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Le voyage de toutes les émotions

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Le voyage de toutes les émotions
Visite d'Etat au Portugal

Le voyage de toutes les émotions


par Marc THILL/ 11.05.2022

Le couple grand-ducal est arrivé à Lisbonne mardi soir, à l'aéroport militaire de Figo Maduro. Mercredi, la cérémonie de réception protocolaire aura lieu au centre de Lisbonne.Photo: SIP

Henri et Maria Teresa rendent visite à un pays qui a été un lieu de refuge de la famille grand-ducale pendant la guerre, tandis que le Luxembourg, lui, est devenu une terre d'accueil pour de nombreux Portugais depuis les années 1960.

Depuis ce mardi après-midi, le grand-duc Henri et la grande-duchesse Maria Teresa sont en visite d'Etat officielle au Portugal. Trois jours sont prévus pour un voyage au cours duquel les deux pays souhaitent marquer solennellement et protocolairement leur proximité. Les aspects politiques, économiques et culturels sont au programme. Quatre ministres font partie du cortège officiel, représentant les ministères des Affaires étrangères, de l'Économie, des Finances et de la Famille.

Photos de la cérémonie de départ à Luxembourg mardi après-midi, et de l'arrivée à Lisbonne, à l'aéroport militaire Figo Maduro. Mercredi, la cérémonie d'accueil officielle avec les honneurs militaires aura lieu à la Praça do Império à Lisbonne.

Parallèlement à ce voyage, un symposium économique est prévu, et un échange culturel aura également lieu entre différentes institutions culturelles des deux pays. La culture, en tant que soft power, est justement toujours un médiateur important entre les peuples, tant elle touche et égaie le cœur des gens.

Les racines de la dynastie

Cette visite d'Etat, qui se limite à la capitale portugaise Lisbonne et au village de pêcheurs voisin de Cascais, revêt une importance toute particulière pour la famille grand-ducale. Elle mène en effet aux origines de la dynastie luxembourgeoise. L'arrière-grand-mère du grand-duc Henri était une infante du Portugal, Marie-Anne de Bragance, fille du roi Miguel Ier de Portugal.

En 1893, l'amour l'a conduite auprès de Guillaume de Nassau, le futur grand-duc Guillaume IV, et donc, au Luxembourg. A cette époque, la dynastie était encore très jeune. Trois ans plus tôt, en 1890, le père de Guillaume, le duc Adolphe de Nassau, alors âgé de 73 ans, avait pris possession du trône de Luxembourg après que la maison d'Orange-Nassau, qui détenait le trône royal des Pays-Bas depuis 1815 et gouvernait en même temps le Grand-Duché de Luxembourg en union personnelle, n'eut plus d'héritier mâle au trône, suite à la mort du roi Guillaume III. C'est ainsi que, conformément à un ancien pacte familial appelé «Union héréditaire de Nassau», la souveraineté sur le Grand-Duché revint au mâle de la dernière branche familiale encore existante, en l'occurrence Adolphe, duc de Nassau.

Durant cette période, la vie privée de la nouvelle famille grand-ducale se déroula loin du pays. Avec le grand-duc Guillaume IV et la grande-duchesse Marie-Anne, les choses changèrent, et, avec eux, la nouvelle dynastie parvint peu à peu au peuple. Le 22 juillet 1893, le couple nouvellement marié célébra une «Joyeuse entrée» et fut accueilli avec enthousiasme. Marie-Anne de Bragance trouva pour la première fois de sa vie un véritable foyer. En effet, son père Miguel avait dû abdiquer en 1834, elle était née en 1861 au château de Bronnbach près de Wertheim sur le Main allemand.

Les petits-enfants de la grande-duchesse Marie-Anne.
Les petits-enfants de la grande-duchesse Marie-Anne.

La princesse conquit rapidement le cœur des Luxembourgeois. Elle devint Grande-Duchesse, et lorsque son mari Guillaume, atteint d'une grave maladie, ne put plus exercer sa fonction, elle devint d'abord lieutenant-représentant, puis régente du pays. C'est à cette époque qu'elle a fait transformer le château de Berg en un château résidentiel, offrant ainsi à la maison de Luxembourg une résidence permanente au Grand-Duché.

En ces jours au bord du Tage, le grand-duc Henri pensera certainement à la grande-duchesse Marie-Anne, une femme remarquable qui avait ses racines au Portugal.

Rétrospectivement, on peut aujourd'hui affirmer sans hésiter qu'avec le grand-duc Adolphe, les Luxembourgeois ont eu leur premier prince et qu'avec Guillaume et Marie-Anne, la nouvelle dynastie s'est consolidée. Même si la pointe la plus occidentale de l'Europe et l'ancienne plus grande nation de navigateurs ne sont plus une monarchie depuis 1910, le nom de Bragance continue de résonner au Portugal, encore aujourd'hui. Cette famille noble a fourni les rois du Portugal entre 1640 et 1853 et les empereurs du Brésil entre 1822 et 1889.

La grande-duchesse Marie-Anne et ses petits-enfants.
La grande-duchesse Marie-Anne et ses petits-enfants.

Dans la vie de la princesse Marie-Anne, le nom de Bragance s'est peu à peu estompé, certainement en raison de son mariage avec la famille Nassau-Weilburg, mais aussi en raison de l'importance que le Luxembourg a fini par prendre pour elle. Lors de sa visite d'Etat ces jours-ci au bord du Tage, le grand-duc Henri pensera certainement à cette femme remarquable, donc à son arrière-grand-mère, qui avait ses racines au Portugal.

Deux femmes en exil

Le destin a voulu que Marie-Anne ne soit pas seulement née en exil, mais qu'elle quitte aussi le monde en exil, à New York, aux États-Unis, où elle avait trouvé refuge pendant la Seconde Guerre mondiale. Et c'est ainsi que s'ouvre un autre chapitre important de l'histoire des relations entre le Portugal et le Luxembourg, qui revêtira également une importance émotionnelle lors de cette visite d'État: la Seconde Guerre mondiale et l'exil de la grande-duchesse Charlotte.


Photo officielle de la famille: (de g. à dr.) la princesse Charlotte, la princesse Sophie, la princesse Antonia, la grande-duchesse Adélaïde-Marie, la grande-duchesse Marie-Anne, la grande-duchesse Marie-Adélaïde, la princesse Hilda, la princesse Elizabeth
Marie-Anne, une princesse en exil
La grande-duchesse Marie-Anne a connu des moments douloureux dans sa vie. Figure de proue de la dynastie, mère de la grande-duchesse Charlotte, on célèbre cette année le 75e anniversaire de sa mort.

En 1940, c'est justement à Lisbonne que la dynastie a pris les bonnes décisions pour assurer sa pérennité et, peut-être, la survie du Luxembourg. Dans cette grande ville portugaise, alors tête de pont vers le monde libre, Charlotte avait trouvé un havre de paix temporaire après sa fuite aventureuse à travers la France et l'Espagne, un voyage plein de doutes et un voyage vers l'inconnu. Ce furent des jours tendus au bord du Tage pour toute une famille qui, fin juin 1940, put s'installer dans la Villa Santa Maria à Cascais, la résidence du consul honoraire du Luxembourg de l'époque.

La Villa Santa Maria à Cascais, où la grande-duchesse Charlotte s'est réfugiée.
La Villa Santa Maria à Cascais, où la grande-duchesse Charlotte s'est réfugiée.

Alors que le mari, le prince Félix de Bourbon-Parme, et les enfants du couple grand-ducal ont pu quitter le Portugal le 15 juillet sur un navire de guerre américain en direction des États-Unis et du Canada, la souveraine est d'abord restée à Lisbonne. Elle s'y est retrouvée face à un grand dilemme en juillet et août 1940: retourner auprès des siens ou partir en exil? «Mon cœur dit oui, ma tête dit non», répondit la Grande-Duchesse à la demande de retour à Cascais que lui avaient adressée le Parlement et la Commission administrative du Luxembourg.

De Lisbonne, elle s'envola le 29 août 1940 pour Londres, le Luxembourg étant annexé depuis longtemps, pour des entretiens d'une durée de dix jours. Elle s'adressa une première fois au peuple luxembourgeois par les ondes de la BBC le 5 septembre, revint à Lisbonne le 6 septembre, d'où elle partit finalement le 4 octobre à bord d'un hydravion de la Pan American Airways pour New York, afin de poursuivre son voyage au Canada, d'où elle repartit plus tard pour Londres et revint au Luxembourg à la fin de la guerre, le 14 avril 1945.

Le Portugal est donc, à bien des égards, synonyme de liberté et de solidarité pour le Luxembourg, mais pas seulement pour la famille grand-ducale. De nombreux réfugiés luxembourgeois, dont des Juifs et des personnes persécutées, ont également trouvé refuge au Portugal. Dans le cadre de l'annexion du Luxembourg en 1940, les autorités allemandes avaient ordonné l'expulsion d'environ 2.000 Juifs.

Fuite et immigration

Mais c'est un diplomate portugais, Aristides de Sousa Mendes, consul à Bordeaux, qui a heureusement ignoré les instructions de ses supérieurs et a obtenu des laissez-passer pour environ 30.000 personnes, dont 10.000 Juifs, afin de quitter la France et de se rendre au Portugal. Il a également délivré les papiers nécessaires à la grande-duchesse Charlotte, au prince Félix et à leurs trois enfants, ainsi qu'aux ministres Pierre Dupong, Joseph Bech et Victor Bodson.


De retour d'exil, il y a 70 ans
Ce mardi 14 avril à 12h15, le grand-duc Henri déposera une gerbe au pied du monument dédié à la grande-duchesse Charlotte, place Clairefontaine. Une cérémonie pour le 70e anniversaire du retour d’exil de la grande-duchesse Charlotte rassemble la famille grand-ducale et une partie du Gouvernement.

Pour les réfugiés juifs qui arrivèrent au Portugal en 1940, la frontière de Vilar Formoso, où arrivaient parfois plus de 2.000 personnes par jour, était devenue un symbole de liberté. Pour de nombreux Portugais, en revanche, ce n'était pas la même chanson. Le Portugal était en effet un régime autoritaire sous la direction d'Oliveira Salazar, qui a duré jusqu'en 1974. Une grande partie de la population vivait dans la pauvreté, tandis que la censure et la répression faisaient taire les voix qui s'élevaient contre le régime.

Ma patrie est ma langue.

Fernando Pessoa

Dans les années 1960, le Luxembourg est devenu une terre d'accueil pour de nombreux Portugais qui fuyaient la dictature et la pauvreté - y compris en franchissant la frontière à Vilar Formoso. Un accord sur l'emploi des travailleurs portugais au Luxembourg, signé en 1970 et ratifié en 1972, a créé un cadre pour l'accueil des Portugais.

Avec 93.678 personnes en 2021, ils sont aujourd'hui le groupe de population le plus important au Luxembourg, ils représentent 14,50% de la population résidente du Grand-Duché. Une deuxième génération de Portugais, qui sont des Luxembourgeois d'origine portugaise et qui ont des liens culturels avec les deux pays et les deux peuples, contribue aujourd'hui au développement social et culturel au Luxembourg.

Le poète Fernando Pessoa a écrit un jour: «Ma patrie est ma langue». Pour un peu plus de 200 millions de personnes dispersées en Europe, en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie, dont les Luxembourgeois-Portugais, cette patrie s'appelle la langue portugaise. Cela aussi doit être respecté.

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