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Rencontre avec le Luxembourgeois qui dirige Moët Hennessy
Luxembourg 11 min. 06.02.2023
Interview

Rencontre avec le Luxembourgeois qui dirige Moët Hennessy

Depuis 2017, Philippe Schaus est président et directeur général exécutif de Moët Hennessy, la branche vins et spiritueux du groupe LVMH.
Interview

Rencontre avec le Luxembourgeois qui dirige Moët Hennessy

Depuis 2017, Philippe Schaus est président et directeur général exécutif de Moët Hennessy, la branche vins et spiritueux du groupe LVMH.
Photo: Guy Jallay
Luxembourg 11 min. 06.02.2023
Interview

Rencontre avec le Luxembourgeois qui dirige Moët Hennessy

Marco MENG
Marco MENG
Comme beaucoup de jeunes, Philippe Schaus ne savait absolument pas, à 18 ans, ce qu'offrait le marché du travail. C'est par des détours qu'il est entré dans le groupe de produits de luxe LVMH.

Philippe Schaus, en tant que patron de Moët Hennessy, vous buvez certainement toujours du champagne au petit-déjeuner ? 

Non, je ne bois pas de champagne au petit-déjeuner, même si nous avons de superbes marques de champagne qui ont leur place à l'apéritif ou le soir au club ou encore au dîner. Une bouteille de Krug (du champagne, NDLR) avec du poisson, c'est fantastique. J'apprécie tous nos produits, mais avec modération.

Moët Hennessy fait partie du groupe Moët Hennessy-Louis Vuitton (LVMH). Comment êtes-vous entré dans l'entreprise ? 

De par votre formation, un tout autre chemin peut être tracé. J'en suis la preuve. De par ma formation, je suis en fait ingénieur en aéronautique, mais je n'ai jamais travaillé comme ingénieur. J'ai eu mon premier emploi dans une banque, chez JP Morgan à Bruxelles. 

Pourquoi avez-vous choisi d'être ingénieur dans ce domaine? 

Comme beaucoup de jeunes, je ne savais pas du tout, à 18 ans, ce qu'offrait le marché du travail, quels étaient les emplois disponibles. J'ai commencé des études d'ingénieur parce que j'aimais les mathématiques, la physique et le génie mécanique, les sciences en général. 

Le travail d'ingénieur pur ne m'enthousiasmait pas vraiment. 

Puis, au cours des études, j'ai un peu plus compris, grâce aux stages, quels étaient les emplois disponibles et s'ils pouvaient vraiment me plaire. Je n'étais pas très enthousiaste à l'idée de travailler en tant qu'ingénieur et je me suis tourné vers le secteur bancaire. Je l'ai fait pendant quelques années - et même si c'était un super job, une super entreprise, je me suis rendu compte que ce n'était pas non plus pour moi. 

Et ensuite? 

J'ai fait un Master of Business Administration, et c'est ainsi que j'ai rejoint le Boston Consulting Group à Munich. C'était très intéressant, car j'ai pu observer différentes entreprises. Un jour, j'ai travaillé sur un projet de restructuration d'une marque de mode en Suisse. Cela m'a énormément plu, car le sujet me passionnait: une marque internationale, des boutiques, la production, le design.


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Par l'intermédiaire d'une connaissance de mon père, je suis entré en contact avec l'entreprise Villeroy & Boch, où je suis devenu chef des ventes pour le secteur des arts de la table. Après avoir occupé ce poste pendant environ neuf ans, en créant également des filiales au Japon et en Chine, j'ai finalement rejoint LVMH, où je suis depuis 20 ans.

Comment y êtes-vous arrivé exactement? 

Grâce à un chasseur de têtes qui m'a contacté. C'est ainsi que je suis devenu chef des ventes pour l'Europe chez Louis Vuitton à Paris, puis chef des ventes et de la distribution au niveau mondial. Là, j'ai joué un rôle déterminant dans le développement de notre réseau mondial de boutiques, dans la modernisation de nos processus, mais aussi dans le lancement de nouvelles catégories comme la joaillerie. 

Mais même là, vous avez eu un jour envie de faire autre chose?

Oui, et LVMH m'a proposé d'aller à Hong Kong et de prendre la direction de l'entreprise DFS, c'est-à-dire Duty Free Shoppers. DFS se compose de magasins que l'on trouve par exemple dans les aéroports, mais aussi de grands magasins dans des centres touristiques comme Hawaï, Okinawa, Singapour ou Guam, et aussi à Macao. C'est pour cela que j'ai déménagé à Hong Kong et que j'ai fait ça pendant six ans. Nous avons fait sortir DFS de sa focalisation sur le discount et développé la marque de grands magasins de luxe T-Galleria. 

Pourquoi avez-vous ensuite quitté Hong Kong? 

LVMH m'a demandé de revenir pour prendre la direction de Moët Hennessy, ce que j'ai fait il y a cinq ans. J'y suis maintenant, et toujours heureux. 

En tant que patron de cette entreprise, il vous arrive effectivement de vous rendre dans des vignobles? 

Ce n'est pas moi qui choisis quel type de raisin planter à quel endroit, ni à quoi ressemble l'assemblage d'un certain type de vin. Mais oui, bien sûr: pour faire mon travail, pour diriger l'entreprise, je dois comprendre ce que font mes collaborateurs. 

Je suis donc souvent présent lors des vendanges. 

Ce qui est passionnant chez Moët Hennessy, c'est que nous allons vraiment du sol au consommateur. Rien qu'en Champagne, nous possédons 1.600 hectares de vignes, mais nous achetons également des raisins à des partenaires qui sont des viticulteurs indépendants. Cela représente environ 2.000 exploitations familiales, qui vendent par exemple du raisin à Veuve Clicquot ou Moët & Chandon depuis des générations, chaque année. Je suis souvent présent lors des vendanges. Il en va de même pour la Provence, où nous avons nos propres vignobles, le Château d'Esclans et le Château du Galoupet, mais où nous achetons également des raisins de qualité similaire chez des viticulteurs voisins. 

Est-ce que quelque chose a changé dans la production de vin et de champagne?

La production évolue en permanence. Nous avons ainsi augmenté la précision de l'ensemble du processus de production. Nous avons notamment investi dans le contrôle de la température lors de la fermentation, ce qui permet de contrôler entièrement la température dans les cuves de fermentation, ce qui contribue à une fermentation de meilleure qualité. Ou nous avons des machines qui permettent de trier de manière fiable et précise les raisins d'une vendange, afin de ne prendre que les meilleurs d'un domaine.

La technologie a beaucoup évolué ces dernières années. Aujourd'hui, les raisins sont parfois refroidis dès la récolte afin qu'ils ne restent pas trop longtemps chauds et que le processus de fermentation ne commence pas dans le champ. Tout cela pour optimiser le processus de fermentation. Je voudrais également mentionner que le traitement de nos vignobles est aujourd'hui beaucoup plus respectueux de l'environnement qu'il y a quelques années. En Champagne, par exemple, nous avons complètement abandonné les herbicides et les insecticides.

La consommation a-t-elle également changé? 

En ce qui concerne la consommation, il y a toujours des tendances, par exemple il y a aujourd'hui une certaine tendance à la tequila qui vient des États-Unis. Nous avons nous-mêmes notre propre tequila au Mexique, Volcan. Et en Europe, nous sentons à nouveau une tendance au cognac, un raisin clair qui acquiert sa couleur brune dans des fûts de chêne. 

La demande de champagne est également élevée, ce qui fait que nous avons parfois même des difficultés de livraison, car la production est limitée et ne peut pas être augmentée à volonté. 

Parfois, nous avons même des problèmes de livraison, car la production ne peut pas être augmentée à volonté. 

La terre nous donne ce qu'elle nous donne. L'année dernière, nous avons eu une très bonne récolte, et même une récolte record. L'année précédente n'a pas été aussi bonne.

Le champagne peut être considéré comme synonyme de luxe. Qu'est-ce que le luxe pour vous? 

Qu'est-ce que le luxe? Eh bien, le plus grand luxe est bien sûr le temps. Pour moi, le luxe, c'est quand je peux m'offrir une promenade en forêt. Pour moi, c'est un luxe, j'en profite. Mais bien sûr, la dégustation de nos vins et spiritueux est aussi quelque chose qui fait toujours partie du luxe pour moi aussi. 

À quoi ressemble votre travail quotidien ? Et quel est le défi particulier que vous devez relever? 

On n'est jamais aussi bon que son équipe. Et il s'agit de donner l'exemple d'une culture au quotidien et d'essayer d'encourager la prise d'initiative, l'empowerment. Il faut avoir une vision, il faut savoir où l'on va, il faut avoir certains standards et une culture de l'entraide. 

Nous avons environ 25 marques différentes et sommes donc également présents sur des marchés très différents. Et c'est ma tâche quotidienne: m'assurer que tout cela fonctionne ensemble, que nous avons la bonne stratégie, que nous avons la bonne culture, que nous avons les bonnes personnes et que l'interaction et la collaboration s'articulent correctement, afin que nous fassions le mieux possible dans tous les domaines, sur tous les marchés, avec toutes les marques. 

Et les marchés sont très différents? 

Oh oui, le marché belge n'est pas le marché néerlandais. Le marché chinois n'est pas le marché coréen, et le marché coréen n'est pas le marché japonais, tout comme le marché autrichien est différent du marché allemand. Cela signifie qu'il faut de bonnes personnes qui connaissent ces marchés et qui ont de bonnes relations avec nos partenaires. Nous venons de montrer de très bons résultats pour 2022, une croissance du chiffre d'affaires de 19% et une croissance de la rentabilité de 16%. Mais ce ne sont que les résultats du travail que nous avons accompli. 

C'est l'output. L'input, ce sont les équipes, l'organisation, l'innovation et tout ce que je peux faire pour augmenter la désirabilité de mes produits. 

Où voulez-vous mener l'entreprise? 

Lorsque je suis arrivé, je me suis fixé comme objectif de doubler la taille de l'entreprise en dix ans. Il semblerait que nous y soyons parvenus en moins de dix ans. Au-delà de cet objectif quantitatif, nous voulons que nos marques existent encore dans cent ans. 


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Vous savez, chez Moët Hennessy, nous avons une relation très particulière avec le temps. Nous produisons aujourd'hui du champagne Dom Pérignon et Krug, que nous mettons en cave pour ne le vendre que dans 10, 20 ou 30 ans. Oui, nous stockons aujourd'hui chez Hennessy des fûts qui ne seront en partie sortis que dans 100 ans. 

Nous avons encore des eaux de vie du 19e siècle dans nos caves. 

Inversement, nous retirons aujourd'hui de nos caves des «eaux de vie» qui ont été entreposées il y a 100 ans. Nous avons encore des eaux de vie du 19e siècle dans les caves, qui sont en partie utilisées pour faire des assemblages très particuliers.

Et l'objectif est vraiment que dans 100 ans, lorsque les marques quotidiennes d'aujourd'hui n'existeront plus, on puisse encore déguster du champagne Moët & Chandon, du cognac Hennessy et de la tequila Volcan. Je transmettrai un jour cette tâche à mon successeur, qui la transmettra à son tour à son successeur. Je trouve que c'est une tâche très motivante.

Cet article a initialement été publié sur le site du Luxemburger Wort.

(Traduction: Simon Martin)

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