Les avocats craignent pour le secret professionnel
Les avocats craignent pour le secret professionnel
(ASdN avec Pierre Leyers) - Il est rare que la profession d'avocat, connue pour sa discrétion, rende publique une demande. Pourtant, c'est bien ce qu'a fait François Prum lors d'une conférence de presse jeudi, en lançant une alerte. «Le secret professionnel des avocats est en danger», a ainsi averti l'ancien président du Barreau avant de rappeler que ce dernier sert avant tout à protéger les clients.
Et à l'en croire, le danger pour la relation de confiance entre le client et l'avocat viendrait du ministère des Finances. Le projet de loi n° 7465, qui concerne la transposition d'une directive européenne en droit national, a en effet été édité. Aux yeux des juristes, si ce n'est pas tant la directive elle-même qui pose problème, c'est bien sa mise en œuvre.
Avec ce projet législatif, les avocats devront en effet, à l'avenir, déclarer aux autorités fiscales les arrangements fiscaux transfrontaliers de leurs clients. Le fait que ces structures financières, même si elles sont classées comme «agressives», ne constituent que rarement une infraction pénale est particulièrement sensible : «Exiger d'un avocat qu'il dénonce quelque chose qui est légal est très dangereux», prévient Valérie Dupong, vice-bâtonnière de la profession d'avocat, avant d'ajouter qu'il s'agit d'«une attaque contre le cœur de la profession».
Panama Papers et fuite de données
Le projet de loi ne prévoit néanmoins pas que les avocats dénoncent leurs clients, mais seulement leur structuration financière. Mais pour François Prum, c'est un peu du pareil au même. «L'anonymat du client n'est pas garanti», explique-t-il, car son identité est facilement reconnaissable depuis la structure. L'ancien président du Barreau ne comprend par ailleurs pas pourquoi le Luxembourg insiste sur la dénonciation par les avocats alors que la directive européenne prévoit une exception pour tous les intermédiaires financiers, précisément en raison de la protection du secret professionnel.
Le conflit qui anime les avocats est une vision fondamentalement contradictoire qui s'est développée entre l'administration fiscale, d'une part, et de nombreux acteurs de la Place financière, d'autre part, depuis le scandale des Papiers Panama. Le Luxembourg a en effet abandonné le secret bancaire en 2015.
Mais la levée du secret bancaire ne supprime en rien tous les obstacles à l'échange d'informations entre les autorités fiscales nationales. Accélérée par diverses fuites de données, la lutte contre l'évasion fiscale s'est déplacée des avoirs des particuliers vers les pratiques fiscales des groupes internationaux.
Le Luxembourg, en tant que l'une des plus grandes Places financières mondiales et siège de nombreux groupes, est particulièrement concerné par les mesures adoptées au niveau de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des pays du G20.
Transposition en droit national
L'échange d'informations fiscales décidé dans le cadre de ces mesures s'est déroulé en plusieurs étapes, toutes nommées et numérotées conformément à la directive sur la coopération administrative (CAD). La directive proposée aujourd'hui par la profession juridique luxembourgeoise est la CAD 6, sixième et dernière étape de l'échange prévu, qui traite des modèles de planification fiscale.
Mais depuis la présentation du projet de loi n° 7465 par le ministre des Finances Pierre Gramegna (DP), le 8 août dernier, de l'eau a coulé sous les ponts. Car la directive CAD 6 doit être transposée en droit national d'ici le 31 décembre 2020.
En pratique, la directive CAD 6 concerne donc les conseillers financiers, les comptables, les banquiers, les fiduciaires - et les avocats. Presque tous les acteurs de la Place financière sont donc concernés par le DAC 6, mais surtout les cabinets d'audit et de conseil connus sous le nom de «Big Four». A partir du 31 décembre, une nouvelle ère commencera pour eux tous.
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