Les stéréotypes ont la peau dure au Luxembourg
Les stéréotypes ont la peau dure au Luxembourg
En réponse à la publication du rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, intitulé «Being Black in the EU» publiée en novembre 2019 - peu élogieux à l’égard du Luxembourg -, la Chambre des députés avait adopté en juillet 2020 une motion invitant le gouvernement luxembourgeois à mener «une étude sur le phénomène du racisme au Luxembourg afin de développer une stratégie de lutte cohérente».
Ainsi, le département de l’intégration du ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région de la ministre DP Corinne Cahen a mandaté le Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales (CEFIS) et le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER) pour la réaliser et en restituer les principaux résultats.
Sur base de ces résultats, le CEFIS et le LISER ont également été chargés de formuler des recommandations d’orientation politique dans le domaine de la lutte contre le racisme et les discriminations ethno-raciales.
Pour la première enquête, celle du LISER, le but principal était de sonder le ressenti et la perception de la population sur ces questions de racisme et de discriminations, tandis que la deuxième, celle du CEFIS, s’orientait sur la perception des experts et des acteurs institutionnels et privés ainsi que l’analyse légale et institutionnelle autour de ces problématiques.
Un racisme plus sournois
Frédéric Docquier du LISER a insisté sur le fait que les ressentis des répondants ne sont que des perceptions, qu’ils ne sont pas toujours fondés et peuvent être erronés. C’est toutefois un travail important de poser un premier jalon pour «identifier les secteurs problématiques et à risques de la société luxembourgeoise».
Une partie des résultats de l’étude quantitative démontrent que 4,3% des résident établissent une hiérarchie entre les races (contre 9% en France sur un échantillon de 1.000 personnes et 32% en Belgique sur une base de 1.392 personnes). Un taux assez faible, alors que 15,2% déclarent que des réactions à caractère raciste sont parfois justifiées (contre 46% en France et 59% en Belgique).
11,1% souhaitent éviter un voisin de type ethno-racial particulier et 6,3% souhaitent éviter un supérieur de type ethno-racial particulier (plus précisément d’origine arabe, portugaise ou des personnes noires).
Globalement, 33,9% des interrogés pensent que le racisme a augmenté ces cinq dernières années et 29,7% d’entre eux craignent d’être victimes d’incidents dans un futur proche en raison de leur appartenance ethno-raciale.
Du côté du CEFIS, l’étude qualitative met en lumière la difficulté qu’ont certains acteurs à définir ou à distinguer clairement racisme et discrimination; mais aussi de fortes divergences dans les perceptions puisque ce qui est dénoncé par les acteurs du secteur social ou de défense des publics racisés comme relevant de problèmes de racisme et de discrimination est assimilé à des difficultés de compréhension et de communication dans les structures officielles.
L’ensemble des acteurs s’accordent cependant pour dire que le niveau de conscience de ces problématiques est plus important, et que les moyens d’expression du racisme et des discriminations sont devenus «de plus en plus sournois», sous forme de «micro-agressions quotidiennes»…
Des clichés persistants
Les deux études révèlent également que bon nombre de clichés sont persistants, tels que la «paresse de l’Afro-descendant, la soumission de la femme musulmane, le terrorisme islamique, ou encore l’idée que les réfugiés ne sont là que pour profiter de l’Etat».
Des tendances que l’on peut retrouver dans les reportages de médias nationaux et internationaux et sur les réseaux sociaux. L’enquête qualitative révèle d’ailleurs que 31,7% des résidents pensent que certains groupes ethno-raciaux (les personnes noires, les gens de l’Est, les Roms et les musulmans) «sont responsables d’une hausse de la violence et de la criminalité».
Quatre points à surveiller
Il ressort également des deux enquêtes que quatre points névralgiques sont à surveiller: le domaine professionnel (qu’il s’agisse de recherche d’emploi ou de climat hostile sur le lieu de travail), la recherche de logement, les réseaux sociaux, et enfin, le domaine de l’enseignement.
Frédéric Docquier préconise d'ailleurs de s'inspirer du modèle italien pour le dernier point, lequel évalue les professeurs sur ces questions de discrimination afin de confronter les personnes ayant des biais cognitifs inconscients sur certaines catégories de personnes racisées.
Concernant la recherche de logement, la ministre Corinne Cahen a précisé qu'elle n'était pas en charge du ministère du Logement, mais a reconnu qu'il serait certainement bénéfique d'instaurer des clauses de non-discrimination avec les agences immobilières.
Cependant, la ministre a tenu à rappeler que son ministère et les communes font déjà un grand travail au niveau de l'intégration des nouveaux arrivants et que ce qui relève de la lutte et des sanctions appartenait au domaine de la justice.
Enfin, selon Sylvain Besch (CEFIS), tout ce qui a trait aux réseaux sociaux est plus facilement décelable et peut être signalé auprès d'organismes tels que Bee Secure, et que de son opinion, l'ensemble de ces comportements racistes et discriminants sont de la responsabilité de tous, médias compris.
2.949 répondants pour l'enquête du LISER
D'un point de vue méthodologique, l’enquête du LISER s’est axée sur l’aspect quantitatif, par le biais d’un questionnaire en ligne auprès d’un échantillon représentatif de l’ensemble de la population résidente. Elle a été menée entre le 25 juin et le 31 août 2021 et visait à la fois la population née au Luxembourg et les sous‐groupes de personnes les plus à risque de discrimination et racisation.
En bref, 15.000 résidents âgés de 18 ans et plus pour une population de référence estimée à 518.104 personnes ont été invités à répondre à des questions transcrites dans cinq langues, à savoir, le luxembourgeois, le français, l’allemand, l’anglais et le portugais. Au total, ce sont 2.949 personnes qui ont répondu pour les besoins de l’étude.
Celle du CEFIS s’est articulée sous forme d’enquête qualitative par des entretiens semi-directifs avec pour public cible les acteurs dits de terrain, experts et structures en lien direct ou indirect avec de possibles situations de racisme et de discriminations au Grand-Duché. Au total, 67 structures ont été sollicitées, sur la base de 139 personnes qui ont participé à l’enquête.
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