Un travailleur luxembourgeois sur dix est pauvre
Un travailleur luxembourgeois sur dix est pauvre
De vieilles maisons s'alignent, le soleil tombe sur le carrefour. Un groupe de personnes se forme devant l'épicerie du coin, beaucoup sont venues avec de grands sacs ou des chariots. Les épiceries sociales de Caritas et de la Croix-Rouge ont été lancées en 2009, en réaction à la crise financière. Elles ont connu un boom de leur fréquentation en raison de la crise sanitaire. Et maintenant, une autre crise s'ajoute: l'inflation qui augmente.
Parmi les personnes qui attendent dans la file d'attente ce jour-là, certaines ont déjà travaillé aujourd'hui, ou vont le faire. Un jeune homme est cuisinier, il travaille à plein temps, mais l'argent qui gagne ne suffit toujours pas à vivre décemment. Une femme prend place derrière lui avec une poussette. Elle est à la recherche d'un emploi. «Avec ça, je ne trouve pas facilement un emploi», dit-elle en montrant son foulard. Le père de l'enfant travaille pour le salaire minimum, mais cela suffit à peine pour les besoins de la petite famille.
«Nous avons des bénéficiaires, et ce ne sont pas les moins nombreux, qui travaillent à plein temps. Mais cela ne suffit pas, parce que le loyer est trop élevé ou qu'ils élèvent seuls leurs enfants. Leurs situations sont très variables», explique Carole Reckinger. Elle est chargée de la politique sociale chez Caritas Luxembourg.
12% de travailleurs pauvres en 2020
Le Grand-Duché, l'un des pays les plus riches du monde, se trouve en deuxième position, derrière la Roumanie, des pays de l'Union européenne présentant le plus grand risque de pauvreté professionnelle. Un risque qui a augmenté au cours des dernières années. En 2020, 11,9% de la population active vivait en dessous du seuil de pauvreté, selon l'autorité statistique européenne Eurostat. «Ce chiffre date d'il y a plus d'un an», explique Carole Reckinger, «il se peut bien qu'il augmente encore avec les crises actuelles».
Cette triste deuxième place au classement de la pauvreté peut surprendre de nombreuses personnes. Car le Luxembourg a le salaire minimum le plus élevé d'Europe. À l'étranger, ce chiffre suscite souvent l'étonnement : 2.776,05 euros bruts sont versés aux travailleurs qualifiés, 2.313,38 euros aux travailleurs non qualifiés. Mais qu'est-ce que cela signifie?
Le salaire minimum au Luxembourg est presque dix fois plus élevé que celui de la Bulgarie.
Luca Ratti, professeur de droit du travail à l'Université du Luxembourg
«La somme en soi ne dit en fait rien du tout», précise Luca Ratti, professeur de droit du travail à l'Université du Luxembourg. Il étudie le phénomène des «travailleurs pauvres».
«Le salaire minimum est presque dix fois plus élevé qu'en Bulgarie, ce qui semble bien sûr surprenant à première vue», admet le chercheur. «Mais la manière dont quelqu'un peut vivre de son revenu dépend bien sûr en grande partie du coût de la vie». C'est pourquoi la comparaison européenne est quelque peu trompeuse: «Si l'on regarde le coût de la vie au Luxembourg, on comprend immédiatement pourquoi le minimum y est si élevé».
Quand le loyer dévore 50% du revenu
Cela nous amène rapidement au sujet numéro un dans le pays: le coût élevé du logement. Les personnes touchées par la pauvreté souffrent davantage de la hausse des coûts du logement. Selon le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER), plus d'un tiers des locataires ont dépensé plus de 40% de leurs revenus pour le loyer et le chauffage en 2019, alors que cette proportion n'était que de 25% en 2016. Les 20% des ménages aux revenus les plus faibles ont même dépensé la moitié de leurs revenus pour se loger.
Mais ce n'est pas tout. Le salaire minimum le plus élevé de l'UE semble formidable, mais certains pays, dont l'Autriche, le Danemark, la Finlande, la Suède, l'Italie et Chypre, n'ont pas de salaire minimum légal du tout. Cela ne signifie pas que les employeurs y paient moins bien. Il revient uniquement aux partenaires sociaux de décider, grâce à des accords sectoriels, ce qu'est un salaire minimum.
12 euros en Allemagne, 13 au Luxembourg
Un autre point démontre qu'il est utile de décortiquer ces statistiques. Au Luxembourg, le salaire minimum est calculé sur la base de 40 heures de travail par semaine, contre 39 en Allemagne, 38 en Belgique et 35 en France. Le salaire minimum luxembourgeois n'est donc pas si élevé en comparaison.
De plus, l'écart avec les autres pays se réduit. Au 1er janvier de cette année, le salaire minimum en Allemagne était encore de 9,82 euros bruts. Mais cette année, il passera à 12 euros. Au Luxembourg, il est de 13 euros et des poussières. «La différence est donc minime, mais le coût de la vie ici est énorme», explique Luca Ratti. Le salaire minimum au Luxembourg se situe ainsi presque au niveau du seuil de pauvreté, comme l'écrivent le scientifique et ses collègues dans leur rapport national.
Et maintenant, l'inflation
Caritas gère quatre épiceries sociales au Luxembourg. S'y ajoutent les sept de la Croix-Rouge. Seules les personnes pouvant prouver que leur revenu suffit à peine à couvrir les besoins quotidiens peuvent faire leurs achats dans ces magasins.
Les quatre magasins de Caritas comptent à eux seuls plus de 5.000 acheteurs enregistrés. Selon Caritas, 14% des personnes qui y font leurs achats travaillent à plein temps dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée, 6% ont un contrat de travail à durée indéterminée à plein temps. Actuellement, beaucoup d'entre elles rencontrent encore plus de soucis que d'habitude.
Nous constatons que les gens sont plus stressés. Ils font désormais la queue devant la porte des heures avant l'ouverture du magasin. Nous ressentons cette peur de ne pas avoir assez de nourriture pour tout le monde.
Carole Reckinger, chargée de la politique sociale à Caritas Luxembourg.
«Le problème, c'est que les prix des aliments de base comme l'huile, la farine ou la viande s'envolent. Nos prix d'achat augmentent, une grande partie est prise en charge par Caritas et la Croix-Rouge, mais nous ne pouvons pas totalement absorber cette hausse et les prix dans les épiceries sociales augmentent donc aussi», explique Carole Reckinger.
La peur est présente
La hausse du taux d'inflation s'accompagne-t-elle d'une augmentation du nombre de clients ? «Les chiffres concernant l'évolution de la situation ne seront connus que dans les prochains mois», répond Carole Reckinger. Certaines personnes dans le besoin ne viendront que lorsqu'elles auront épuisé leurs économies. Avant cela, la honte est trop grande, fait savoir la chargée de la politique sociale.
«Ce que nous voyons, c'est que les gens qui viennent sont plus stressés. Ils font désormais la queue devant la porte plusieurs heures avant l'ouverture du magasin. Nous ressentons cette peur que la nourriture ne suffise pas pour tout le monde.»
Les bas salaires sont plus touchés par une hausse soudaine des prix.
Luca Ratti, professeur de droit du travail à l'Université du Luxembourg
Les gens vont travailler tous les jours et sont, malgré tout, pauvres. Luca Ratti sait aussi que la situation des personnes concernées devrait s'aggraver avec la hausse de l'inflation: «Les bas salaires sont plus touchés par une hausse soudaine des prix», explique-t-il.
Des gagnants et des perdants
Son projet de recherche à grande échelle a débuté dès 2018. À l'époque, le Luxembourg occupait déjà la deuxième place au sein de l'UE en ce qui concerne la pauvreté des travailleurs. Luca Ratti et ses collègues ont créé un consortium de chercheurs issus de sept pays de l'UE (Luxembourg, Belgique, Pays-Bas, Italie, Allemagne, Suède et Pologne) et ont remporté une subvention de recherche européenne de 3,2 millions d'euros. Le projet prendra fin en janvier 2023. Quels sont les résultats obtenus jusqu'à présent?
Tout d'abord, une définition s'impose. La pauvreté laborieuse touche ceux qui exercent un travail rémunéré et qui disposent néanmoins de moins de 60% du revenu médian.
Le profil des gagnants sur le marché du travail local est le suivant: ressortissants luxembourgeois, salariés sans enfants, au mieux deux revenus dans un ménage, personnes hautement qualifiées, salariés à temps plein avec un contrat de travail à durée indéterminée.
Le profil des perdants est celui de personnes d'origine étrangère, et peu qualifiées. La pauvreté au travail est plus répandue dans certains secteurs économiques, en particulier dans celui des services. Le travail à temps partiel et les contrats à durée déterminée augmentent également le risque. Près d'un travailleur à temps partiel sur deux ayant un contrat à durée déterminée est touché par la pauvreté (48,(%). Les familles nombreuses et les familles monoparentales sont extrêmement vulnérables.
Une classe d'imposition 2 pour les familles monoparentales
Lucca Ratti et ses collègues émettent des recommandations dans leur rapport national. La législation du travail ne semble pas être le problème au Luxembourg, le travail intérimaire, par exemple, n'est en réalité que peu utilisé dans le pays. Les chercheurs mettent en revanche l'accent sur l'accès à un logement abordable et sur la législation fiscale.
Le système fiscal pourrait être aménagé de manière à alléger systématiquement la charge des plus pauvres de la société. Mais jusqu'à présent, les salaires sont par exemple imposés à 100%, les revenus du capital à 50% seulement.
Il faut avant tout une solution pour les mères et les pères qui élèvent seuls leurs enfants. «Les parents isolés devraient passer dans la classe d'imposition deux et le crédit d'impôt devrait être augmenté», demande Carole Reckinger.
Cet article a été publié pour la première fois sur www.wort.lu/de
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