Luc Frieden, le sauveur du CSV
Luc Frieden, le sauveur du CSV
Le conseil national du CSV a décidé, mercredi soir, à l'unanimité de désigner Luc Frieden comme tête de liste aux élections nationales d'octobre. Cette question, désormais réglée au sein du plus grand parti du pays, il ne reste plus qu'à faire voter le congrès sur cette candidature. Ce sera fait le 25 mars.
Avec Luc Frieden (59 ans), c'est un politicien CSV expérimenté et connu dans tout le pays qui se lance dans la bataille électorale. Il a longtemps été pressenti pour succéder au Premier ministre Jean-Claude Juncker, mais n'a jamais eu cet honneur. L'ancien dauphin se voit désormais offrir une nouvelle et dernière chance de faire son retour en politique et d'accéder au fauteuil de chef de gouvernement.
Objectif, sobre et froid
Luc Frieden est considéré comme objectif, sobre et froid. Situé à l'aile économique libérale du parti, il est considéré comme un gestionnaire de crise expérimenté. Aux yeux de nombreux membres du CSV, il est le candidat idéal en raison de sa longue expérience, de ses compétences de direction et, surtout, de son expertise en matière d'économie et de finances. Au vu des temps difficiles actuels, ce n'est pas négligeable quand on brigue le poste de Premier ministre.
C'est du moins le point de vue des membres du comité national du CSJ, qui se sont prononcés dimanche à l'unanimité en faveur de l'ancien ministre comme tête de liste, comme l'explique son président Alex Donnersbach dans un entretien au Luxemburger Wort. Les jeunes chrétiens-sociaux voient en Luc Frieden un homme politique compétent, capable de rassembler le parti.
Le fait que Luc Frieden ait quitté la politique il y a dix ans pour se construire une carrière dans le secteur privé est «a priori» positif pour les jeunes chrétiens-sociaux. Contrairement à de nombreux politiciens professionnels, il a acquis de nouvelles expériences intéressantes «qui lui sont profitables, ainsi qu'au parti et au pays en ces temps difficiles», selon Donnersbach. C'est justement parce qu'il n'a pas été présent en politique pendant dix ans que sa candidature apporte un vent de fraîcheur.
Les débuts de Frieden en tant que politicien
La carrière politique nationale de Luc Frieden a débuté en 1994. Âgé alors de 30 ans, il se présente au centre et entre à la Chambre des députés. En 1998, le Premier ministre Jean-Claude Juncker l'intègre à son gouvernement où il succède à Marc Fischbach en tant que ministre de la Justice et du Budget. Il est en charge de l'introduction de l'euro. Dans le gouvernement Juncker/Asselborn I (2004-2009), Luc Frieden a également pris en charge le portefeuille de la Défense. Dans le gouvernement Juncker/Asselborn II, qui a éclaté à l'été 2013 en raison de l'affaire des services secrets, il était ministre des Finances.
Lors de la grave crise financière et économique qui a débuté en 2008, Luc Frieden a joué un rôle important dans le sauvetage des banques Fortis (BGL) et Dexia BIL. Grâce à ce sauvetage de plusieurs milliards, les économies des citoyens et les emplois ont pu être préservés et le pays a été épargné de conséquences plus graves. L'introduction de l'euro au Luxembourg et le sauvetage des banques comptent sans aucun doute parmi les grandes réussites politiques de Luc Frieden.
Frieden a souvent voyagé sur la scène internationale et s'est toujours efforcé de positionner le Luxembourg en tant que Place financière sur la carte du monde. Lorsqu'il était ministre des Finances, les trois plus grandes banques chinoises (Bank of China, Industrial and Commercial Bank of China, China Construction Bank) ont établi leur siège européen au Luxembourg. En 2013, il a également acquis de l'expérience en tant que président du conseil des gouverneurs du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.
Bommeleeër, Cargolux et Qataris
Mais le ministre du CSV a également fait l'objet de vives critiques, en particulier lorsqu'il était ministre des Finances. C'est Luc Frieden qui, à la recherche d'un acheteur pour Dexia BIL, avait noué le contact avec le Qatar et rendu possible en 2012 la vente de la banque, auparavant sauvée par des fonds publics, à un prix avantageux (650 millions d'euros pour 90% des parts) au fonds d'investissement qatari Precision Capital.
En 2018, les Qataris ont vendu la banque pour 1,5 milliard d'euros à la société de fonds d'investissement chinoise Legend Holdings. Luc Frieden a également participé activement à cette transaction, cette fois en tant que président du conseil d'administration de la BIL, un poste qu'il occupe depuis 2016.
Luc Frieden a également été mis sous pression en raison de son rôle dans le deal entre Cargolux et la compagnie aérienne Qatar Airways. En 2011, l'État a vendu 35% des parts de Cargolux aux Qataris. Mais seulement deux ans plus tard, la transaction a échoué. Un audit a été réalisé, qui a permis au ministre CSV de montrer patte blanche. Mais l'opposition ne l'entendait pas de cette oreille, elle a fait pression sur lui au Parlement et a exigé des explications.
En 2013, Frieden a dû faire face à une motion de censure après avoir été accusé par le procureur général de l'époque, Robert Biever, d'avoir fait pression sur les enquêteurs de Bommeleeër et d'avoir entravé l'enquête en tant que ministre de la Justice. Il a survécu de justesse à la motion de censure.
Désavoué par les siens
En 2012, Luc Frieden doit revoir le projet de budget 2013 en raison de critiques internes à la coalition de la part du LSAP et du CSV. Le chef du groupe parlementaire du LSAP de l'époque, Lucien Lux, le ministre du LSAP Nicolas Schmit, le Premier ministre Jean-Claude Juncker, l'ancien président du parti Michel Wolter et le chef du groupe parlementaire du CSV Marc Spautz jugent trop dur ce plan d'austérité de Luc Frieden visant à assainir les finances publiques. Il se voit également reprocher par l'opposition de mener une politique d'austérité. Luc Frieden n'a finalement pas d'autre choix que d'édulcorer son programme d'austérité.
Des années auparavant, Luc Frieden s'était fait un nom en tant qu'homme de «loi et d'ordre» dans le contexte de la «Lex Greenpeace». Le 25 octobre 2002, 28 stations-service Esso sont occupées par des activistes de Greenpeace.
Ministre de la Justice, Luc Frieden présente un projet de loi prévoyant de punir les actions de protestation non violentes dans des lieux librement accessibles (administrations, églises, écoles, etc.) par des amendes allant jusqu'à 25.000 euros et des peines de prison pouvant aller jusqu'à deux ans. Le projet fait l'objet de vives protestations politiques et de la société civile. En 2004, le changement de gouvernement met fin à ce projet de loi.
L'affaire des 40 Albanais
En novembre 1999, Luc Frieden était déjà apparu comme un ministre de la Justice «au cœur froid». Notamment en raison de l'expulsion de 40 Albanais du Kosovo vers l'Italie et ce sans préalable avertissement. Une expulsion légale puisque se basant sur la convention de Dublin, mais jugée par l'opinion inhumaine et inopportune.
Ce sont les nombreuses affaires et finalement l'affaire SREL qui conduisent en 2013 à la rupture de la coalition, à de nouvelles élections et au passage du CSV dans l'opposition. Malgré toutes les critiques, Luc Frieden reste le premier élu de la liste CSV et le quatrième au niveau national lors des nouvelles élections au centre, avec 29.441 voix.
Il obtient un meilleur résultat que la tête de liste du LSAP, Etienne Schneider, et que son homologue des Verts, François Bausch. Mais dans l'ensemble, il perd énormément de voix par rapport à 2009 et est dépassé par Xavier Bettel (DP), qui devient en 2013 l'homme politique le mieux élu au centre avec 32.064 voix et troisième au niveau national.
Deutsche Bank, Saint-Paul et BIL
Après le passage du CSV dans l'opposition, Luc Frieden tourne rapidement le dos à la politique. En septembre 2014, il s'installe à Londres en tant que vice-président de la Deutsche Bank. En 2016, il quitte ce poste et revient au Luxembourg. Fin janvier 2016, il prend la présidence du conseil d'administration du groupe de médias Saint-Paul Luxembourg et se retrouve sous le feu des critiques pour avoir tenté d'influencer l'orientation éditoriale du journal. Le conflit culmine avec le licenciement du rédacteur en chef Jean-Lou Siweck en septembre 2017. Luc Frieden se retire de Saint-Paul en mars 2019, un an avant le rachat de la maison d'édition par le groupe de médias belge Mediahuis.
Président du conseil d'administration de la BIL depuis mai 2016, Luc Frieden rejoint en septembre de la même année le cabinet d'avocats Elvinger-Hoss-Prussen. Avril 2019, il est nommé président de la Chambre de commerce, en remplacement de Michel Wurth, et mi-octobre 2021, président d'Eurochambres, l'association des chambres de commerce européennes.
Dix ans d'abstinence politique n'ont pas nui à sa notoriété. Les commentaires sur sa personne sont mitigés. Beaucoup soulignent ses compétences, sa capacité à diriger et à donner un profil clair au parti; d'autres reprochent au parti de ne pas avoir réussi à faire émerger un candidat adéquat dans ses propres rangs.
Pas très proche de la base du parti
De nombreuses personnes avaient déjà fait une croix sur le CSV pour les élections à venir. La candidature de Luc Frieden en fait un concurrent politique sérieux. Si Luc Frieden parvient à rassembler le parti derrière lui, cela pourrait le rendre plus fort de l'intérieur, plus sûr de lui et plus résistant à l'hostilité des camps politiques adverses.
Le manque de contact avec la base du parti pourrait être un inconvénient pour Luc Frieden qui n'a jamais été très actif dans la politique du parti et n'a jamais eu de mandat en son sein. Il reste également à voir comment le groupe parlementaire de 21 membres et d'anciens membres du parti comme Michel Wolter et Marc Spautz se positionneront par rapport à l'ancien ministre CSV.
La campagne électorale ne sera en tout cas pas une promenade de santé. Avec Luc Frieden, ce n'est pas seulement un ministre expérimenté et un gestionnaire de crise qui revient sur la scène politique, mais aussi son passé politique et celui du CSV. Avec ses hauts et ses bas.
Traduction: Charles Michel
Cet article est paru initialement sur wort.lu/de
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