«Les médecins sont dégoûtés»
«Les médecins sont dégoûtés»
Le Dr Germain Wagner (62 ans) est médecin généraliste à Differdange depuis 35 ans. Il a exercé seul dans un petit cabinet pendant le premier tiers de sa carrière, puis il s'est associé et travaille aujourd'hui dans un centre de soins primaires regroupant huit médecins et deux médecins en formation spécialisée de médecin de famille. De 1999 à 2005, il a présidé le cercle des médecins généralistes et s'est déjà penché sur les défis à venir.
Dr Germain Wagner, vous n'êtes pas surpris par le fait que la pénurie de médecins soit devenue aiguë?
«Je ne suis pas surpris par les problèmes auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés de manière générale dans notre système de santé. En tant que président des médecins généralistes, j'ai réalisé dès 2001 une étude démographique de notre spécialité que j'ai remise au ministre de la Santé de l'époque, Carlo Wagner. J'y prédisais le problème de la pénurie de médecins, qui commencerait en 2013 et deviendrait insurmontable en 2020. Nous y sommes aujourd'hui.
Mais entre-temps, des médecins sont également formés au Luxembourg en tant que médecins de famille, en collaboration avec l'université.
«Mais les contingents qui y sont formés sont loin de suffire pour compenser les départs, et encore moins pour répondre à la croissance démographique ou à l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée que nous, médecins, réclamons à juste titre.
Le ministère ne dispose même pas de statistiques fiables sur le nombre effectif de médecins travaillant dans notre pays.
Dr Germain Wagner
Selon une thèse de fin d'études d'un médecin généraliste luxembourgeois en 2018, la moitié de tous les actes médicaux en médecine générale étaient effectués par seulement 20% des médecins de famille en exercice. Parmi ceux-ci, 90% avaient plus de 55 ans. Qui fournira ces actes prochainement, lorsque tous ces collègues seront partis à la retraite?
Le caractère explosif de la situation est-il sous-estimé?
«En ce qui concerne la pénurie de médecins, la ministre fait preuve d'une insouciance effrayante. Elle pense qu'il suffit de tourner quelques vis pour sauver ou réformer un système de santé qui court à la catastrophe. Cette insouciance va si loin que le ministère ne dispose même pas de statistiques fiables sur le nombre effectif de médecins travaillant dans notre pays.
Que pourrait-on faire de plus à court terme?
«Se rendre compte qu'une solution rapide n'existe pas et qu'en attendant de former plus de médecins dans une véritable faculté de médecine à l'université, nous avons tout intérêt à encourager les médecins actuellement en activité à rester actifs le plus longtemps possible et à leur offrir un environnement de travail favorable.
La ministre, en collaboration avec la CNS, ne fait rien d'autre que de pousser les médecins vers la sortie par des coups de boutoir incessants - avec des décisions unilatérales, sans nous consulter, comme pour la suppression de la téléconsultation qui faisait gagner beaucoup de temps à nos patients et à nous-mêmes, ou avec des obstacles administratifs sans cesse renouvelés. Je pourrais citer des dizaines d'exemples de la manière dont on nous harcèle en permanence.
C'est pourquoi nombre de mes collègues du même âge parlent de plus en plus souvent de partir à la retraite pour échapper une fois pour toutes à ce despotisme, beaucoup sont déjà partis ces trois ou quatre dernières années. Il est dommage qu'il n'y ait pas de statistiques à ce sujet.
Que faudrait-il faire, selon vous, pour répondre à la génération actuelle de médecins?
«En 2015, nous avions déjà présenté aux ministres de l'époque, la ministre de la Santé Lydia Mutsch et le ministre des Affaires sociales Romain Schneider, un projet de centres de soins primaires. Cela aurait permis aux médecins de se regrouper dans des cabinets collectifs ou des communautés de pratique pour travailler ensemble avec d'autres professionnels de la santé, comme les infirmiers, les diététiciens, les kinésithérapeutes.
Parler de transparence relève d'un cynisme incroyable - pouvoir compter sur le soutien inconditionnel de la ministre de la Santé l'est tout autant.
Dr Germain Wagner
Une carte sanitaire des soins primaires aurait pu être établie afin de planifier la répartition géographique de ces centres. Ils auraient pu contribuer considérablement à désengorger les polycliniques en imposant des heures d'ouverture. Les deux ministères auraient pu contribuer à leur financement via des forfaits similaires à ceux payés aux hôpitaux, mais beaucoup moins généreux. Ces forfaits auraient pu être calculés par secteur et en fonction de la densité de médecins, afin d'encourager les médecins à s'installer dans des zones moins peuplées.
Quel est l'état d'avancement de ce projet?
«Il me semble qu'il faudrait le sortir des plus profonds tiroirs des archives du ministère de la Santé. Néanmoins, à l'heure actuelle, plusieurs groupes de médecins se sont déjà associés et prévoient de créer de grands centres de soins médicaux afin d'offrir un meilleur service à leurs patients.
Ils ne doivent toutefois pas se faire d'illusions. La participation de l'État sera de zéro euro, tout comme la participation de la CNS aux frais de personnel. La caisse de santé préfère consacrer plus de la moitié de ses ressources au secteur hospitalier, sans compter les honoraires des médecins. A titre de comparaison, en Allemagne, les dépenses à ce titre atteignent près de 30% - avec les salaires des médecins.
Vous le dites avec une certaine amertume. Les médecins libéraux sont-ils trop peu nombreux dans notre système, d'autant plus que l'externalisation de certaines activités - mot-clé IRM - reste désormais dans les mains des hôpitaux?
«Dans ce débat, le président de la Fédération hospitalière de France (FHL), Philippe Turk, a évoqué une concurrence des cabinets médicaux vis-à-vis des hôpitaux, qu'il a qualifiée de 'concurrence déloyale'. Ce faisant, il déforme énormément la réalité. En effet, les subsides illimités que les hôpitaux reçoivent de l'Etat sont plutôt des aides et des avantages illégaux du secteur hospitalier par rapport aux cabinets médicaux.
Toutes les ressources financières sont réservées aux hôpitaux, le secteur des soins médicaux primaires dans les cabinets médicaux, qui constitue le fondement de tout système de santé qui veut offrir une qualité élevée et qui, par ailleurs, traite et résout 90% des problèmes de santé, ne reçoit rien - pas un seul euro pour le financer.
Si cette 'concurrence' n'est pas appréciée par les hôpitaux, je ne peux que leur rétorquer: premièrement, une situation de concurrence me permet de montrer à mes patients ce que je sais faire et quels services je peux offrir, et deuxièmement, cela me permet de m'améliorer, car je me remets constamment en question et je veux améliorer ma façon de travailler. Nous faisons face à cette concurrence tous les jours dans nos cabinets. Si le secteur hospitalier la refuse, il prouve qu'il ne veut ni comparer ni améliorer ses prestations.
Vous faites allusion au manque de transparence sur les coûts, les données, la comparabilité qui caractérise le secteur hospitalier?
«En accusant l'association de médecins AMMD de mentir quand elle constate que le financement des hôpitaux n'est pas transparent, M. Turk cache le fait que pour chacune des quatre grandes structures, le forfait payé par la sécurité sociale pour un passage en polyclinique ou en IRM est totalement inconnu, car il est mélangé à d'autres chiffres.
Les ministres font certes pression depuis longtemps, mais uniquement sur les acteurs privés du système de santé, comme les laboratoires ou les kinésithérapeutes.
Dr Germain Wagner
On ne sait même pas si les quatre structures reçoivent des forfaits identiques. On ne sait rien non plus de la répartition du personnel soignant - si une personne est affectée à un travail essentiel ou à l'un des innombrables services dont la seule tâche est de faire tourner les appareils techniques sans que cela apporte une plus-value médicale aux patients.
C'est sans doute l'une des principales raisons pour lesquelles la FHL s'est battue bec et ongles contre un hôpital Covid proposé par le corps médical au plus fort de la pandémie: les hôpitaux auraient dû dévoiler leur efficacité et renoncer à une partie du personnel effectuant des soins non essentiels. Parler de transparence relève d'un cynisme incroyable - pouvoir compter sur le soutien inconditionnel de la ministre de la Santé l'est tout autant.
Vous pensez qu'il faudrait faire davantage pression?
«Les ministres font certes pression depuis longtemps, mais uniquement sur les acteurs privés du système de santé, comme les laboratoires ou les kinésithérapeutes, tandis que les hôpitaux peuvent continuer à gaspiller leurs ressources en toute impunité.
Aucun audit n'est réalisé pour évaluer la qualité ou l'efficacité. Aucune comparaison n'est faite avec les pays voisins - la ministre élargit au contraire le champ d'action des hôpitaux, comme maintenant avec les antennes hospitalières qu'elle autorise pour étouffer toute initiative privée. C'est irresponsable.»
Cet article a été publié pour la première fois sur www.wort.lu/de
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