«Nous allons faire tomber ces frontières qui divisent»
«Nous allons faire tomber ces frontières qui divisent»
Intimement lié à la Grande Région, l'avenir du Luxembourg doit rester marqué par la croissance de sa population au cours des trois prochaines décennies, selon les dernières prévisions de l'Observatoire interrégional du marché du travail. Si la barre symbolique du million d'habitants ne devrait pas être franchie d'ici 2050, elle s'approchera à grands pas. Mais d'ici là, le Grand-Duché ambitionne d'afficher un autre visage, selon Claude Turmes (Déi Gréng), ministre de l'Aménagement du territoire.
Au cours des prochaines décennies, le Luxembourg doit encore rester le moteur économique de la Grande Région et donc attirer à lui plus de résidents et plus de frontaliers. Cette prévision constitue-t-elle une surprise pour vous?
Claude Turmes - «Non. Mais il faut remettre cette question dans une perspective historique, puisque le Grand-Duché est, depuis le début de la sidérurgie, un centre d'attraction. Le jour où l'attractivité des services financiers au Luxembourg disparaîtra, je ne crois pas qu'une Place florissante verra le jour à Arlon, Metz ou Trèves.
Donc nous sommes et resterons le moteur de cet espace car nous concentrons un savoir-faire obtenu grâce aux efforts cumulés des résidents et des frontaliers allemands, belges et français. Mais aussi parce que nous sommes un pays attrayant non seulement sur le plan économique, mais aussi en termes de qualité de vie.
Quelle stratégie allez-vous mettre en place pour permettre de maintenir cette qualité de vie dans un pays qui sera presque peuplé par un million d'habitants dans 30 ans?
«Je n'aime pas trop ce chiffre d'un million d'habitants, car il est un peu connoté dans le débat luxembourgeois. Ce qui est important, c'est de parvenir à trouver des équilibres à plusieurs niveaux. Non seulement sur le territoire du Grand-Duché, mais aussi dans ses environs immédiats. Sur le plan national, nous ne voulons pas seulement avoir un pôle de développement qui se nommerait Ville de Luxembourg et sa périphérie, mais bel et bien développer la région Sud, mais aussi la Nordstad.
En parallèle, il nous semble clair que nous devons penser notre aménagement du territoire via ce que nous appelons une aire fonctionnelle. C'est-à-dire un espace plus petit que celui de la Grande Région mais qui doit être doté d'infrastructures adaptées pour permettre de créer un espace attrayant, connecté et doté d'une haute qualité de vie.
De quelles infrastructures est-il ici question?
«Le télétravail et le développement d'espaces de coworking figurent dans la liste, tout comme l'amélioration des transports publics qui sera notable. Nous devons aussi dynamiser le marché du logement abordable pour augmenter le stock disponible. Et pour cela, nous devons travailler avec les communes proches des frontières, car le risque de voir les personnes aux revenus les plus bas repoussées de plus en plus loin existe. C'est une vraie problématique. J'observe que les friches industrielles qui sont en cours de revalorisation côté luxembourgeois existent aussi de l'autre côté. Il existe donc de la place pour construire sans nuire aux espaces naturels.
Un projet de métropole transfrontalière allant dans ce sens a été présenté en janvier 2020. Que répondez-vous aux critiques quant à une potentielle perte de souveraineté nationale?
«C'est là où le Luxembourg possède l'avantage d'être une nation ayant une place à Bruxelles, puisque mon prédécesseur - Camille Gira (Déi Gréng), ndlr -, a introduit une proposition de directive européenne destinée à ce que l'UE permette la création d'entités qui fédèrent. D'ici un an, un an et demi, nous espérons pouvoir mettre en place concrètement des zones d'activité ou des écoles transfrontalières. Sur le plan juridique, nous allons donc faire tomber ces frontières qui divisent.
La pandémie a amené à une prise de conscience de l'interdépendance entre le Luxembourg et les régions proches, nous devons maintenant avancer concrètement. Cela passera notamment par l'utilisation de fonds européens, à hauteur de 220 millions d'euros, pour mettre en oeuvre des grands axes communs. Lors du dernier sommet de la Grande Région, l'accent a été mis sur l'économie circulaire et sur une transition vers des territoires décarbonisés.
Ce qui se traduira par quels changements concrets d'ici à l'horizon 2050?
«Pour se tourner vers l'avenir, il faut s'ancrer sur ses points forts. Donc la diversification de la Place est importante avec le développement des fintechs et des fonds verts, mais l'industrie est importante également. Cela va se traduire notamment par la mise en place d'une politique de construction favorisant le bois. Non seulement car le recours au bois permet de réduire les émissions de CO2 et de construire plus rapidement les logements dont le pays a besoin, mais cela va aider à mettre en place une chaîne de valorisation régionale.
Si cette dernière existe aussi bien au Luxembourg qu'en Rhénanie-Palatinat, en Lorraine et en Wallonie, elle a été déstructurée par 30 années d'aberration globale liée à la mondialisation. L'idée consiste donc à utiliser le marché porteur qu'est le Luxembourg pour la construction en bois afin de créer, à une échelle plus réduite, des produits à haute valeur ajoutée.
L'aménagement du territoire relève du temps long, pas forcément compatible avec les attentes des citoyens. Quelles sont vos priorités pour tenter d'apporter un changement réel?
«Toute bonne politique doit se penser sur le long terme. Notre défi, c'est que nous arrivions à la neutralité carbone en 2050 au plus tard. Pour les problématiques actuelles, comme le manque de logements abordables, la réponse tient dans les plans sectoriels qui prévoient notamment la réutilisation d'anciennes friches plutôt que de construire sur des terrains vierges, mais aussi qui font que les nouvelles constructions devront se situer à côté d'infrastructures existantes. Ces mesures vont permettre de créer rapidement 50.000 logements, dont 15.000 à 20.000 logements abordables.
Donc une densification du territoire...
«Oui. On peut densifier, mais cela doit se faire de manière qualitative. Le défi consiste à créer des espaces de rencontre pour que les échanges, les solidarités et les innovations voient le jour. Cette notion va être très importante pour beaucoup de choses, dont celle de la cohésion sociale.
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