Scepticisme face à une éventuelle «application corona»
Scepticisme face à une éventuelle «application corona»
(JFC, avec Thomas Klein) - Mercredi en conférence de presse, le Premier ministre Xavier Bettel (DP) a réitéré le fait qu'il n'était «pas un grand fan d'une application luxembourgeoise de suivi» des patients atteints de covid-19. Pour l'instant, il n'existe «aucun outil de ce type conforme aux exigences de la protection des données», a-t-il ajouté. Par conséquent, il n'est pas prévu d'introduire une application de ce type dans un avenir proche.
Or, il apparaît qu'une telle solution pourrait constituer un élément important dans la stratégie actuelle de sortie de crise progressive. Car si les mesures de confinement sont assouplies avant qu'un vaccin ne soit disponible, il convient de s'assurer que le nombre d'infections ne reparte pas immédiatement à la hausse. Certains pays comme la Pologne ou Singapour s'appuient déjà sur ces applications pour téléphones portables afin de localiser, tester et isoler immédiatement toute personne ayant été en contact avec un vecteur de la maladie.
Face à ces modèles, les défenseurs de la protection des données personnelles s'inquiètent, car une telle approche se trouve en opposition avec le règlement de base sur la protection des données personnelles en vigueur dans l'Union européenne. Ce dernier prévient par exemple les immixtions dans la vie privée des utilisateurs et le partage des données de géolocalisation avec les autorités.
«Il va de soi que le RGPD s'applique aussi en cas de crise et doit être respecté», déclare Thierry Lallemang, membre de la Commission nationale pour la protection des données (CNPD). Et si d'aventure une application de ce type devait être utilisée au Luxembourg, «il serait important qu'elle respecte le principe de "Privacy by Design"», ajoute-t-il. Autrement dit: que cette application soit conçue dès le départ pour être aussi respectueuse que possible de la protection des données personnelles de chaque citoyen.
Pour Sandra Dury, fondatrice de Dury Compliance & Consulting GmbH, une société qui conseille les entreprises luxembourgeoises en matière de protection des données, celles-ci «doivent rester stockées uniquement sur le téléphone portable et de manière temporaire», et ce n'est que «lorsque la maladie est déclarée qu'elles sont alors transmises sous un pseudonyme». D'un point de vue technique, il convient également de s'assurer que seules les données nécessaires à l'application sont effectivement transmises entre les téléphones via la connexion Bluetooth.
L'avocat Martin Kerz insiste sur le caractère nécessairement international de l'outil. En effet, selon lui, «si chaque pays européen bricole sa propre solution, et que les données ne peuvent pas s'échanger de l'un à l'autre, cela n'est d'aucune utilité». Ce constat vaut particulièrement pour le Luxembourg, avec ses 200.000 travailleurs frontaliers, soit 45% de la population active. Xavier Bettel voit les choses de la même façon, lorsqu'il souligne qu'«une application pour le Luxembourg n'est une option viable que s'il existe une solution globale au niveau européen, qui tienne également compte de toutes les préoccupations en matière de protection des données».
A noter toutefois que si le Premier ministre souligne qu'«aucune application de ce type conforme aux exigences de la protection des données n'existe actuellement pour le Luxembourg», deux scientifiques planchent sur le sujet. Christian Vincenot, qui mène des recherches au Japon dans le domaine de la modélisation informatique du comportement des chauves-souris, et Stéphane Bordas actif au département de mécanique informatique de l'université de Luxembourg. Avec d'autres partenaires, ils viennent de fonder la start-up Ariana Tech.
«Nous avons programmé un système de suivi qui permet de savoir quand deux utilisateurs se rencontrent», expliquent les deux scientifiques qui ajoutent que «comme concept de base, nous proposons tout d'abord un système totalement anonyme». CSO d'Ariana Tech, Stéphane Bordas indique que «c'est donc au gouvernement de décider ce qu'il souhaite, mais il doit le faire rapidement», estime le chercheur de l'Uni.
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.
