «Il était très gentil et serviable», dira-t-elle plus tard. Surtout : on pouvait discuter de tout avec lui. Après environ huit mois, en mars 2012, le cousin Willy vient même spécialement lui rendre visite pour lui tenir compagnie dans son deuil, comme il le dit.

Ils vont vivre ensemble à Bali

Belge d'origine, il vit en Australie depuis plus de cinquante ans et possède la double nationalité depuis 1976. Il a douze ans de plus qu'elle, mais ressemble trait pour trait à son Michel. Il va vivre avec elle. Ils iront ensemble à Bali. De là, le cousin Willy disparaîtra du jour au lendemain pour retourner en Australie. Il a soutiré à la veuve l'équivalent de près de 150.000 euros en argent liquide et en objets de valeur. Il maîtrise aisément ce stratagème, qu'il a déjà utilisé avec plusieurs autres femmes esseulées.

Il s'appelle Ric Blum, alias Fernand Remakel, alias Frédéric de Hedervary. Pour la veuve de son cousin, il est Willy C. Bien qu'il ait utilisé des dizaines de faux noms au fil des décennies, dont certains ont été légalement inscrits sur des permis de conduire et des passeports en Australie, Willy est son vrai prénom et C. le nom de sa mère - et de son cousin décédé.

Nous rencontrons la veuve escroquée et son fils près de onze ans plus tard dans le nord de la Belgique. Elle ne veut pas lire son vrai nom dans les journaux, ni être reconnue sur les photos - à part sa famille proche, personne ne connaît encore l'histoire qui lui est arrivée à l'époque. Nous l'appellerons donc Charlotte. Nous connaissons également le nom de famille de Willy. Le fils de Charlotte l'a convaincue de nous parler afin de pouvoir peut-être encore demander des comptes à l'escroc. Car une plainte déposée auprès de la police belge en avril 2012 n'a donné aucun résultat : «On nous a dit que l'Australie ne l'extraderait de toute façon pas pour ce genre de choses».

Ric Blum, alias Willy C., tel qu'il était vers 2008. Charlotte et son fils le reconnaissent encore tout de suite en 2023. La photo a été prise par la police.
Ric Blum, alias Willy C., tel qu'il était vers 2008. Charlotte et son fils le reconnaissent encore tout de suite en 2023. La photo a été prise par la police.
Photo: Yannick Lambert

Charlotte déroule son récit chronologiquement, ouvertement, en détail et avec gentillesse. Son fils la soutient, fournit des détails et le contexte. L'entretien dure près de trois heures. Elle annonce d'emblée une chose : Ric Blum et elle n'avaient pas de relation romantique ou sexuelle. Pour les autres victimes connues, il s'agissait d'une escroquerie au mariage classique. En Australie, deux femmes ont témoigné de la manière dont cela s'est déroulé : rencontre via une annonce de contact, promesse de mariage, peinture d'un avenir commun «lointain». Ghislaine Danlois de Bruxelles avait raconté que Blum lui avait proposé de se marier à Bali, puis qu'elle devait venir avec lui en Australie. Elle a dormi dans le même lit que lui.

Le cas d'une autre femme ayant des liens mystérieux avec le Luxembourg, a déclenché une enquête internationale et a finalement conduit Charlotte dans une auberge de campagne pour parler à la presse. Mais l'Australienne Marion Barter ne peut pas témoigner. Elle a disparu sans laisser de traces depuis 1997. Un procès est en cours dans la province de Nouvelle-Galles du Sud afin de déterminer si elle est morte. Ric Blum y a déjà témoigné. Il prétend ne pas être impliqué dans la disparition de l'enseignante. Il reconnaît toutefois une liaison avec Barter.

«C'était juste un ami»

A Tournai, les choses se sont passées un peu différemment : «Il n'y avait rien entre nous», précise Charlotte. «C'était un ami, c'était la famille. Il m'a proposé de voyager, de sortir un peu. J'avais 61 ans et j'étais veuve, pourquoi ne pas partir en vacances avec un membre de ma famille?»


Marion Barter, who walked out of her family in Australia in 1997, never to be seen again
Le Luxembourg, clé du mystère de l'affaire Marion Barter?
De nouvelles preuves cruciales dans l'enquête sur la disparition de l'Australienne en 1997 mènent à un homme intimement lié au Grand-Duché.

Le 24 février 2012, Willy vient la chercher à la gare de Lille. Les deux se comprennent. Elle le connaît par des récits et par les cartes postales qu'il écrivait régulièrement à son cousin pour Noël et depuis ses vacances. Et elle l'avait brièvement vu une fois, en 1992, à l'enterrement d'une tante de son mari. Mais il était alors reparti directement du cimetière pour l'aéroport, selon le témoignage d'une autre personne présente ce jour-là, dont le Luxemburger Wort a eu connaissance. Celui-ci se souvient surtout des chaussures de Ric Blum en cuir de crocodile.

Charlotte expliquera également plus tard à la police : «Il se présente dans un style cool». Mais surtout, il était éloquent, cultivé, à l'écoute. Cela lui faisait du bien de l'avoir auprès d'elle. Le fait que Ric Blum soit marié depuis 1976 n'est pas un sujet de discussion entre eux, même lorsqu'une femme d'Australie l'appelle à deux reprises : «Je savais qu'il avait des enfants adultes. Il m'a dit que sa fille était pilote. Il n'a jamais été question de sa femme, j'ai pensé qu'il était peut-être veuf».

Comme il savait que je possédais déjà des biens immobiliers, il a proposé d'investir ensemble dans une maison à Bali

Charlotte

Une résidence commune à Bali

Le cousin Willy en vient rapidement à parler affaires. Lui-même a beaucoup de succès en Australie, il possède une maison sur la Côte d'or australienne et une autre à Bali. Est-ce qu'ils ne veulent pas en acheter une autre ensemble ? «Comme il savait que je possédais déjà des biens immobiliers, il a proposé d'investir ensemble dans une maison à Bali», peut-on lire plus tard dans la déclaration de Charlotte à la police. Ils pourraient y vivre ensemble, faire la navette entre la Belgique et Bali, et louer le reste du temps. Elle accepte. La maison doit coûter 200.000 euros, chacun doit en payer la moitié. Charlotte retire deux fois 50.000 euros à la succursale Fortis de Tournai et remet les liasses de billets à Willy. Pour conclure la transaction immobilière, il faut se rendre à Bali, ce sont aussi de belles vacances, explique encore Willy. Il réserve des billets pour un total de près de 3.000 euros. Charlotte s'en charge.

Une édition du "LuxPost" pour l'ouverture du magasin de meubles à Noertzange en 1980. Ric Blum alias Fredy David est le deuxième à partir de la droite sur la photo, avec probablement son épouse Dianne à côté.
Une édition du "LuxPost" pour l'ouverture du magasin de meubles à Noertzange en 1980. Ric Blum alias Fredy David est le deuxième à partir de la droite sur la photo, avec probablement son épouse Dianne à côté.
Photo: 7News

Le 23 mars, il prend le train le plus matinal de Tournai à Amsterdam - seul. Elle doit le rejoindre et le retrouver à l'aéroport de Schiphol. Arrivés à Bali, ils s'enregistrent au «Tama Nayu Cottage» à Seminyak. Sa propre maison à Bali, qui n'existe évidemment pas, n'est pas disponible pour le moment, dit Willy. Dans quelques jours, il devra partir seul pour la nuit, rencontrer un conseiller financier au sujet de sa part dans l'achat de la maison commune. Pour compenser la journée de vacances perdue, il lui réserve le programme bien-être de l'hôtel avec massages et coiffeur. «Il a même choisi la couleur des cheveux pour moi, je ne parlais pas anglais», raconte Charlotte, qui a aujourd'hui comme à l'époque les cheveux gris, «et je ressemblais alors à un canari». Son fils se souvient : «Je n'ai pas reconnu ma mère à l'aéroport».

Je n'ai pas reconnu ma mère à l'aéroport.

Le fils de Charlotte

Ce sont des souvenirs qui, aujourd'hui, peuvent au moins faire sourire mère et fils. Car la fin est - bien sûr - tragique. Le cousin Willy ne revient pas de son «rendez-vous d'affaires» du 29 mars. L'argent a disparu. Ce n'est qu'avec difficulté que Charlotte parvient à prendre son vol de retour : «Mes billets, mon passeport et un peu d'argent liquide étaient dans le coffre-fort de la chambre d'hôtel, mais il avait la combinaison». Le 1er avril, Willy écrit un mail à l'hôtel pour Charlotte. Il contient le code du coffre-fort et une «explication» : il a pris l'argent parce que son défunt cousin Michel le lui devait - un mensonge éhonté, selon Charlotte.

L'argent liquide ne fait pas tout

Toujours est-il qu'avec l'aide d'un guide francophone, elle arrive à réserver son vol et rentrer chez elle. Le 7 avril, elle est de retour à Tournai, mais ce n'est pas fini : des bijoux coûteux, dont son alliance, ainsi qu'une précieuse collection de timbres et une collection de pièces de monnaie ont disparu de sa maison - un préjudice d'environ 25.000 euros supplémentaires. Le 10 avril, Charlotte se rend à la police, mais celle-ci ne trouve rien dans son système sous le nom de Willy C.. Le fils de Charlotte se souvient qu'il y a quelques années, l'une de ses cartes postales portait la signature «Ric de Hedervary» - pour une raison inconnue.

L'ordinateur de la police crache quelques informations sur ce nom et d'autres, dont notamment le cas de Ghislaine Danlois, de Bruxelles, en 2006. Un autre détail revient à l'esprit de Charlotte et elle en parle aux policiers : Willy, qui s'intéressait beaucoup aux pièces de monnaie anciennes («il s'y connaissait très bien»), lui avait demandé d'aller chercher une commande de pièces grecques et romaines anciennes chez un numismate à Bruxelles. Elles sont commandées à son nom de jeune fille - le nom de C. ne doit pas y figurer. Il lui remet de l'argent liquide qui, selon toute vraisemblance, est le sien - car elle est déjà allée à la banque. La veille de son départ pour Bali, elle récupère les pièces.

Une fois de plus, la même question s'impose qu'en novembre, lorsque Danlois a raconté son histoire : comment se fait-il qu'une femme aussi prudente et souveraine, cette fois encore dans la vie active, se fasse avoir en quelques semaines par de tels coups tordus ? Les deux victimes ont en commun d'être veuves, l'une depuis longtemps, l'autre depuis peu. Et qu'elles étaient arrivées à un moment de leur vie où elles se demandaient peut-être ce qui allait encore se passer.

«Des femmes vulnérables d'âge moyen»

Le ministère public de Nouvelle-Galles du Sud avait mis les points sur les i lors de l'audience concernant l'affaire Marion Barter : «Middle aged and vulnerable women», «les femmes vulnérables d'âge moyen» étaient le groupe cible de Ric Blum, selon les accusations. A Tournai, il faut ajouter que Blum était déjà introduit, au moins indirectement, dans la famille, il faisait partie de l'arbre généalogique. La porte était grande ouverte. Le fils de Charlotte explique : «Mon père parlait souvent de son cousin Willy en Australie. Avec beaucoup de bienveillance. Mais je ne l'avais jamais vu avant 2012. Pour moi, il était comme un fantôme. Mais quelqu'un dont mon père parlait en bien». Apparemment, cela suffisait alors : «Il avait la vie très facile».

Ric Blum devant la salle d'audience de Sidney en 2022.
Ric Blum devant la salle d'audience de Sidney en 2022.
Photo: 7News

Et ce, bien que le père ait rédigé un avertissement dans ses anecdotes sur son cousin : Willy était un bon gars, mais en raison d'anciens problèmes avec la loi, il n'avait plus le droit d'entrer en Belgique. On ne sait pas s'il y a vraiment eu une interdiction d'entrée sur le territoire. Le mot «problèmes» est toutefois un euphémisme : depuis les années 1960, Ric Blum a passé au total une bonne dizaine d'années en prison pour divers délits d'escroquerie en France et en Belgique. Sous le nom de Roger Lauzoney, il a été arrêté au moins une fois au Luxembourg en 1976. Même lorsqu'il était marchand de meubles à Noertzange au début des années 1980, il a toujours eu des problèmes avec la police, se souvient un ancien voisin.

«Il ne voulait voir personne en Belgique, et surtout pas sa famille», se souvient Charlotte. A l'époque, elle trouvait cela étrange, maintenant elle sait pourquoi. Ric Blum a laissé passer une demande de commentaire sur les récentes accusations par la rédaction du podcast «The Lady Vanishes», avec laquelle le Luxemburger Wort collabore pour cette affaire, est restée sans réponse.

Liens externes :

Cet article est paru initialement sur le site du Luxemburger Wort et sur Luxtimes.

Traduction: Mélodie Mouzon

Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.