«Les managers doivent encore se former au télétravail»
«Les managers doivent encore se former au télétravail»
Visioconférences, messages, emails ou encore appels vocaux, le télétravail a entraîné une multiplication des canaux de communication entre collègues. Si cette technologie omniprésente a permis de faciliter le travail à distance, elle n'a pas forcément été synonyme d'un accroissement de la confiance des managers envers leurs équipes.
153% de réunions Teams hebdomadaires en plus au printemps 2022 par rapport à l'an passé, ou encore 46% d'augmentation des plages lors desquelles deux réunions se chevauchent, les statistiques présentées dans une récente étude de Microsoft sur l'usage de la technologie dans le télétravail sont sans appel. La «paranoïa de la productivité» est toujours présente parmi les 20.000 répondants de l'enquête, et prend une forme de réunionite aiguë.
«On ne manage pas de la même façon une équipe à distance. C'est aussi un changement d'état d'esprit, et il est nécessaire de trouver un juste milieu dans ce gain d'autonomie des équipes», analyse Laetitia Hauret, chercheuse au Liser. Une évolution des mentalités qui ne semble pas s'être opérée du côté de tous les managers, au vu de certains chiffres mis en valeur par l'enquête.
Une adaptation graduelle
Ainsi, 85% des chefs d'équipe estiment que l'avènement du télétravail généralisé a ébranlé la confiance qu'ils avaient en la productivité de leurs employés. Pour la chercheuse, ce taux élevé s'explique par le contexte brutal qui a entouré la mise en place du travail à distance. «Il y a eu un passage rapide d'un mode de management basé sur le contrôle de la présence à un mode de management davantage basé sur les objectifs.»
Une évolution qui peut mener certains managers à ressentir une perte de contrôle. Rien d'étonnant selon Laetitia Hauret, pour qui la solution est toute trouvée: la réponse réside dans la formation de ces responsables. «La formation au télétravail est une question centrale à poser, et doit être mise en place. Je pense aussi qu'avec le temps, les pratiques vont continuer de s'adapter, et la confiance va être retrouvée.»
Ce manque de confiance n'est pas sans impacter la productivité des salariés, selon Microsoft. Cette multiplication des réunions entraîne une baisse des employés enclins à accepter un meeting. Ainsi, au printemps 2022, les déclins (+84%) et les réponses provisoires (+216%) ont grimpé en flèche sur Teams. Finalement, 42% des répondants ont admis qu'il leur arrivait de faire plusieurs choses en même temps.
Le Luxembourg fait face à plusieurs freins au développement du télétravail, notamment pour les frontaliers, qui engendrent des obstacles et des questionnements en entreprise.
Laetitia Hauret, chercheuse au Liser
Un pourcentage qui n'étonne pas non plus la chercheuse du Liser. «En télétravail, le salarié est plus sollicité à interrompre une tâche pour en effectuer une seconde, car il a la volonté de prouver qu'il n'est pas un télétravailleur factice. Par conséquent, souhaitant montrer son effectivité dans son travail, il a plus tendance à vouloir répondre rapidement aux questions», explique Laetitia Hauret.
Une tendance qui pousse certains salariés vers un autre extrême, celui du surinvestissement. Ainsi, certaines études américaines ont démontré que le temps gagné grâce à l'absence de trajet était réinvesti dans le travail, et non dans des moments de détente ou de loisirs.
La chercheuse note par ailleurs que le sentiment de productivité est subjectif, et dépend grandement des salariés, mais aussi de leur cadre de travail. «Dans notre étude, dont les chiffres sont issus d'un travail de recherche effectué pendant le confinement au Luxembourg, on voit que 39% des télétravailleurs s'estimaient plus productifs, 38% avaient une productivité similaire, et 23% moins productifs.»
Dans cette étude, Microsoft met également des mots derrière l'envie de retourner au bureau éprouvée par certains salariés. Et autant le dire tout de suite, la volonté de répondre aux objectifs économiques de l'entreprise ne fait pas partie des priorités. 84% des employés et du middle management, comprendre responsable de proximité, souhaitent avant tout retourner sur leur lieu de travail pour sociabiliser avec leurs collègues. Les répondants sont par ailleurs 74% à déclarer qu'ils iraient plus souvent au bureau s'ils savaient que les collègues avec qui ils ont noué une amitié étaient, eux aussi, en présentiel.
Un véritable bond en avant
Si des répondants français et allemands ont, en outre, participé à cette étude mondiale, il convient de noter que ces résultats ne s'appliquent pas forcément au Luxembourg. Le pays présente plusieurs spécificités, à l'image de sa part des emplois qui sont télétravaillables. Cette dernière est beaucoup plus élevée au Grand-Duché (48,7%, selon une étude réalisée en 2020) que dans la moyenne européenne (36%).
Malgré ce terrain propice au travail à domicile, il existe un revers de la médaille. «Le Luxembourg fait face à plusieurs freins au développement du télétravail, notamment pour les frontaliers, qui engendrent des obstacles et des questionnements en entreprise. Le travail à la maison peut être une lourdeur administrative, mais également une source d'inégalité entre travailleurs résidents et frontaliers.»
Si certains freins ont donc pu être temporairement ou partiellement levés lors de la pandémie, des efforts restent à faire pour repenser les règles de management. La crise sanitaire a tout de même permis à la pratique du travail à distance de connaître un véritable bond en avant, souligne la chercheuse. «Si de plus en plus d'emplois s'y prêtaient, on voyait qu'il y avait quand même 75% des entreprises au Luxembourg qui ne donnaient pas la possibilité de télétravailler avant la crise covid, en raison de freins comme le management, l'infrastructure informatique ou encore la peur des télétravailleurs factices.» Une peur qui semble bel et bien subsister, donc.
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.
