Maison de soins de Bettembourg: les grévistes «ne lâcheront rien», Sodexo non plus
Maison de soins de Bettembourg: les grévistes «ne lâcheront rien», Sodexo non plus
C'est une première dans le secteur des soins au Luxembourg! Mercredi matin, des salariés de la maison de soins «An de Wisen» à Bettembourg ne se sont pas rendus sur leur lieu de travail mais font la grève devant la porte pour manifester leur ras-le-bol! Dans cette maison de soins, tout comme dans les «Parcs du 3e Age» à Bertrange et sur les sites de Zitha Senior à Luxembourg-Ville et Consdorf, 350 anciens salariés bénéficiant de la convention collective de travail FHL (Fédération des Hôpitaux Luxembourgeois) réclament que leur soient versées les revalorisations actées depuis le 1er octobre 2017. Des milliers d'autres collègues les ont obtenues. Pas eux.
«C'est la première fois de ma vie que je fais grève! C'est un «crève-cœur» d'être sur le trottoir au lieu de s'occuper des pensionnaires. Je suis balancé entre un sentiment de culpabilité et la nécessité de défendre une cause juste: celle de respecter des accords pris en tripartite, tout simplement», explique Christophe Csato, éducateur depuis vingt-deux ans chez Sodexo à Bettembourg et vice-président de la délégation du personnel:
«Je suis de tout cœur avec vous», glisse le chauffeur d'une camionnette qui se faufile entre les grévistes, plantés aux abords immédiats du rond-point d'accès à la maison de soins. Annoncée moins de 24 heures avant au siège de l'OGBL, la grève est bon enfant, pour ce premier jour. Des collègues syndiqués de la maison de soins des «Parcs du 3e Age» de Bertrange ont fait le déplacement «par solidarité. Et puis on est venu pour s'échauffer pour jeudi», sourit Lionel François, délégué syndical OGBL. Une grève doit démarrer ce jeudi matin à Bertrange où 117 salariés sous convention FHL réclament également l'application de la revalorisation des carrières.
Le fonctionnement de «An de Wisen» n'est «pas du tout» gêné
Le mouvement de grève ne gêne «pas du tout» le fonctionnement de la maison de soins «An de Wisen» assure Christian Erang, en fin de journée. «Il n'y a pas eu de perturbations dans les équipes, nous nous sommes très bien organisés» et «les membres de l'Amicale de la maison de soins se sont spontanément mobilisés pour donner un coup de main et promener les personnes âgées dans le parc ou les accompagner dans leurs activités», pose le directeur des activités seniors chez Sodexo.
Ce qui l'a gêné, c'est le fait que les grévistes «bloquent un peu la sortie et l'entrée du parking». Les voitures passent au ralenti.
Christian Erang précise que des 240 personnes employées sur le site de Bettembourg, seules 73 sont concernées par le litige et que «certains ont refusé de faire grève». «D'une part, les gens ont peur, d'autre part, ce sont des cadres», explique un délégué syndical en levant les sourcils.
«Nous ne remballerons pas dans 24 heures»
«Nous luttons contre l'attitude provocatrice des patrons!», est écrit sur une pancarte posée devant la tente et tournée vers la maison de soins. Planté à 50 mètres de l'entrée de la maison de soin, ce QG des grévistes «sera occupé jour et nuit», assure la secrétaire centrale du Syndicat santé, services sociaux et éducatifs de l'OGBL qui encadre tout le mouvement. «Ce n'est pas un spectacle! Nous ne remballerons pas dans 24 heures», lance Eric Macoir, délégué sécurité, santé et environnement.
«Il y en a vraiment ras-le-bol! On ira jusqu'au bout. Nous resterons déterminés!», assure Najiha Aiche, présidente de la délégation du personnel à la maison «An de Wisen». Infirmière au quotidien, elle «demande juste d'être payée de la même manière, pour la même fonction, que toute infirmière au Luxembourg. C'est bien pour cela qu'il y a eu le combat pour la revalorisation des carrières»:
«Touche pas à ma CCT», est affiché sur le cœur de chacun des grévistes. Il faut lire: «ma Convention collective de travail FHL». C'est l'objet du litige: 73 salariés de la maison «An de Wisen», ont été embauchés il y a plus de dix ans sous cette convention de travail. Et l'OGBL se bat pour que les anciens salariés en conservent le statut et les revalorisations mentionnées dans la nouvelle mouture en vigueur depuis octobre 2017.
14.000 euros brut de plus par an pour le même travail
«Nous avons une convention collective qui n'est pas reconnue par la maison mais d'un point de vu légal, nos contrats de travail disent qu'on a le droit d'avoir les avantages FHL», explique Christophe Csato. Une revendication «juridiquement discutable», aux yeux du patron.
Christian Erang précise qu'en effet «la maison était historiquement parlant, membre de l'Entente des Hôpitaux et qu'elle appliquait la convention collective de travail FHL. Mais depuis 2011, nous ne sommes plus affiliés à l'Entente - devenue Fédération des Hôpitaux Luxembourgeois - ni d'ailleurs signataires de la convention collective de travail FHL. Nous ne sommes pas un hôpital et nous n'appartenons pas au secteur hospitalier. Nous avons une seule convention dans la maison: c'est la convention collective de travail SAS (Secteur d'Aides et de soins et secteur Social). Elle est d'obligation générale dans le secteur d'aides et de soins».
En revanche, précise le directeur des activités seniors chez Sodexo, «nous avons des personnes qui ont conservé les avantages extra-légaux, issus de la convention FHL». Il cite l'exemple d'un éducateur diplômé bénéficiant d'une expérience de vingt années: «Il gagne 94.000 euros brut par an chez nous. Ce sont 14.000 euros de plus par an que ses collègues SAS». Outre la différence salariale de taille, les salariés FHL travaillent moins longtemps: ils bénéficient de la semaine de 38 heures, contre 40 heures pour leurs collègues SAS. «A quoi il faut ajouter une pause rémunérée, l'heure supplémentaire majorée dès la première heure, un pécule de vacances, des allocations familiales. Tout additionné on arrive en moyenne à 9.000 euros par an de plus pour travailler 10% de moins», pose le patron.
«Et ils veulent que ces avantages soient revalorisés!», s'exclame-t-il. Mais «ça pose de grands problèmes financiers et nous n'avons pas les moyens. La maison est déjà déficitaire», assure Christian Erang.
«Le gouvernement doit prendre ses responsabilités»
L'ennui dans toute cette affaire des maisons de soins récalcitrantes à une revalorisation de leurs salariés les plus anciens, «c'est que le secteur est financé par des moyens publics mais qu'il est géré par des gestionnaires privés. Le gouvernement ne s'immisce pas dans la gestion des maisons mais il les finance avec de l'argent public!», soulève Nora Back de l'OGBL.
«Nous demandons au gouvernement d'avoir un contrôle sur les bilans des sociétés et d'imposer aux gestionnaires des maisons de soins que l'argent qui leur est dû, soit reversé aux salariés. Il est grand temps que le gouvernement prenne ses responsabilités dans un secteur qu'il finance».
Christian Erang annonce clairement qu'il «ne cédera en aucun cas. Sauf s'il vient une proposition du gouvernement ou du ministre de la Sécurité sociale pour débloquer la situation».
En coulisses, le conflit continue d'être alimenté par des incompréhensions. La lettre glissée dans les boîtes aux lettres des résidents par les délégués du personnel pour expliquer les causes de cette grève illimitée devant la porte a été retirée sur ordre de la direction. «Un exemple de plus du fair-play de notre direction», glisse Christophe Csato, se gardant de tout commentaire superflu en ces temps de grande tension.
