Michel Wolter: «Ce n'est pas une nécessité de revenir au gouvernement»
Michel Wolter: «Ce n'est pas une nécessité de revenir au gouvernement»
Souvent malmené, parfois incompris, du temps où il était jeune ministre de l'Intérieur et de la Fonction Publique, Michel Wolter, se dit «serein» et «bien se sentir dans sa peau» de bourgmestre de Käerjeng. Le député CSV ne ménage ni gouvernement, ni LSAP et veut être réélu une 8e fois en octobre. Pour redevenir ministre? «Ce n'est pas une nécessité absolue» car il a «déjà donné», comme il l'explique.
- Quel est votre rapport à la francophonie?
Pendant un certain nombre d'années (de 2009 à 2017) j'ai fait partie de l'Association parlementaire de la francophonie (APF) où j'étais le représentant du Luxembourg. En fait depuis cinquante ans, le Luxembourg met à disposition le trésorier. C'est une plateforme d'échanges entre parlementaires issus de pays francophones, c'est donc un accès sur la culture, l'éducation, l'économie et le développement. J'ai ainsi pu voir beaucoup de pays où normalement on ne va pas, c'est-à-dire plein de pays d'Afrique mais aussi le Canada, le Québec, certaines parties des Etats-Unis où l'on parle le français comme la Louisiane. L'intérêt c'est de rencontrer des gens et de voir comment la langue française s'y développe.
- Comment se développe la langue française au Luxembourg à votre avis?
Je crois qu'elle se développe très bien au Luxembourg. Il y a toujours eu une très bonne présence du français. Maintenant si la langue véhiculaire dans toutes les grandes entreprises c'est l'anglais, il faut quand même savoir que tous les matins des dizaines de milliers de personnes viennent de Belgique et de France vers le Luxembourg, donc c'est une langue absolument essentielle.
- Et vous parlez français à la maison?
Je parle le luxembourgeois. Exclusivement.
- Mais vous avez fait toutes vos études en France, non?
J'ai fait mes quatre années d'études à l'Université de Paris I Panthéon-La Sorbonne d'où je suis revenu avec une maîtrise en Sciences économiques. J'étais logé à la Cité universitaire à la Maison Biermans-Lapôtre. C'est une maison d'un Monsieur belge qui avait des connexions assez vives à Luxembourg et qui, lorsqu'il est décédé, a mis la maison à disposition, principalement, des étudiants belges et luxembourgeois. Lorsque je suis arrivé, François Biltgen et Pierre Gramegna y effectuaient leur dernière année.
- Pourquoi avez-vous fait vos études à Paris?
Parce que je jouais en équipe nationale de tennis de table et j'ai eu un contact avec l'équipe de Kremlin-Bicêtre (région Ile-de-France, ndlr), championne de France à l'époque. L'idée de départ étant de pouvoir s'entraîner dans de bonnes conditions à l'étranger. Mais en fait, je n'ai joué qu'une seule année en France en 1981 avant de revenir au Luxembourg parce que les déplacements me prenaient beaucoup de temps et combiner études et tennis de table de haut niveau n'était pas possible. J'ai toujours préféré les études. Le sport ne nourrit pas son homme, ici, au Luxembourg. Si on est capable de faire des études, il faut faire des études.
- Que gardez-vous comme souvenirs de ces années parisiennes?
Trop grand. Il y avait la file partout. Et puis, très bruyant. C'était intéressant pour faire les études mais jamais je ne serais resté à Paris. Parce que je ne suis pas fait pour vivre dans une ville avec des millions d'habitants. Ce n'est pas le genre de la maison.
- Quel livre ou film français vous a marqué?
Le premier film français dont je me rappelle, ce sont «Les Aventures de Rabbi Jacob» avec Louis de Funès. C'est le premier film en français que j'ai vu au cinéma! C'était au cinéma L'Empire à Esch-sur-Alzette.
- Avez-vous transmis cette culture française à vos enfants?
Non. A Luxembourg on est polyglotte, on n'est pas fixé sur un pays, une culture. On apprend aux enfants les cultures de tous les pays et puis c'est à eux de faire leur choix. Aucun de mes enfants n'étudie en France. Un est en Allemagne, un en Grande-Bretagne et un ici au Luxembourg. Pour moi, la vie ne se présente pas comme étant francophile ou francophone. On est luxembourgeois et on est attiré par la France, par l'Allemagne, la Belgique et on essaye de voir plus loin.
- Dans vos réflexions de député, quelle place accordez-vous aux résidents étrangers?
Ils font partie du Luxembourg, il vivent ici. En fait l'action politique de tous les jours se rapporte aux étrangers comme aux Luxembourgeois, donc à toutes les personnes qui vivent dans notre pays. A Käerjeng, il y a encore beaucoup de Luxembourgeois. Beaucoup de Belges et de Français prennent la nationalité luxembourgeoise. Les étrangers représentent entre 25 et 30% de la population, pas plus. Et il n'y pas de communautés ou de nationalités dominantes. Mais comme ailleurs, la proportion d'étrangers augmente.
- Le résultat du référendum sur le vote des étrangers a-t-il, selon vous, changé la perception des étrangers au Luxembourg?
Il faut demander aux étrangers, je ne peux pas vous répondre. Je crois que ce thème est exagéré par d'aucuns. Je le vois au niveau communal. Les étrangers qui vivent chez nous n'ont pas ce besoin d'aller voter car ils viennent souvent de pays où il n'y a pas l'obligation de vote. Ils ne votent pas non plus dans leur pays. C'est tout à fait différent de la situation de vote au Luxembourg. Et puis, il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas voter. Il faut faire des campagnes mais je ne crois pas qu'il faille en faire une obsession. Au niveau communal et au niveau européen les gens ont la possibilité de voter. Quand on voit au niveau communal que 10 ou 15% des gens s'inscrivent... ce n'est pas un mouvement de masse.
- Ce référendum, finalement c'était une bonne idée ou pas?
Non. Il était complètement inutile. Les quatre questions étaient inutiles. C'était une tentative de ce gouvernement de se débarrasser du CSV. L'idée est venue de nulle part. Elle est venue de ce cercle de personnes qui se sont réunies pour former une coalition et comme ils savaient qu'ils n'auraient pas la majorité constitutionnelle (des deux tiers des députés) sur ces différentes questions avec le CSV, ils se sont dit: «On va demander à la population parce que là on n'a besoin que de 50,1% de la population pour faire changer ces choses».
Ce gouvernement n'a pas compris les Luxembourgeois et s'est pris une claque. Il n'est pas en phase avec la population luxembourgeoise, en tout cas pas avec la majorité du pays. A trois partis ils ne représentent guère que la moitié et même moins de la moitié des votants. Un parti fier, comme le parti socialiste, avait 21 députés au parlement lorsque j'ai commencé la politique et qui aujourd'hui en aurait 11, voire 10, selon les sondages. Ce parti a des problèmes internes énormes.
- Et du côté du CSV ça se passe comment?
Bien. Il y a cette envie de revenir au gouvernement pour gouverner ce pays de manière sobre, normale, tranquille. Le CSV a toujours été aux yeux des Luxembourgeois le parti plus tranquille mais avec une vision d'avenir et pas seulement sur les prochaines élections. J'observe comment, à dix mois des élections, chaque parti de la majorité fait de la surenchère en sortant toutes les semaines une nouvelle idée fantastique qui n'est ni réfléchie ni assurée financièrement. On est loin loin d'un gouvernement souverain.
Ce gouvernement a tout promis mais, dans presque tous les domaines essentiels, il n'a pas réussi. La politique étatique du logement par exemple est un échec sanglant sur toute la ligne. La politique d'aménagement du territoire qui promettait de régler tous les problèmes du CSV, n'a pas avancé. Il a parlé d'assainir les finances mais il a fait le contraire. Chaque semaine, il fait des cadeaux pour acheter les électeurs. Au lieu d'épargner de l'argent et d'alimenter les différents fonds structurels d'investissement ce gouvernement augmente la dette dans des périodes financièrement super intéressantes.
Vous êtes entré en politique à 21 ans et vous avez été élu sept fois à la Chambre des députés. Vous avez 55 ans aujourd'hui. Si le CSV revient au pouvoir en octobre, vous apporteriez quoi, vous, à ce nouveau gouvernement?
Moi, je n'apporte rien au gouvernement. Je brigue un mandat à la Chambre des députés. Puis, on verra. Je ne pars même pas du constat que le CSV sera au gouvernement. Parce que pour être au gouvernement il faut gagner les élections. Et les élections se joueront le 14 octobre 2018. C'est le vote de la population qui déterminera si le CSV arrivera au gouvernement. Parce que cette majorité, si elle garde 31 sièges, elle va repartir. J'étais le seul à le dire avant les dernières élections législatives: que s'ils étaient à trois, ils feraient un gouvernement. J'ai été critiqué pour cela. Mais j'ai eu raison. Je l'ai vu venir: il y a toute une génération de politiques qui voulaient éliminer le CSV. Ils voulaient éliminer Juncker. C'était ça leur but.
- Et pour ces élections 2018 comment voyez-vous les choses?
Je vois exactement la même chose. A 31 députés, ils vont faire une majorité. Donc, le 14 octobre, les Luxembourgeois auront le choix. Mais ils doivent savoir que voter pour l'un des trois partis, c'est aussi voter pour l'autre: voter pour les Verts c'est voter pour les Bleus (DP), voter pour les Rouges, ça veut dire voter pour les Verts, etc. Je crois qu'en 2013 une majorité de Luxembourgeois ont voté en faveur d'une majorité pour le CSV et le DP. Beaucoup de gens ont voté le DP parce qu'ils ne voulaient plus du LSAP au gouvernement. En 2013 d'ailleurs, le LSAP a fait le résultat le plus mauvais de son histoire. Les socialistes sont descendus sous la barre des 20% des votes pour la première fois. Etienne Schneider en proposant à Xavier Bettel le poste de Premier ministre a sauvegardé la place du LSAP au gouvernement et a masqué le fait que son parti était au plus bas. Et la coalition en 2013 était forgée avant les élections. Mais il fallait 31 sièges.
- C'est quoi alors la seule option possible?
Qu'il soit mathématiquement impossible que le DP, le LSAP et les Verts forment un gouvernement. Ce qui obligerait un des trois à faire coalition avec le CSV.
- Lequel de préférence?
J'ai fait toutes les campagne à partir de 1994 au Luxembourg dans toutes les délégations de négociations et le CSV n'a jamais dit de préférence. Il a toujours tenu compte du vote des électeurs. La mission numéro 1 est: que ce gouvernement à trois ne soit plus possible. Il faut donc que le 14 octobre le CSV devienne incontournable pour qu'on ne puisse pas faire un gouvernement contre lui, comme cela a été fait la dernière fois. Il faut quand même rappeler que le CSV avait obtenu 23 sièges sur 60. Rares sont les pays où un parti qui a fait un tel score ne soit pas représenté au gouvernement.
- Lors de la prochaine législature, le nombre de résidents étrangers devrait dépasser le nombre de résidents luxembourgeois. Comment peut-on construire la cohésion sociale dans ce contexte?
Il y a deux niveaux: la cohésion et la cohabitation. La cohésion va plus loin. A Luxembourg, tout le monde le sait: il y a une cohabitation dans ce sens où il y a énormément de nationalités dans notre pays et comme il est très petit, il y a beaucoup d'associations qui regroupent les compatriotes d'un même pays: les Danois, les Norvégiens, les Suédois, les Anglais, les Irlandais, les Portugais, etc. Mais il y a d'autre part, beaucoup de gens qui ne veulent pas vivre toute leur vie ici au Luxembourg. L'intégration, pour moi elle se vit au niveau des écoles. Les enfants apprennent le luxembourgeois et entraînent leurs parents dans la vie de la commune, les associations sportives, culturelles, etc. La 2e génération se sentira luxembourgeoise. Aussi longtemps que les gens iront dans une école où on parle le luxembourgeois. Mais s'il y a de plus en plus de maternelles où l'enseignement se fait dans leur langue, l'intégration se fera plus difficilement. Y compris pour les jeunes. Ils vivront donc un à côté de l'autre.
- La langue c'est donc le ciment...
La langue c'est tout.
Quand le Luxembourg comptera près d'1 million d’habitants vers 2060, il comptera aussi environ 350.000 travailleurs frontaliers...
Ce n'est pas possible! Ce sont des balivernes! Il n'y a pas une chalandise de 350.000 personnes autour du Luxembourg ou alors tous les Français, Belges et Allemands dans une zone distante de 60 km du Luxembourg y travailleront. Ce n'est mathématiquement pas possible autrement.
Un pays avec 1 million d'habitant ne me fait pas peur. Sous condition de bien l'organiser. C'est ce qu'on avait essayé de faire en 2002 lorsqu'on a présenté le concept IVL (Integrative Verkehrs- und Landesentwicklungskonzept) pour organiser le pays et devancer, en fin de compte, le mouvement qui se fait maintenant. A l'époque on parlait de 700.000 habitants et on s'est fait traiter de tous les noms. Mais on a perdu quinze ans parce qu'on n'a pas assez rapidement essayé de mettre en musique les recommandations faites par les experts. En 2002 , il y avait beaucoup d'options comme élargir et construire de nouvelles routes, investir dans le transport en commun (ce qui a été fait mais avec beaucoup de retard), en construisant une gare à Howald (elle a été ouverte l'année dernière), construire une gare à Cessange (elle n'a jamais été construite), élargir l'autoroute à trois voies (maintenant on en rediscute) faire un périphérique autour de Luxembourg, réduire le pays à 60 communes, etc. On aurait dû aller beaucoup plus loin dans l'organisation.
- Si le gouvernement change et si le CSV revient au pouvoir, vous aurez le courage de l'organiser?
Non, non,... moi j'ai donné. Ce n'est pas dans mes intentions. Je suis très bien ici. Je suis à mes aises et je suis très content que les électeurs aient manifesté leur soutien en octobre par rapport au travail réalisé dans la commune et par rapport à quelqu'un qui n'est soi-disant pas aimé. J'ai la satisfaction de pouvoir dire, venez voir à Käerjeng, on est bien organisé. Et ça m'a fait beaucoup plaisir car je dois dire... j'ai beaucoup souffert du temps où j'étais ministre.
- Vous pensez aujourd'hui que vous avez grimpé les échelons trop vite?
Non. Mon problème essentiel réside dans le fait que je raisonne en plusieurs étapes en prenant les informations et en étant capable de prendre les bonnes décisions mais je n'ai jamais été à même de communiquer cela. C'est un peu mon grand problème dans la grande politique. Ça a été mon grand échec.
Mais maintenant je suis serein, je me sens bien dans ma peau, on me dit que je suis plus gentil, moins stressé. Je fais mon travail. Mais ce n'est pas pour moi, maintenant, une volonté ou une nécessité absolue de revenir dans un gouvernement. J'y étais durant dix ans. De toute façon, si la question se pose elle ne se posera qu'après le 14 octobre. Il faut déjà que le CSV soit dans le prochain gouvernement.
