Pour les juifs, la cohésion sociale s'écrit en majuscules
Pour les juifs, la cohésion sociale s'écrit en majuscules
PAR MAURICE FICK
La communauté israélite compte environ 1.200 personnes même si davantage de familles juives vivent au Luxembourg. Des juifs qui viennent de différents horizons et vivent ici leur foi au sein de deux communautés religieuses: l'une traditionaliste implantée à Luxembourg, l'autre plus libérale qui fréquente la synagogue d'Esch-sur-Alzette. Comment évolue la communauté israélite? Se sent-elle en sécurité au Luxembourg? Est-elle satisfaite de la nouvelle convention signée avec le gouvernement Bettel?
A la question «en quoi croit un juif?», Alain Nacache, le grand-rabbin de Luxembourg, répond le plus simplement du monde: «Un juif, a priori, doit croire en sa volonté de bonification du monde, parce que c'est la découverte d'Abraham, de Moïse, des patriarches. L'important, n'est pas le but mais c'est la marche. Abraham quitte tout pour aller quelque part. Tous nos patriarches ont insisté sur ce point: avoir foi en Dieu, c'est poursuivre le chemin, quoi qu'il arrive».
Debout en costume dans la synagogue de Luxembourg où il vient d'accueillir un groupe d'enfants catholiques qui préparent leur première communion, le grand-rabbin résume dans un large sourire: «l'objectif premier du judaïsme est la cohésion sociale. Elle cherche à faire en sorte que la communauté des Hommes vive en osmose».
Comme ailleurs, la communauté juive de Luxembourg se compose d'un éventail qui va de l'ultra-pratiquant jusqu'à ceux qui ne vont jamais ou que très rarement à la synagogue mais qui se sentent pourtant juifs. Grosso-modo, la communauté israélite luxembourgeoise se compose en ce début 2015 de «300 familles, ce qui représente approximativement 1.200 personnes», résume Claude Marx, le président du Consistoire israélite du Luxembourg, dont la fonction est de gérer la communauté sous tous ses aspects et d'assurer le liens avec les autorités locales. Les familles dont il parle sont celles qui sont inscrites à la communauté.
Historiquement, on retiendra qu'un tiers de la population juive luxembourgeoise a disparu pendant la Seconde Guerre mondiale! En mai 1940, la communauté juive comptait près de 4.000 personnes. Mais la mémoire de la Shoah fait que soixante-dix ans plus tard, la communauté n'établit plus de listes de personnes et préfère donner des chiffres "à la louche". De sorte qu'il est difficile de savoir combien de juifs sont réellement établis sur le territoire.
Deux communautés aux obédiences divergentes
Dans les faits, la communauté israélite se compose de deux groupes aux obédiences divergentes. Leur liturgie n'est pas similaire mais les fondamentaux sont les mêmes. Il y a la communauté traditionaliste de Luxembourg et la communauté libérale d'Esch-sur-Alzette, ralliée par des membres plus anglophones. Discrète, il y a aussi à Luxembourg-ville une petite communauté Loubavitch.
La plus ancienne -elle s'est constituée au lendemain de la Révolution française puisque les juifs étaient exclus du Luxembourg entre 1391 et 1795- est la communauté israélite de Luxembourg où officient le grand-rabbin (recruté par le Consistoire) et un ministre officiant. Démographiquement, la communauté stagne. Au cours des quatre années écoulées «nous avons accueilli entre 12 et 15 nouvelles familles. Le constat que l'on peut faire est que les jeunes sont essentiellement d'origine sépharades. Mais quelques familles ont aussi quitté la communauté pour aller s'installer en Israël, aux Etats-Unis, etc.», résume Claude Marx.
A Esch-sur-Alzette, en revanche, la communauté israélite est en plein boom! «On a de plus en plus de monde qui vient. Nous sommes en très forte croissance», assure Robi Wolf le président de cette communauté autonome. Sa particularité est d'être d'obédience libérale et de rassembler les juifs anglophones. Un rabbin britannique y a officié de nombreuses années avant de s'envoler vers Singapour en début d'année. Le recrutement de son successeur qui officiera également en anglais, est en cours.
«Les femmes comptent autant que les hommes»
Mais l'anglais n'explique pas à lui seul ce sursaut alors que la synagogue eschoise était encore à deux doigts de la fermeture il y a à peine six ans! Si des Luxembourgeois, Thionvillois, Messins et Nancéens y convergent aujourd'hui, il y a aussi l'Université «qui amène beaucoup de nouveaux, étudiants comme enseignants». La communauté est internationale: il y a des gens d'Amérique latine, d'Angleterre, d'Amérique. Beaucoup viennent travailler au Luxembourg. «Il y a aussi de jeunes familles françaises car la vie est peut-être plus agréable à Luxembourg qu'à Paris... il y a moins de stress. Le Luxembourg a une bonne renommée pour les familles avec enfants», sait Robi Wolf.
Dans une communauté libérale, «les femmes comptent autant que les hommes. Elles ont les mêmes droits et les mêmes privilèges», explique Robi Wolf. Et il exemplifie. Tandis que dans une synagogue traditionaliste «il faut dix hommes pour faire un office religieux, chez nous, il faut dix personnes: hommes ou femmes». Autre différence: «Chez nous, les jeunes filles font la même chose que les jeunes garçons. A 13 ans, elles sont appelées à faire leur Bat Mitsvah (la communion)».
Alors qu'en France et Belgique, les communautés traditionalistes et libérales ne s'entendent pas, au Luxembourg ça se passe très bien entre elles. «Le grand rabbin vient à Esch. Nous allons à Luxembourg. Il y a des mariages où les deux rabbins officient. C'est une osmose entre les deux communautés malgré les spécificités de chacune», résume Robi Wolf. Son ami Claude Marx explique que tous adhèrent «aux valeurs communes du peuple juif, c'est-à-dire à tout ce qui touche les dix commandements et tous les enseignements qui découlent du Talmud. La gestion des relations entre humains est extrêmement importante».
Dans le judaïsme, le temps fort de la semaine est le Chabbat. Un jour hors du temps qui démarre le vendredi soir juste avant le coucher du soleil et se prolonge jusqu'au samedi, un peu après le coucher du soleil. On se retrouve en famille et la communauté se retrouve à la synagogue le vendredi soir. «Il y a une causerie du rabbin qui porte généralement sur le passage de la Torah du lendemain», résume Claude Marx.
A Chabbat, on profite les uns des autres. Alain Nacache, le grand-rabbin parle du Chabbat comme d'«une définition affective de soi. Il ne reste que les gens qui vous aiment et ceux que vous aimez en retour. A Chabbat, il n'y a pas de téléphone portable, d'ordinateur, de télévision ou de voiture, rien!» Pas même d'appareil photos pour prendre quelques clichés dans la synagogue de l'avenue Monterey comme wort.lu en a fait l'expérience. «Un jour par semaine on ne doit pas être là-dedans sans quoi on va perdre la définition affective», explique le grand-rabbin avant de prévenir: «Il faut le marquer dans la régularité sans quoi ça n'existe pas».
Les juifs se sentent-ils menacés au Luxembourg?
Depuis les attaques de janvier à Paris et de la mi-février à Copenhague, la communauté juive est évidemment inquiète. Mais comme tout le monde: «Nous ne nous sentons pas nécessairement plus des cibles que le commun des mortels», explique le président du Consistoire israélite. Ce qui est essentiel à ses yeux aujourd'hui est que «nos institutions continuent de fonctionner, tout comme les cours de religion, les offices, bref... que la vie continue! Au fond, ce que veulent les gens en face de nous est que ça s'arrête».
«Il n'y a pas de sentiment d'insécurité par rapport au Luxembourg. Mais nous savons aujourd'hui que les frontières sont poreuses et que le Luxembourg reste une cible potentielle pour les terroristes. Le fait que nous n'ayons pas au Luxembourg de ghettos où des jeunes se sentent frustrés, humiliés, n'ont pas de travail, ont des revendications -c'est le terreau du djihadisme qui sévit en France et en Belgique- est extrêmement important», analyse Claude Marx.
Fait est que «nous sommes une communauté à risques», sait bien le président du Consistoire. Discrètement, un service de sécurité veille aux mouvements autour de la synagogue à Luxembourg mais aussi à Esch. Une sécurité créée par le président du Consistoire israélite au lendemain de l'attentat meurtrier devant la synagogue de la rue Copernic à Paris en 1980. Car «en règle général, il y a rarement eu des attentats contre des lieux de cultes où il y a une sécurité».
L'enveloppe de l'Etat est-elle suffisante?
Via la nouvelle convention signée entre l'Etat et les communautés religieuses établies au Luxembourg, une enveloppe annuelle de 315.000 euros est désormais attribuée au culte israélite. Mais est-ce vraiment suffisant aux yeux du président du Consistoire? La somme «représente environ 25% de moins que ce que nous avions avant. Même si nous n'étions pas les payeurs des gens que nous employions. C'était le gouvernement», explique Claude Marx. Avant de relativiser: «Nous n'avons pas a être contents ou pas... Nous sommes déjà contents qu'il n'y ait pas eu de rupture complète» entre Etat et cultes.
Le président du Consistoire israélite explique qu'en réalité, la communauté juive met la main au portefeuille puisqu'une « grande partie de notre fonctionnement est déjà assuré par les contributions» ne serait-ce que pour financer l'éducation Talmud-Torah, l'éducation religieuse.
Au sein de la communauté juive luxembourgeoise, chaque membre verse une «contribution importante» pour le bon fonctionnement. Cette contribution versée annuellement est «modulée en fonction du revenu et de la situation familiale de chacun. Tout ça est discuté entre nous».
De sorte que les 315.000 euros versés par l'Etat permettent, et c'est prévu ainsi dans la convention, de financer les services de quatre personnes: le grand-rabbin de Luxembourg, le rabbin d'Esch-sur-Alzette, le ministre officiant et le secrétaire du Consistoire.
