Le virus nous fait «vivre dans une zone de suspense»
Le virus nous fait «vivre dans une zone de suspense»
L'actuel contexte d'épidémie mais aussi de surinformation à propos du coronavirus peut-il avoir des répercussions psychologiques ?
Thierry Simonelli: « Complètement, oui. Parce que je l'entends tous les jours! Vient un moment où la quantité et l'omniprésence font que ça ne peut pas passer par-dessus les têtes. Il y a un vrai martèlement médiatique et sur les réseaux sociaux de sorte qu'on ne parle que du coronavirus. Même si des personnes parviennent à s'en distancer, on ne peut pas allumer un écran sans être confronté aux images d'horreur qui viennent de partout.
C'est difficile de ne pas se sentir marqué par ce qui se passe. Ça crée de l'anxiété. Mais on ne sait pas vraiment ce qui va arriver. Et comme toujours, lorsqu'il y a un phénomène inquiétant, moins on a de certitudes, plus on a de jeu pour l'imagination. Et c'est ça toujours, le plus inquiétant. Comme dans les films d'horreur, c'est quand on voit le monstre, qu'on commence à se rassurer parce qu'on sait à quoi on a affaire. Mais le virus est invisible! Personne ne sait s'il est là ou pas. Nos proches peuvent être infectés sans avoir de symptômes. Le doute est généralisé et ça joue.
D'un côté, on compte les morts et les personnes infectées. Et de l'autre, le gouvernement dit: "pas de panique". N'est-ce pas irrationnel ?
«Je dirais que c'est contradictoire. Et cela génère des réponses affectivement conflictuelles. D'un côté on aimerait bien être rassuré, de l'autre il y a toutes ces informations qui disent: "soyez inquiets !" C'est un conflit qui peut avoir un impact. Pour l'heure, il n'est pas trop important.
On a toutes ces informations et en même temps, on ne peut pas décider. Certains essaient de ne pas y penser, en refoulant le problème. D'autres, au contraire, tombent dans l'obsession et essayent de glaner des informations tout le temps. De manière pratique et compulsive, on se lave les mains, et garde ses distances, sans savoir si c'est exagéré ou pas. Mais on ne le sait pas encore. On vit dans cette zone de suspense. On vit un moment où les choses tardent à se dénouer.
Le coronavirus est synonyme d'isolement pour ceux qui se retrouvent en quarantaine mais aussi de stigmatisations. En êtes-vous témoin ?
«La stigmatisation j'en entends parler au quotidien. Les Européens qui reviennent des régions les plus infectées - comme l'Italie et maintenant l'Espagne - dans leur entreprise, sentent déjà les regards. Des gens m'ont dit: "On se croirait en 1933 du mauvais côté de la majorité politique". Il y a tout d'un coup de la suspicion et vous devenez la personne dangereuse.
On voit à quelle vitesse les choses peuvent se retourner et la gentillesse de surface céder à la crainte de l'autre. Ce n'est pas de la malveillance réfléchie. C'est ce que produit la peur. Et quand la peur est partout, on ne se retrouve plus ensemble. C'est un peu ce qui s'est passé suite aux attentats terroristes de Paris: toutes les personnes d'origine maghrébine étaient devenues suspectes.
Avec le coronavirus, il y a un début de ségrégation. Et à nouveau, on ne sait pas s'il faut rester à la maison ou s'il y a une sorte de xénophobie. Cela met la vie quotidienne de nos démocraties à rude épreuve».
