Passerell milite toujours pour le respect des droits humains
Passerell milite toujours pour le respect des droits humains
Crée en février 2016 à l'initiative de Catherine Warin et Cassie Adélaïde, l’asbl Passerell a pour vocation première de mettre en relation des résidents et des réfugiés pour faciliter l’intégration de ces derniers; mais aussi d'apporter une aide juridique pour les demandeurs d’asile. Et que de chemin parcouru depuis lors, malgré une pandémie mondiale ayant arrêté le cours de bon nombre d'activités.
Ce ne sont pas Ambre Schultz, coordinatrice de projets et Marion Dubois, chargée de projets, qui diront le contraire. Arrivées respectivement en 2018 et en 2020, les deux jeunes femmes ont des parcours assez similaires, puisqu'elles sont toutes les deux diplômées de Sciences Po en relations internationales. Elles expliquent être trois personnes à travailler à temps plein au QG (avec la dernière recrue, Lise Aylin Kaya, juriste spécialisée en droit des étrangers, réfugiés et apatrides). Elles rêvent de voir l'équipe s'étendre, «jusqu'à au moins dix personnes dans un monde idéal» afin de répondre au mieux aux sollicitations de plus en plus nombreuses de leurs bénéficiaires.
Ecoute, pédagogie et recul
S'il fallait retenir une donnée essentielle de leur travail, ce serait l'écoute pour Ambre Schultz. Et si cela s'avère nécessaire, cela reste surtout «la plus grande difficulté».
«Ecouter ce que certaines personnes ont à raconter peut être éprouvant pour le mental. Parfois, quand des personnes viennent à nous, elles ont juste besoin d’une information et il n’y a pas forcément de suivi sur plusieurs mois, mais dans la majorité des cas, que ce soit pour un regroupement familial, une procédure de demande d’asile ou dans le cadre d'une procédure Dublin, donc d’irrecevabilité d'une demande d'asile, là cela nécessite un très grand travail d’écoute avant un travail de recherche juridique.»
Des informations précieuses et nécessaires sur le vécu des personnes qui aident ensuite l'équipe à travailler afin de «lier l’aspect légal à l’histoire humaine de ces personnes».
Beaucoup de personnes qui arrivent sont résilientes, mais c’est le temps d’attente pendant les procédures qui élime leur énergie.
Ambre Schultz, coordinatrice de projets
Malgré cela, Ambre Schultz déplore que dans certains cas, quand des personnes viennent les voir, «elles sont déjà à un stade où légalement on ne peut plus rien faire pour elles». Elle précise alors qu'«une grande partie de [leur] travail consiste à faire preuve d’une certaine pédagogie, d’expliquer aux personnes le pourquoi du comment des choses, expliquer un refus des tribunaux et de la cour administrative et ce sur quoi ils se fondent.»
Des refus qui sont parfois «très violents» pour les personnes dans leur formulation selon la coordinatrice de projets, en contraste avec les témoignages sur lesquels ils sont fondés. «Les gens qui viennent nous voir sont partis de chez eux car ils fuyaient des persécutions. La convention de Genève a été créée pour cela, la protection subsidiaire que ces gens demandent part de là. Et ça peut être éprouvant et frustrant de ne plus avoir de recours pour les aider, il faut savoir accepter certains cas et continuer notre travail en dépit de cela.»
L'urgence de considérer la santé mentale des réfugiés
Du covid et des lockdowns, Ambre Schultz admet volontiers qu'«au début, c’était quelque chose qui faisait peur à tout le monde». Mais elle insiste pour dire que cette angoisse était «accentuée» chez leurs bénéficiaires.
«Il y avait ce besoin d’informations et d’accès à l’information, sachant que toutes les personnes ne maîtrisent pas au moins une des trois langues véhiculaires du pays. Puis, il faut garder en tête que ces personnes sont logées dans des foyers pour demandeurs de protection internationale, dans lesquels il existe une promiscuité certaine, et qu'en plus, les procédures étaient toutes ralenties à ce moment-là, du côté du ministère et des tribunaux.»
Pour rappel, dans un processus de demande de protection et d'asile, il faut d’abord déposer une demande de protection internationale, attendre ensuite d’avoir un rendez-vous pour faire le témoignage sur lequel se basera la décision des autorités et ensuite attendre la réponse finale. Un cheminement qui peut durer entre une et quatre années en moyenne.
«Être en foyer constamment, et tourner en boucle avec le ministère, le foyer et l’avocat, ça use mentalement. Beaucoup de personnes qui arrivent sont résilientes, mais c’est le temps d’attente pendant les procédures qui élime leur énergie.»
Nous militons pour une réelle détection des vulnérabilités dès le début de la procédure des bénéficiaires, pour que cela ait un effet sur l’état de santé des personnes et puisse avoir un impact sur la procédure.
Ambre Schultz, coordinatrice de projets
Et parmi toutes ces personnes, il y en a «avec des problèmes de santé mentale, qui sont en état de choc post traumatique suite à des épreuves subies dans leur pays d’origine ou sur le chemin de l’exil. Tout a été exacerbé pour ces personnes lors de l’état d’urgence déclaré lors de la crise sanitaire.»
Selon Ambre Schultz, «on manque au Luxembourg de soins de santé mentale adapté à cette tranche de personnes. Nous militons pour une réelle détection des vulnérabilités dès le début de la procédure des bénéficiaires, pour que cela ait un effet sur l’état de santé des personnes et puisse avoir un impact sur la procédure. Dans la loi, il est bien inscrit qu’il est possible de faire valoir son état de vulnérabilité sur certains critères dans la procédure pour avoir des dispositions et des garanties plus favorables.»
Une problématique sur laquelle il faudra très vite se pencher, car selon elle, «les réfugiés ukrainiens, qui arrivent avec un lourd passif après avoir vu leurs villes détruites, subi des violences, des sévices sexuels et le décès de proches. Ils auront eux aussi besoin de beaucoup de soutien.»
Le cas des réfugiés ukrainiens, porteur d'espoir
Drame d'ampleur causant actuellement de grands désordres géopolitiques, la guerre en Ukraine qui a amené des Ukrainiens à venir demander l'asile au Luxembourg redonne d'ailleurs paradoxalement de l'espoir à l'équipe de Passerell.
«On a constaté qu’il y a eu au moins l'ouverture de 18 foyers, qui ont été mis à disposition, notamment par des communes pour accueillir au mieux les Ukrainiens. Cela prouve que c’est possible de mobiliser des lieux d’hébergement et d'observer de grands élans de solidarité. Encore reste-t-il la question des loyers abordables et pas que pour les réfugiés. Les personnes qui ont le statut ne peuvent pas aller vivre en France. Ils ne peuvent pas être frontaliers, ce n’est pas possible, il faut un titre de séjour pour ça. Si on est refusé d’asile quelque part, on est fiché et refusé partout en Europe et si on l’a quelque part, ce n’est valable que dans l’Etat membre donné.»
Cependant, Marion Dubois s'inquiète de la demande croissante d'aide des réfugiés ukrainiens par rapport à la taille actuelle de leur effectif: «Pour le moment ça va crescendo, mais nous ne sommes que trois personnes à travailler à plein temps et pour donner un ordre d’idée, les personnes qui ont fui l’Ukraine qui viennent nous poser des questions représentent maintenant la moitié des personnes que l'on reçoit tous les jours.» Une cagnotte a en conséquence été ouverte, car l'asbl ne possède pas encore de ressources financières pérennes suffisantes pour parer à toutes les situations.
C’est pourtant nécessaire de ne pas oublier les autres. Tous les exilés fuient la persécution. Il n’y pas de différence à faire là-dessus, il faut faire attention à ne pas donner l’impression d’un accueil à deux vitesses.
Ambre Schultz, coordinatrice de projets
Ambre Schultz ajoute que «c’est pourtant nécessaire de ne pas oublier les autres. Tous les exilés fuient la persécution il n’y a pas de différence à faire là-dessus, il faut faire attention à ne pas donner l’impression d’un accueil à deux vitesses. La différence majeure qu'on observe actuellement se fait au niveau de l'AOT dont ont besoin les demandeurs, l'autorisation d'occupation temporaire, qui est très contraignante parce qu'elle nécessite un test de marché en plus d'une attente de six mois avant de pouvoir travailler quand on est demandeur d'asile.» Elle se réjouit toutefois que les discussions de la dernière tripartite aient annoncé la suppression du test de marché, mais déplore que la période d'attente de six mois persiste.
Un véritable contraste donc avec les réfugiés ukrainiens qui peuvent d'ores et déjà chercher du travail, puisqu'ils bénéficient pour leur part du statut de «protection temporaire, un vieux texte de 2001, mais mis en place pour la première fois en Europe avec la guerre en Ukraine. Il va y avoir des ajustements à faire, pour voir comment ça va se passer au niveau du regroupement familial par exemple mais aussi au niveau de l’articulation entre les Etats membres de l'UE.» De quoi relancer le débat sur l'accueil des réfugiés en Europe.
La convention d'Istanbul, fer de lance de l'association
Quand elles ne reçoivent pas de bénéficiaires pour le suivi de leurs dossiers, Ambre Schultz et Marion Dubois travaillent avec «un peu plus de 40 bénévoles, juristes, avocats et académiques».
«Ils nous aident pour des recherches ponctuelles pour certains cas, comme la directive de protection temporaire en ce moment. Mais ceci à part, nous avons vraiment développé une certaine expertise sur les droits fondamentaux au fil du temps, en particulier tout ce qui touche aux droits des personnes victimes de violences basées sur le genre.»
Dans ce combat pour la reconnaissance des victimes, un appui, la convention d’Istanbul, la première qui instaure un cadre juridique pour parler des violences faites aux femmes, en passant du mariage forcé aux mutilations sexuelles, les crimes sur l’honneur, les violences domestiques et les viols.
Nous avons lu des jugements des juridictions administratives qui écartaient la convention d’Istanbul, en inculquant les violences non pas à la condition de femme des demandeuses mais au caractère agressif de l’auteur de la violence.
Marion Dubois, chargée de projets
«Pour les femmes migrantes sans papiers et demandeuses d’asile, elles sont les plus exposées à ce genre d'horreur». Pourtant, explique Marion Dubois, «au Luxembourg, qui a ratifié le texte en 2018, on observe beaucoup de cas où il n’est pas appliqué. Nous avons lu des jugements des juridictions administratives qui écartaient la convention d’Istanbul, en inculquant les violences non pas à la condition de femme des demandeuses mais au caractère agressif de l’auteur de la violence.»
Elle se rappelle aussi du cas d'une femme ayant fui un mariage forcé et où la cour lui a rétorqué qu'elle était au Luxembourg «pour raison économique et par pure convenance personnelle et que de plus, les motifs invoqués ne rentrent pas dans la convention de Genève et que c’est un problème familial... C’est très choquant et encore plus difficile de l’expliquer avec quelqu’un en face de nous, mais c'est surtout en totale contradiction avec les engagements internationaux pris par le Luxembourg.»
Raison pour laquelle l'asbl proposera une conférence-débat le samedi 7 mai à 13h dans le cadre du 39e Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté au CEPA, afin de toucher un plus large public pour le sensibiliser à ces questions. L'occasion également de promouvoir le livre «Réhumanisez-moi», récit de neuf vies touchées par l'exil dont la promotion initiale avait été érodée par le premier confinement de 2020.
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