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Quand le français slame, personne ne rame
Luxembourg 15 3 4 min. 20.03.2018 Cet article est archivé

Quand le français slame, personne ne rame

Quand le français slame, personne ne rame

Luxembourg 15 3 4 min. 20.03.2018 Cet article est archivé

Quand le français slame, personne ne rame

Maurice FICK
Maurice FICK
Ozarm et Ayun ont une arme pour ne pas que les lycéens rament en français: le slam. Pour fêter la francophonie, les deux slameurs écument trois jours durant les côtes luxembourgeoises et emmènent dans leur barque autant de trésors que de mots. Ce mardi ils ont accosté le quai de l'Ecole internationale de Differdange.

«Ma vie est très dure; Elle me bloque comme un mur; Je vis dans un monde de fou; On dirait qu'il y a un géant trou; Qui prend plus de la moitié; De notre Terre adorée», déclame d'un bloc, Marc, devant toute sa classe de la section francophone de l'Ecole internationale de Differdange. Les mots claquent et parlent. Les slams s'enchaînent. Les lycéens se déchaînent. Debout.

Ils parlent d'amour, de tristesse, de leurs profonds bobos et beaucoup, de ceux qui les entourent et qu'ils adorent. Leurs profs, leur petit frère, leur moitié, leur famille, leur mère. Le soleil du printemps caresse les joues. Tonnerre d'applaudissements dans la salle. A tout rompre. Dans la «classe aux mille accents» chacun a suivi, à sa manière et avec son bagout, les conseils de deux gourous du slam, Ayun (Hugo Ayala, de son vrai nom) et Ozarm (Cyril Detilleux): «Aujourd'hui vous pouvez dire n'importe quoi, c'est permis! A la seule condition que ça ait du sens».

Arrivés de Cergy-Pontoise en région parisienne, les deux profs du jour, particulièrement volubiles, ne sont pas venus déclamer leur spécialité mais «mettre à l'honneur la langue française, comme partout aujourd'hui dans le monde (c'est la Journée internationale de la francophonie, ndlr). On est ravi d'être avec vous et on va fêter ça avec le slam», lance Ayun aux élèves, en forme de «Ohé! attention ça va être à vous de jouer!»

L'idée de fêter la francophonie au Luxembourg via le slam en classe, «prend de plus en plus d'ampleur. Au départ, en 2013, ça s'est passé à l'Ecole de la deuxième chance. Cette année sont organisés sept ateliers de slam dans quatre établissements scolaires: à l'Athénée, au Lycée Michel Rodange, au Lycée Aline Mayrisch et à l'Ecole internationale de Differdange pour le première fois», résume Marina Daniel, attachée de coopération scientifique et universitaire à l'Institut français du Luxembourg. L'institut de l'Ambassade de France a initié le mouvement, porté au Luxembourg par l'Association Victor Hugo.

L'idée est simple comme un slam. Un mode d'expression qu'«ils ne connaissent pas très bien» mais qui permet de «jouer avec les mots», explique de sa voix douce et posée, Caroll Lemarié, professeur de français. Elle slalome d'une table à l'autre, pour placoter avec ceux qui tentent de coucher deux, deux trois idées sur un bout de papier. Même s'il est trop lu, le résultat final est souvent bluffant car «ils ont beaucoup de choses à nous dire», note l'attachée de direction en se détachant du groupe en ébullition, un instant:

Avant de poursuivre: «C'est par le biais d'atelier comme celui-ci qu'on va favoriser l'expression orale et qu'ils osent prendre la parole». Ayun et Ozarm ont les armes pour ne pas qu'ils rament, les élèves. D'autant que pour la grande majorité des vingt lycéens assis dans la barque, le français n'est pas la langue maternelle! C'est uniquement le cas pour sept d'entre eux. Les autres sont portugais, bulgare, anglais, égyptien et cetera.

«Ce qui est important c'est de parler de ce qui nous touche avec des mots à nous, c'est tout!» pose le truculent Ozarm en utilisant le langage qui parle aux ados. Celui du cœur. Pour désinhiber l'auditoire Ozarm et Ayun commencent par jouer avec lui. Pour faire remonter les mots à la surface et permettre au magma souterrain de faire éruption, rien de tel qu'une simple boule de papier. Lancée d'une main à l'autre, elle va déclencher une pluie de mots qui riment. La peinture appelle la voiture, la ceinture, la chaussure, le carbure mais aussi, moins terre à terre, la blessure ou la torture. Les lycéens s'étonnent eux-mêmes de la richesse de leur vocabulaire et de leur capacité à le faire jaillir:

Les deux Haroun Tazieff du slam profitent de l'éruption et corsent le jeu en exigeant, cette fois, des phrases qui se terminent par un mot en «-esse» comme sécheresse. Mais c'est bien à une inondation de mots, d'idées, d'oralité, de musicalité, qu'on assiste. Les mots fusent. C'est l'effusion.

Le moment que choisissent Ayun et Ozarm pour pousser le bouchon encore un peu plus loin en proposant aux lycéens de se lâcher carrément. Mieux, d'oser la jactance. Tout en essayant d'intégrer dans leur début de slam l'un des dix mots (soulignés en gras dans ce texte) de l'opération «dis-moi dix mots», une plateforme ressource pour sensibiliser à la francophonie.

Nos deux griots des mots, Ozram et Ayun, sillonneront trois jours durant à travers le Luxembourg pour susurrer subtilement à l'oreille des lycéens, les champs du possible que permettent de cultiver langue et culture françaises.

Deux heures sont passées, Ayun et Ozarm plient bagages. Tout au fond de la classe Joseph se lève et lance spontanément: «On ne peut pas faire ça tous les mardis?»


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C'est la journée internationale de la francophonie. A l'école internationale de Differdange mardi comme au Lënster Lycée à Junglinster ce mercredi, la francophonie se slame à voix haute avec la complicité d'Ozarm et Ayun.
Journées francophonies, ateliers slam pour les scolaires Ozarm & Ayun - Foto : Pierre Matgé/Luxemburger Wort