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Une prison qui se veut à visage humain à Sanem
Luxembourg 4 9 min. 30.11.2022
Inauguration

Une prison qui se veut à visage humain à Sanem

C'est le Grand-Duc lui-même qui a coupé le ruban lors de l'inauguration de la nouvelle prison de Sanem.
Inauguration

Une prison qui se veut à visage humain à Sanem

C'est le Grand-Duc lui-même qui a coupé le ruban lors de l'inauguration de la nouvelle prison de Sanem.
Photo: Chris Karaba
Luxembourg 4 9 min. 30.11.2022
Inauguration

Une prison qui se veut à visage humain à Sanem

Le nouveau centre pénitentiaire Uerschterhaff à Sanem vise à désengorger la prison de Schrassig. Mais il fait l'objet d'un certain nombre de critiques.

Par Thomas Berthol et Mélodie Mouzon

Il y avait du beau monde ce mercredi pour inaugurer le centre pénitentiaire d'Uerschterhaff à Sanem, la troisième prison du pays. Le grand-duc Henri s'était déplacé en personne pour assister à l'événement, ainsi que plusieurs ministres et députés. Ce sont cependant des cellules vides qui ont été inaugurées puisque les premiers détenus sont attendus la semaine prochaine. La nouvelle maison d'arrêt accueillera exclusivement des hommes placés en détention provisoire, c'est-à-dire des suspects qui sont détenus sur ordre d'un juge d'instruction dans le cadre d'enquêtes en cours.


Manifestation pour l'inauguration de la prison de Sanem
Pour plusieurs associations venant en aide aux détenus, cette nouvelle prison est un non-sens complet.

Jusqu'à présent, les détenus en attente de jugement étaient séparés des condamnés à Schrassig. La prison est toutefois chroniquement surchargée et frôle depuis des années sa capacité maximale réelle d'environ 600 détenus. L'ouverture de l'Uerschterhaff doit permettre de soulager la situation. Dans une première phase, deux des quatre blocs de la nouvelle prison seront occupés. D'ici la mi-mars au plus tard, plus aucun homme en détention provisoire ne devrait être enfermé à Schrassig. 

Les premiers transferts de détenus commenceront dès le 5 décembre. Pour ces prévenus plongés dans l' «incertitude», il est important de pouvoir les «accueillir de manière adéquate et de les assister de manière humaine», a exposé Serge Legil, directeur de l'administration pénitentiaire. Il a rappelé que ces personnes risquaient de perdre d'un coup leur travail, leur logement ou encore le contact avec leur famille.

Un piquet de protestation devant la prison

Mais l'ouverture de cette nouvelle prison n'est pas applaudie par tout le monde. Plusieurs associations venant en aide aux détenus avaient ainsi installé un piquet de protestation en marge de l'inauguration de cet après-midi. Celles-ci critiquent l'augmentation de la capacité d'accueil des détenus, faisant craindre que davantage de personnes ne soient emprisonnées pour un temps indéterminé dans l'attente d'une condamnation.

Les collectifs Richtung 22 et Eran eraus an elo ont fait entendre leur désaccord par rapport à cette nouvelle prison.
Les collectifs Richtung 22 et Eran eraus an elo ont fait entendre leur désaccord par rapport à cette nouvelle prison.
Photo: Chris Karaba

Le Luxembourg est le seul pays européen où une personne placée en détention préventive peut y rester sans temps défini. «85% des gens qui sont mis en prison n'y ont pas leur place», rappelait par ailleurs quelques jours avant l'inauguration le président Christian Richartz de l'ASBL 'Eran, Eraus... an Elo?' 

La prison est rarement une bonne solution.

Christian Richartz, ASBL 'Eran, Eraus... an Elo?'

Avec ce nouveau centre pénitentiaire, «une prison monstre au niveau du nombre de cellules» selon Christian Richartz, la capacité d'accueil des détenus va être augmentée d'environ 400 places dans le pays. «La prison est rarement une bonne solution. Si on regarde le taux de remplissage des deux prisons actuelles, Schrassig et Givenich, il n'y a pas de surpopulation carcérale, même si on essaie de nous le faire croire depuis des années.» 

«Nous avons besoin d'une réforme carcérale»

Richtung22, un collectif d'artistes, ne dit pas autre chose: «Nous dénonçons le fait que nous avons un système judiciaire qui fait en sorte que des gens qui sont présumés innocents peuvent rester pour un temps indéfini en prison. La population carcérale est actuellement de 710 détenus. Il n'y a pas de surpopulation. Et avec l'ouverture de ce nouveau centre pénitentiaire, elle va être augmentée de plus de 50%», explique Gabrielle, membre du collectif d'artistes. «On ne répond pas à un besoin, mais à un symbole: celui d'avoir plus de politique répressive pour donner un sentiment de sécurité alors qu'on fait en réalité une politique de la peur.» 

Le collectif estime qu'il faudrait plutôt «lancer des mesures pour lutter contre la lenteur de la justice et l'emprisonnement indéfini de personnes qui n'ont pas encore été jugées» plutôt que de créer des places supplémentaires.  «Nous avons besoin d'une réforme carcérale au Luxembourg qui va plus loin que de séparer les gens qui sont en préventive de ceux qui purgent leur peine de prison», affirme Gabrielle. «Nous voulons que les personnes qui vont passer devant la justice soient traitées plus humainement.»

Investir dans les peines alternatives

Pour le président de l'ASBL 'Eran, Eraus... an Elo?', construire de nouvelles maisons d'arrêt n'est pas non plus une solution. Il plaide pour des peines alternatives «comme le recours plus poussé au bracelet électronique» pour les personnes concernées par de la petite délinquance ou des délits simples et réclame que tous les acteurs concernés par la problématique se mettent autour de la table pour plancher sur le sujet.


Vers une meilleure réinsertion des détenus
A partir de 2023, les personnes incarcérées pourront bénéficier d'un suivi personnalisé et de modules de formation professionnelle. Un dispositif visant à limiter le risque de récidives.

Et pour s'assurer que le message soit bien entendu, l'ASBL n'hésite pas à évoquer le Qatar, pointé du doigt pour son non-respect des droits humains. «On ne souhaite pas comparer la situation du Grand-Duché et du Qatar. Mais pour donner des leçons à un autre pays, il faut pouvoir être droit dans ses bottes. Ce qui n'est pas le cas. La durée de la détention préventive, la fouille intégrale, les transports des détenus,... La liste des points qui ne respectent pas les droits humains est longue!»

«Repenser la prison de Schrassig»

Lors de son discours devant le personnel de l'administration pénitentiaire et plusieurs personnalités de la classe politique, Sam Tanson (déi Gréng) s'est interrogée si on pouvait «vraiment se réjouir de la construction d'une nouvelle prison». «''Celui qui ouvre une école ferme une prison'', disait Victor Hugo. Nous avons ouvert beaucoup d'écoles, mais la réalité nous montre que faire sans prison n'est pas possible, parce que des crimes continuent à être commis et qu'il faut les condamner», a déclaré la ministre de la Justice.

Elle estime que construire cette nouvelle maison d'arrêt, dont le projet remonte à 17 ans déjà, a tout son sens. «C'est une solution, dans la mesure où cela libère de l'espace à Schrassig et va nous permettre de repenser la prison et de l'utiliser différemment. Et d'offrir ici à Sanem de très bonnes conditions de détention, parce que les détenus ont le droit à une sphère privée et qu'il faut prendre en compte leurs besoins selon leur âge et leurs addictions.» 

Ce nouveau centre disposera de cellules individuelles, de salles de visites et de deux pièces réservées pour les familles. Pour Serge Legil, la prison de Schrassig  avait «atteint ses limites» et n'offrait plus les meilleures conditions de détention parce qu'il y avait «trop de détenus avec un profil différent et pas assez d'espace». Un avis partagé par la ministre Sam Tanson: «La prison a une quarantaine d'années. Elle n'est plus adaptée à ce que nous attendons d'un système de détention humain selon la loi de 2018 qui met l'accent sur la réinsertion. On y frôle régulièrement la surpopulation carcérale, avec des détenus qui doivent se partager une cellule à plusieurs.»

Sam Tanson souligne toutefois l'importance de favoriser les peines alternatives. «C'est quelque chose de très important, sur lequel nous misons depuis un certain temps déjà. Et notamment sur le bracelet électronique, mais aussi la possibilité de condamner les personnes à des travaux d'intérêt général ou encore de donner une semi-liberté aux détenus, comme à Givenich, pour permettre une bonne réinsertion.»

Le système luxembourgeois n'est pas plus lent que d'autres systèmes européens, il y a suffisamment d'études qui le montrent.

Sam Tanson, ministre de la Justice

Contrairement aux activistes présents devant la prison de Sanem ce mercredi, la ministre estime que «le système luxembourgeois n'est pas plus lent que d'autres systèmes européens, il y a suffisamment d'études qui le montrent.» 

Un travail continu sur les droits humains

La ministre de la Justice Sam Tanson a salué l'ouverture de cette nouvelle prison, plus moderne, et qui va désengorger Schrassig.
La ministre de la Justice Sam Tanson a salué l'ouverture de cette nouvelle prison, plus moderne, et qui va désengorger Schrassig.
Photo: Chris Karaba

Le ministère de la Justice travaille également en continu sur l'amélioration des droits humains. «Nous ne nous reposons pas sur nos lauriers: nous avons voté une loi il y a un an pour améliorer certains éléments de procédure, nous avons aussi un groupe de travail de procédure pénale au sein du ministère qui évalue comment encore améliorer les procédures. Nous avons aussi recruté une centaine d'attachés de justice depuis 2014. Et la loi sur les référendaires de justice va être votée avant la fin de l'année. Elle va créer 46 postes supplémentaires.» 

Du côté de la commune de Sanem, on se dit aujourd'hui content d'accueillir la nouvelle maison d'arrêt, même si les divergences autour de ce dossier ont été nombreuses par le passé. «Il faut parfois prendre ses responsabilités en tant que commune», souligne la bourgmestre Simone Asselborn-Bintz (LSAP). «La nôtre a toujours été favorable à cette maison d'arrêt, mais il y avait des gens dans la commune qui ne l'étaient pas. On a réussi à aplanir les divergences de vue et à sensibiliser les gens. Il faut des prisons modernes comme celle-ci. Laisser trois détenus dans une cellule prévue pour une personne, ce n'est pas acceptable.»


«Un suicide en prison, cela arrive une fois par an»
Ce lundi, un détenu s'est donné la mort dans sa cellule à Schrassig. L'administration pénitentiaire explique de son côté mettre tout en œuvre pour éviter de tels drames, bien que le risque zéro n'existe malheureusement pas.

Le coût de cette prison s'est élevé à 171 millions d'euros. «Nous sommes restés dans notre enveloppe budgétaire», assure François Bausch (déi gréng). Le ministre des Travaux publics a fait remarquer dans son discours d'inauguration que construire cette structure était «particulièrement complexe»: «Les entreprises de construction se sont engagées à garder secret tout ce qui concerne la prison.» 

En termes de sécurité, le centre pénitentiaire de Sanem dispose de 650 caméras de vidéosurveillance et de 640 portes de sécurité. Le mur d'enceinte mesure six mètres de haut. Le directeur de l'administration pénitentiaire Serge Legil a tenu à souligner que son leitmotiv se basait sur la sécurité, mais aussi sur la possibilité de pouvoir offrir une «perspective» d'avenir aux détenus: «Dans leur prise en charge rentre aussi en compte la manière de travailler avec eux au quotidien et d'utiliser leur temps à bon escient, afin de parvenir à bien les réinsérer dans la société.»

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