Lex Delles: «Nous vivons et nous avons la force de vivre avec nos voisins»
Lex Delles: «Nous vivons et nous avons la force de vivre avec nos voisins»
Le français: langue pivot dans le travail au Luxembourg mais aussi langue en perte de vitesse parmi les Luxembourgeois. Avant les élections législatives d'octobre prochain, nous avons décidé d'interroger les députés sur leur rapport à la langue de Molière, à travers une série d'interviews que nous publierons régulièrement jusqu'à l'été.
- Quel est votre rapport à la langue française et à la francophonie?
J'ai fait mes études en Wallonie alors évidemment la langue française m'a toujours suivi. C'était très difficile au début; au Luxembourg, même si on apprend le français, cela reste très basique avec des textes axés sur la grammaire. Nous n'avons pas l'habitude de le parler au quotidien. C'est un vrai changement! Au bout de quelques mois, je me suis rapidement adapté heureusement.
J'ai des liens très étroits avec la langue française: si je regarde par la fenêtre, je vois Mondorf France! C'est aussi pour cela que j'ai été choqué et déçu des résultats des élections en France en 2017.
Le FN n'était, certes, pas le premier parti à Mondorf mais il était quand même à 22%, ce qui est énorme. Je ne comprends pas comment un parti qui peut être contre l'Europe, contre l'ouverture des frontières, contre ce rapprochement entre des pays, des communes, comment peut-il avoir une telle influence sur un village avec lequel travaille énormément un pays étranger?
Est-ce que c'est une question de manque de confiance dans la politique nationale et les gens votent alors n'importe quoi pour ne pas donner leurs voix aux partis traditionnels ou bien c'est vraiment le programme FN qui a convaincu? J'espère que c'est le premier cas et pas le second, même si c'est tout aussi grave.
Dans un tout autre registre, j'ai aussi un souvenir particulier de la langue française, qui remonte à mes 9-10 ans. Je mangeais un soir chez un ami, Joachim, dont la mère parlait français. Elle me disait qu'elle allait faire des "crêpes" mais je ne comprenais pas ce que c'était. Mon ami parlait luxembourgeois mais ne connaissait pas le mot adéquat et il m'a alors expliqué que c'était une pâte, plate comme une assiette... Je me rappellerai toujours mon étonnement quand j'ai enfin vu les Pännercher ! Je pense que je retiendrai ce mot français toute ma vie. (Rires)
- Dans votre réflexion de député, quelle place accordez-vous aux résidents étrangers?
Accorder une place particulière à quelqu'un, c'est déjà le mettre à part et ce n'est pas quelque chose de normal. On ne réserve pas de places précises ou spéciales. Nous sommes un pays très ouvert, qui connaît des migrations et qui collabore avec des pays limitrophes. On vit ensemble, avec beaucoup de nations, beaucoup de gens et c'est quelque chose de totalement normal.
- Lors de la prochaine législature, le nombre de résidents étrangers devrait dépasser le nombre de résidents luxembourgeois. Comment pensez-vous la cohésion sociale dans ce contexte?
Il y aura toujours des discussions comme celle de la langue à employer dans les magasins ou encore sur les embouteillages, pour citer deux exemples. Sur les embouteillages, je trouve d'ailleurs très drôle de dire que c'est la faute des étrangers alors qu'il y a autant de plaques luxembourgeoises que françaises dans les bouchons. Et puis, quand on est dans un embouteillage, c'est que l'on fait soi-même partie du problème!
Le Luxembourg n'est pas une île quelque part dans la Méditerranée, nous avons des pays limitrophes et justement, nous vivons et nous avons la force de vivre avec nos voisins. C'est un atout qu'il ne faut pas remettre en question ou voir négativement.
- Qu'avez-vous pensé du résultat du référendum de 2015 sur le vote des étrangers?
Le Luxembourg est un pays qui n'a pas l'habitude du référendum et je pense aussi que des questions politiques ont joué, c'est un ensemble. Ce qui est clair, c'est qu'une question a été posée et que la réponse donnée doit être respectée.
Les électeurs se sont posé trop de questions, nous n'étions pas prêts mais c'est bien d'avoir fait ce référendum.
- Quand le Luxembourg comptera près d'un million d'habitants, vers 2060, il comptera aussi environ 350.000 travailleurs frontaliers, selon les projections du Statec et de la Fondation Idea. Est-ce pour vous plutôt une richesse ou un défi pour le pays?
C'est un défi et une richesse à la fois. Le défi concerne évidemment des questions que l'on voit déjà au quotidien aujourd'hui: la mobilité, la cohésion sociale, l'intégration... Mais c'est également une richesse. Avoir des travailleurs frontaliers est un apport pour la société luxembourgeoise.
- Qu'avez-vous pensé de l'installation de "barrières anti-frontaliers" dans la commune de Schengen?
Je trouve ça très dangereux de qualifier ce dispositif de "barrières anti-frontaliers", il ne faut pas employer de tels termes. Ce n'est pas une "barrière anti-frontaliers", c'est une petite rue, un chemin agricole qui accueille tous les matins des centaines et des centaines de voitures et qui est inadapté à cette circulation.
C'est une question de mobilité, pas du tout de poteaux anti-frontaliers. Je connais très bien monsieur Gloden - bourgmestre de Schengen, ndlr - et il n'a certainement pas eu l'idée de faire quelque chose contre les frontaliers mais plutôt contre les voitures. C'est aussi un blocage pour les Luxembourgeois qui veulent aller en France vous savez.
Il ne faut pas seulement le voir d'un côté frontalier mais plutôt d'un côté citoyen, avec une rue où il y a une problématique. Ici, à Mondorf, c'est le deuxième plus gros passage frontalier avec la France: 4.600 voitures passent le matin et 4.300 le soir. Ça pose des questions. Mais je répète que ce n'est pas un problème frontalier, nous aurions pu avoir ce même problème avec une commune avoisinante au Luxembourg: c'est vraiment une question de tranquillité dans un quartier.
- Et que pensez-vous de l'installation d'un potentiel péage sur l'A31 bis?
Je pense que la France et le Luxembourg doivent trouver des solutions ensemble. Le péage va effectivement aggraver la situation. L'extension de l'A3 du côté luxembourgeois va aussi poser problème avec des années de chantier à venir.
- Comment avez-vous vécu la venue du Tour de France à Mondorf-les-Bains en 2017?
Le tour de France était vraiment une activité historique pour la commune de Mondorf-les-Bains. C'était quelque chose de très intéressant et une vraie visibilité et accroche touristique pour la commune.. Je pense que ça n'arrivera plus trop souvent de voir Mondorf-les-Bains être un point sur une carte mondiale regardée au Pérou! C'est vraiment quelque chose d'unique.
- Un lycée européen va ouvrir ses portes dans votre commune: c'est une bonne chose?
Il était prévu depuis de nombreuses années et je suis fier de dire que les inscriptions sont déjà complètes, avant même l'ouverture officielle du site. Les trois filières, francophone, germanophone et anglophone sont remplies. Et ce sont à la fois des enfants de Mondorf, Frisange, Dalheim ou encore Remich que des enfants étrangers!
Ces derniers sont les bienvenus, même si la priorité sera donnée aux écoliers luxembourgeois. Mais je suis ravi de voir qu'il y a une très grande demande du côté français pour entrer dans ce lycée.
- Quel bilan faites-vous de ces quatre années en tant que député, qui étaient d'ailleurs une première pour vous?
Je ne peux effectivement pas le comparer à une autre législation, comme c'était la première fois que je participais aux élections en 2013. Je vois quand même qu'il y a beaucoup de choses qui ont changé, beaucoup de questions qui ont été soulevées et qui n'étaient pas du tout d'actualité auparavant.
Beaucoup de choses ont été faites au niveau de l'éducation, des questions sociétales ont été posées et des réponses ont été trouvées. C'est vraiment un gouvernement et une majorité qui ont énormément travaillé. C'est subjectif évidemment, mais je pense que la politique s'est rapprochée des gens.
Cette expérience diffère de celle de bourgmestre, c'est sûr. Dans la politique locale, si on veut changer rapidement quelque chose, ça se fait. Au Parlement, ce n'est pas du tout la même chose! Je sais qu'il y a des projets de loi qui sont là depuis deux, trois ans et il faut encore les retravailler, faire des modifications... c'est plus abstrait.
Je trouve que les deux mandats - député et bourgmestre - sont des choses complémentaires dans la vie politique. Je n'imaginais pas du tout comment cela allait fonctionner au début. Je me souviens d'ailleurs de la première fois où j'étais au Parlement, tout de suite après mon assermentation: j'étais vice-président aux côtés d'Anne Brasseur et je n'osais même pas bouger le petit doigt! (Rires)
- Comment voyez-vous la suite?
Le plus important en politique est de pouvoir se regarder dans le miroir. Le DP est un parti qui peut le faire. Ce gouvernement en général présente un bon bilan, présentable. Le soir des élections, on pourra dire “nous avons fait ce qu'on a pu". Beaucoup de chantiers ont été touchés, abordés. Maintenant ce sont aux électeurs de montrer ce qu'ils en pensent.
- Le Politmonitor de ce printemps 2018, à six mois des élections, donne le CSV grand gagnant des législatives: qu'en pensez-vous?
Personnellement, je trouve que les statistiques donnent une tendance mais jamais des chiffres absolus. On voit que les partis du gouvernement sont en train de monter légèrement. Le CSV est un parti qui s'occupe de sa politique et je ne vais pas la commenter.
- Dernière question, plus insolite: avez-vous un livre ou un film français qui vous a particulièrement marqué?
Ce n'est ni un film, ni un livre mais quand j'étais petit et que je mangeais chez mon ami Joachim, on regardait la télévision tous les deux et il y avait toujours le Club Dorothée! (Rires) Je ne comprenais même pas la moitié, mais ça m'a quand même marqué.
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