«Tout ne se passe pas comme prévu»
«Tout ne se passe pas comme prévu»
En cinq mois d'exercice, la ministre de la Santé n'aura guère eu le temps de souffler. Prise qu'elle a été dans la tempête du covid-19. Et alors que les chiffres des contaminations semblaient contenus, l'imprudence de certains a suffi à faire craindre à nouveau le pire aux autorités. 280 nouvelles infections en 7 jours, soit bien plus en une semaine que sur l'ensemble du mois de mai... Aussi, Paulette Lenert est-elle loin de se satisfaire du seul arrêt des cas mortels (110), depuis le 24 mai maintenant.
Vous n'aviez pas caché qu'une reprise de l'épidémie était envisageable. Mais vous sembliez plutôt l'attendre pour l'automne...
Paulette Lenert : «Oui, et encore c'était dans le cadre d'un scénario pessimiste. Nous avions eu la satisfaction de noter que notre stratégie du lockdown rapide et total avait fonctionné dans un premier temps; que le déconfinement pas à pas n'avait pas causé de recrudescence des transmissions du covid-19. Tout semblait reprendre avec sérénité : les gestes barrières étaient adoptés par la plupart des gens, l'économie reprenait secteur par secteur sans créer de clusters particuliers, l'école aussi. Les infections journalières régressaient fortement. Mais les derniers relevés viennent bouleverser cette bonne trajectoire.
A étudier les causes de cette reprise, nous voyons bien que les rassemblements privés sont la source de ce nouveau problème. Le 10 juin, nous pensions que recommander une limitation à 20 personnes serait suffisante; il faut visiblement se montrer plus ferme et aller dans le sens d'une obligation inscrite dans la loi. Au sein du gouvernement, cela constitue un vrai changement d'attitude par rapport aux citoyens. Jusqu'à présent, nous avions toujours communiqué de façon positive : chaque respect des consignes entraînant au fil des semaines un peu plus de liberté pour tous. Là, il faut gronder...
Les chiffres d'infections actuels sont bien plus élevés qu'en mars quand le confinement total a été déclaré. Pourquoi ne pas adopter la même mesure?
«Parce que les deux situations n'ont plus rien à voir. En mars, nous n'avions pas d'autre choix devant l'inconnu. Maintenant, nous - collectivement - en savons plus sur ce virus. Les stocks de matériels de protection sont là (pour faire face à quatre mois de crise au moins); la population a appris à mieux se protéger et préserver la santé des autres; les centres de soins avancés que nous avons désactivés sont facilement remobilisables; la réserve sanitaire est au point; les hôpitaux savent maintenant comment s'adapter au flux de patients covid; les soignants partent moins la peur au ventre; le pays dispose d'un monitoring précis pour évaluer la progression ou la régression du nombre de cas (pas seulement en nombre mais dans le détail des individus); la téléconsultation médicale s'est bien généralisée et la campagne de dépistage fonctionne.
Et puis, économiquement, un second lockdown serait bien plus délicat à mettre en place, il ne faut pas se le cacher. Nous n'en sommes pas à ce stade d'urgence, mais si l'on n'agit pas maintenant...
Quelles craintes avoir alors?
«Depuis maintenant six mois, le monde et le Luxembourg découvrent comment agit et réagit ce virus. On voit d'ailleurs qu'il semble muter depuis peu. Les scientifiques ont joué leur rôle d'alerte et de conseils et les politiques ont agi en conscience. Nous avons fait des choix avec Xavier Bettel, mais la gestion des comportements individuels ne nous appartient pas. Si peur il doit y avoir c'est de l'impact des comportements déraisonnables. On peut hausser les épaules, et dire "bof, il y a des contaminations mais ils n'ont pas de symptômes graves". On verra cela avec un effet décalé en fait, sur le nombre d'hospitalisations. Et c'est là que mon rôle de ministre de la Santé est aussi d'être vigilante.
Le pays dispose de modèles pour dire a priori combien de malades vont arriver en soins intensifs, combien de temps ils vont devoir être pris en charge, combien de personnels soignants cela mobilisera. Et ni le nombre de lits disponibles, ni le nombre de médecins ou d'infirmières, n'est extensible. Là est le danger, en plus de l'infection pulmonaire et la mortalité qu'elle peut engendrer chez les plus fragiles d'entre nous. Au-delà de 80 lits occupés par des malades covid, c'est tout notre système de soins qui se retrouverait fragilisé.
En plus, en période de congés, il y aura certainement moins de soignants dans les hôpitaux?
«Il ne faut pas créer de panique à ce niveau. Les services en charge des personnels hospitaliers ont parfaitement pris en compte la possibilité d'une reprise de l'infection au coronavirus dans la gestion des effectifs en juillet et août. Mais une tension sur le nombre de lits et de personnels disponibles pour tous les autres pans de la santé finirait par avoir des impacts négatifs sur l'état de forme de nombreux Luxembourgeois, et ce n'est pas souhaitable. La médecine préventive a été à l'arrêt trop longtemps déjà, des opérations ont dû être reportées, certains patients hésitent encore à consulter même si leur mal progresse: le retour à la normalité, ce sont aussi ces cas qu'il faut régler, ces traitements qui doivent être admis, ces maladies qu'il faut diagnostiquer.
J'insiste sur ce point : concentrer nos forces sur la seule lutte contre le covid reviendrait à fragiliser la santé de beaucoup. De cela aussi, les gens qui font la fête de manière inconsidérée ou ne portant le masque là où cela est nécessaire (comme dans les transports en commun ou dans les magasins) doivent avoir conscience. Ils risquent de se retrouver infectés et, pire, de contaminer les autres compris des êtres qui leur sont chers mais vulnérables. Soyons donc respectueux des règles et donc de toutes les vies autour de nous, voilà le message à passer.»
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