«Parfois je me dis que nous sommes en plein rêve»
«Parfois je me dis que nous sommes en plein rêve»
Par Sophie Wiessler
Souvenez-vous, nous les avions rencontrés il y a un an au foyer de Weilerbach, à peine un mois après leur arrivée au Luxembourg. Nous les avions appelés Zahid et Yamina, à leur demande. La peur était encore trop grande, alors qu'ils venaient de quitter leur foyer.
En 2013, leur ville, Alep, est envahie par des troupes, les «barbus» comme ils les appellent. Zahid et sa famille pensent naïvement que cela ne les touchera pas. «Pourquoi on viendrait me tuer? Nous n'avions nulle part où aller de toute manière.»
Un matin va radicalement changer sa vision des choses. Alors qu'il boit son café, un cri retentit dehors: «Allah Akbar!» Les balles sifflent dans les airs, le sang coule et sa famille pleure toutes les larmes de son corps. «Je n'arrivais pas à croire que c'était réel. Il fallait partir.»
Zahid et Yamina sont de confession musulmane, mais ne pratiquent pas. «La religion n'est pas importante pour nous. Nous ne faisons pas le ramadan par exemple.» Cette guerre n'était pas la leur.
Avec leur famille, ils traversent la Syrie, puis la Turquie, où ils vont vivre quelque temps. Des temps difficiles, un «véritable enfer». C'est finalement au Luxembourg qu'une échappatoire s'est créée et qu'ils ont pu se reconstruire une nouvelle vie.
Aujourd'hui, Nazir et Shireen, de leurs vrais noms, n'ont plus peur, et ont accepté de nous revoir, un an après leur arrivée au pays. Que sont-ils devenus? Comment se passe la vie au Grand-Duché?
«C'est beaucoup plus beau qu'à Weilerbach»
Nazir nous attend devant la porte de sa maison. Vêtu d'un polo rose et d'un bermuda, il sourit en nous lançant un grand "bonjour". C'est la première fois qu'il nous parle en français. A Weilerbach l'an dernier, nous avions besoin d'un traducteur arabe pour communiquer. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Toute la famille parle plus ou moins bien le français.
Sa femme et lui nous accueillent chaleureusement dans leur maison. Ils y habitent depuis le mois de septembre 2015. Cela fera bientôt un an. Tout deux s'estiment extrêmement chanceux d'être là aujourd'hui. «Nous sommes très contents. Le loyer de la maison est un peu cher, mais le gouvernement luxembourgeois nous aide. Mon frère vit déjà ici, au rez-de-chaussée de la maison: c'était important pour nous de rejoindre une partie de notre famille».
Shireen n'hésite pas à nous faire visiter : les 3 chambres, la cuisine aménagée, le salon, leur potager à l'arrière de la maison. Elle est très heureuse de nous montrer sa rhubarbe, ses pommes de terre et ses tomates. Un petit jardin est situé à l'avant, avec de jolies fleurs qui poussent tout doucement. « Nous n'avions pas le temps de faire tout ça avant. C'est un réel plaisir. Et puis, il pleut beaucoup au Luxembourg, ça aide » glisse-t-elle en riant.
Il y a très peu de meubles dans les pièces de la maison, seulement le strict minimum. Une table pour manger, un canapé, une petite télévision, où les informations résonnent en allemand, des lits et des armoires, pour ranger le linge. Rien d'autre.
Une habitation simple, pour une vie à son image. «Nous voulons vivre simplement, sans créer aucune tension ou complication autour de nous. On nous aide et c'est déjà largement suffisant pour vivre, on ne veut pas plus», souligne Nazir. «Ici c'est beaucoup mieux qu'à Weilebarch. Nous étions quand même très heureux d'être là-bas, mais nous l'étions encore plus en arrivant dans cette ville et notre nouvelle maison».
Ils pourront occuper cet appartement au maximum trois ans. Ce sera ensuite à eux de trouver un nouveau logement et de subvenir à leurs besoins. Une perspective qui effraie un peu le chef de famille. «Je ne sais pas encore comment nous allons faire pour trouver un autre appartement. Pour l'instant on évite d'y penser mais c'est une perspective effrayante».
«Après le français, je veux apprendre le luxembourgeois»
Nazir prend des cours de français trois fois par semaine. «Je suis en niveau A2 pour le moment», détaille-t-il. Mais c'est bien connu, le français n'est pas une langue facile à apprendre. Le père de famille prendra des cours intensifs durant les vacances d'été. «Je veux progresser plus vite. J'essaie de parler en français dès que je sors de chez moi : au magasin, à la poste... C'est difficile parce que chez nous, nous parlons kurde. Il faudrait que l'on parle davantage en français».
Leurs quatre enfants vont à l'école dans la commune qu'ils habitent. Ils parlent désormais le français et ont des notions d'allemand et de luxembourgeois. Le jour de notre visite, l'une de ces filles rentre de l'école avec un mot de la maîtresse, destiné aux parents. Son père éprouve une légère difficulté à comprendre le texte et nous demande de l'aide. Le fils, tout juste rentré de l'école, s’attelle déjà à ses devoirs sur la table, livre en main. Ce n'est visiblement pas la motivation qui manque à cette famille.
Nazir souhaite en effet reprendre ses études, à l'université de Luxembourg. L'ancien avocat veut s'inscrire en master spécialité «gouvernance européenne». «Je ne veux pas rester à la maison à ne rien faire. Je veux travailler, faire mon métier et rendre au gouvernement luxembourgeois tout ce qu'ils nous a donné».
A long terme, c'est le luxembourgeois qu'il veut apprendre. «C'est très important pour moi. Si on veut rester dans un pays, il faut apprendre sa langue. Je paierai pour cela, dès que je le pourrai, je prendrai des cours de luxembourgeois», assure-t-il avec conviction.
«C'est un peu le paradis ici, au Luxembourg»
En attendant de maîtriser la langue et de trouver du travail, Nazir et sa famille profitent de la vie au Luxembourg. Promenades le week-end, matchs de football du garçon, rencontres avec les voisins ou habitants du pays... Shireen est elle aussi ravie de pouvoir à nouveau avoir une vie de mère au foyer. «Je leur fais des petits plats entre midi et deux, lorsqu'ils rentrent de l'école. Ce sont des petites choses qu'on ne pouvait plus faire avant»
Lorsque l'on aborde le sujet de la guerre en Syrie, Nazir balaie ces interrogations d'un geste de la main. «On veut oublier ce qui s'est passé là-bas. Quand ça passe aux informations à la télévision, on zappe», explique-t-il. Il prend parfois des nouvelles de ses parents, qui eux, sont restés au pays. Ils ne les rejoindront pas. Trop âgés, ils restent en Syrie. «Mais ils sont très heureux que nous soyons au Luxembourg, loin de tout ce qui se passe là-bas», assure-t-il.
Nazir se remémore le premier jour où ils sont arrivés dans leur nouvelle maison. Pour immortaliser le moment, il a pris une photo avec son smartphone et l'a postée sur les réseaux sociaux. « C'est le paradis ici», a-t-il ajouté comme légende. Pour lui et sa famille, il n'y a rien à changer au Grand-Duché. «Parfois, je me dis que nous sommes en plein rêve. Je veux simplement que la paix et la sécurité perdurent sur le Luxembourg et ses habitants», nous confie-t-il.
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