Résiliation sur internet, un onglet et l'addition
Résiliation sur internet, un onglet et l'addition
Pour certaines grosses plateformes de commerce en ligne, la toile est une grande épuisette. Au fond de celle-ci, certains abonnés s'agacent et s'agitent pour retrouver la liberté, mais la plupart abandonnent très vite, épuisés.
Conseiller juridique pour l'Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC), Bob Schmitz appelle cela le «Dark pattern», une interface spécialement conçue pour manipuler ou tromper l'utilisateur. «Le but, dit-il, est de décourager le client et de continuer à le mener par le bout du nez...»
Le juriste n'est pas étranger à la question parlementaire déposée le 14 juillet par Viviane Reding (CSV). Une relance à celle posée, le 10 novembre 2021 à Paulette Lenert (LSAP), ministre de la Protection des consommateurs, sur «la résiliation d'un contrat en ligne». À l'automne dernier, l'ex-députée européenne faisait remarquer que l'Allemagne venait d'adopter une loi permettant à tout un chacun de «résilier un contrat conclu en ligne de manière simple et directe». Et ce grâce à un onglet prévu à cet effet.
Ce 10 novembre, elle interroge alors la vice-Première ministre sur les intentions du gouvernement. Le 2 décembre, celle-ci souligne alors qu'il s'agit d'une «initiative nationale de la part d'un État membre alors que le Luxembourg s'oriente généralement vers les directives européennes afin d'assurer une protection des consommateurs». Toutefois, Paulette Lenert assure que «l'initiative allemande suscite (son) intérêt» et qu'elle a «l'intention d'en suivre l'évolution et son efficacité», mais aussi «l'introduction du bouton de résiliation».
Au niveau des droits à la consommation, notre gouvernement ne transpose que ce qui est harmonisé… Quand il est possible d’en faire plus, il ne fait rien
Bob Schmitz (Conseiller juridique à l'ULC)
Le 14 juillet donc, Viviane Reding revient à la charge. Mais cette fois, avec un argument supplémentaire. Ainsi, elle signale «qu'une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil améliorant la protection des consommateurs en matière de pratiques commerciales et d’informations, en cours d'examen» pourrait être l'occasion de «s'engager dans la simplification de la procédure de résiliation des contrats conclus».
Après l'Allemagne, la France est sur le point de suivre le même chemin. Ainsi, dans la nuit de jeudi à vendredi, et après quatre jours de discussions et d'une nuit entière de débats houleux, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi «d'urgence» pour la protection du pouvoir d'achat.
Dans ce texte, l'article 7, devant permettre aux consommateurs de résilier facilement un contrat conclu par voie électronique, a été voté à l'unanimité des députés présents (281 pour, 0 contre). Le Sénat doit en commencer l'examen, en commission des finances, dès ce lundi.
Ne pas oublier la date anniversaire...
«Si vous avez un grand marché qui impose déjà cette fonctionnalité et un autre qui s'apprête à le faire, pourquoi ne pas en faire une mesure communautaire?», s'interroge un Bob Schmitz quelque peu nostalgique: «Au niveau des droits à la consommation, notre gouvernement ne transpose que ce qui est harmonisé… Quand il est possible d’en faire plus, il ne fait rien. Quand je pense que dans les années 80, le Luxembourg était un pionnier au niveau européen en matière de protection juridique du consommateur... Aujourd'hui, on fait vraiment le minimum.»
Pour convaincre de la nécessité de cette réforme, l'ancien juriste du Bureau Européen des Unions de Consommateurs (BEUC) s'appuie sur les données d'une enquête intitulée «Consommation et besoin des consommateurs» diligentée par le ministère de la Protection des consommateurs et réalisée avec Art Square Lab SARL-S SIS auprès d'un échantillon de 2.057 résidents.
En charge de ladite enquête, la chercheuse Andrea Gerstnerova fait remarquer que «la grande majorité (des personnes interrogées) achètent en ligne (89%)», que «63% des répondants se sentent protégés de la même manière que lors d’un achat traditionnel», mais aussi qu'«un tiers estiment que leurs achats effectués en ligne sont influencés par la collecte de données lors de leurs achats précédents».
L'accord entre la Commission et Amazon
Toutefois, et alors que l'objectif de cette étude est de «se faire une meilleure idée de la façon dont les consommateurs perçoivent leur niveau de protection, ainsi que sur leurs besoins en matière d’information afin de les inciter à prendre des décisions de consommation plus autonomes et conscientes», les termes de «contrat» ou de «résiliation» n'apparaissent nulle part.
Qui, faute de n'avoir résilié à temps son contrat, n'en a jamais vu la reconduction tacite? «La fameuse date anniversaire», soupire Bob Schmitz qui n'est pas très loin d'y voir une sorte de prise d'otage. «Quand un client s'abonne pour un an, il ne s'abonne pas pour deux ou plus», souligne le juriste de l'ULC pour qui donc la reconduction tacite du contrat doit devenir un piège. «Nombreuses sont les personnes qui se font avoir avec leurs abonnements sur des applications ou dans des centres de fitness...»
Le 1er juillet, la Commission européenne annonçait avoir trouvé un accord avec Amazon. Le géant du commerce en ligne, dont le siège se trouve à Luxembourg, s'est, comme l'indique l'instance «engagé à mettre ses pratiques d'annulation en conformité avec les règles européennes de protection des consommateurs.» Ainsi, tout abonné qui souhaite se désinscrire d'Amazon Prime pourra le faire «en deux clics, en utilisant un bouton d'annulation clair et bien visible».
Les consommateurs doivent pouvoir exercer leurs droits sans aucune pression de la part des plateformes
Didier Reynders (Commissaire européen à la Justice)
Cet accord survient après une plainte déposée par le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), le Conseil norvégien des consommateurs et le Dialogue transatlantique des consommateurs (TACD). L'enquête lancée en avril 2021 par la Commission européenne a démontré les multiples difficultés pour le client à se désabonner. Au point de désigner ces pratiques commerciales comme «déloyales».
Commissaire européen à la Justice, Didier Reynders déclarait : «Opter pour un abonnement en ligne peut s'avérer très très pratique pour les consommateurs, car il s'agit souvent d'un processus très simple, mais l'action inverse, qui consiste à se désabonner, devrait être tout aussi simple. Les consommateurs doivent pouvoir exercer leurs droits sans aucune pression de la part des plateformes. Une chose est claire : le design manipulateur ou les ''dark patterns'' doivent être interdits. Je salue l'engagement d'Amazon à simplifier ses pratiques pour permettre aux consommateurs de se désabonner librement et facilement.»
Cet engagement n'engage qu'Amazon et n'a aucune portée juridique pour les autres plateformes
Bob Schmitz (Conseiller juridique à l'ULC)
Suite à cet accord, Amazon a modifié son interface Web Prime en affichant un onglet de résiliation placé au terme d'un texte qui devrait être raccourci car jugé encore pour l'heure comme trop dissuasif. Cette fonctionnalité devrait être étendue à tous les supports (ordinateur, tablette, téléphone portable).
Pour Bob Schmitz, si cet accord peut être considéré comme une avancée, il ne résout pas la question de l'harmonisation. «Cet engagement ne concerne qu'Amazon et n'a aucune portée juridique pour les autres plateformes. Si la Commission et les autorités nationales arrivent à la conclusion qu'une infraction a été commise, le remède trouvé ne doit pas se limiter à l'entreprise visée, mais doit servir de ligne directrice pour tout le marché.»
En l'absence de directive européenne, le Luxembourg semble être dans l'attente. «Pour le moment, des discussions concernant le droit européen sur les pratiques commerciales déloyales sont en cours. Pourquoi ne pas en profiter pour glisser un amendement sur cette mesure au niveau communautaire comme le recommande Madame Reding?»
Quelles seraient les répercussions pour les entreprises luxembourgeoises? «On nous dit: ''Nous sommes une économie ouverte et ça risque d'être un handicap pour nos entreprises''. Or, cet argument ne tient pas. Par nature, le commerce électronique va au-delà des frontières. Et une société luxembourgeoise, qui vise également des marchés voisins, est obligée de respecter le droit national de chaque pays. Or, cela permet tout simplement d'établir une concurrence saine et équilibrée.»
Le Luxembourg attend-il une directive européenne pour agir? «Je le pense, oui... Mais cela n'empêche pas d'être en retard lors des transpositions. Et de faire un simple copier/coller, selon le principe ''toute la directive, rien que la directive'' sans utiliser les options laissées aux Etats membres d'introduire des mesures d'application en augmentant utilement le niveau de protection des consommateurs et en précisant les obligations des entreprises.»
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