«Le gouvernement passe à côté des enjeux du mobbing»
«Le gouvernement passe à côté des enjeux du mobbing»
Si le projet de loi n°7864 doit combler un vide juridique en introduisant la notion de harcèlement au sein de l'entreprise dans le code du travail, la version actuelle du texte est loin de faire l'unanimité. Notamment du côté de la Mobbing asbl, acteur central dans la lutte contre le phénomène. Explications avec Me Jean-Marie Bauler, membre du conseil d'administration.
L'étude du projet de loi sur le mobbing déposé par Dan Kersch (LSAP) a débuté en commission. Quel regard portez-vous sur ce texte ?
Me Jean-Marie Bauler : «Son seul mérite tient dans le fait qu'il existe. Point. En l'état, il n'apportera rien d'important car les mécanismes qu'il faudrait prévoir et que l'association avait suggérés n'ont pas été retenus. Si le projet de loi reste comme cela, ce serait une énorme occasion manquée car il est non seulement très imparfait, mais risque aussi de ne pas porter les résultats escomptés.
C'est-à-dire ?
«Il ne faut pas oublier que même en l'absence de législation précise sur le sujet, certaines juridictions avaient déjà défini la notion de harcèlement au travail et défini des responsabilités au niveau de l'employeur. Dans ce contexte, j'attendais un projet de loi plus ambitieux qui prendrait à bras-le-corps la notion de bien-être au travail. Le constat est d'autant plus décevant que le projet de loi disposait d'une excellente préparation. Le gouvernement semble avoir opté pour le plus petit dénominateur commun et passe à côté des enjeux du harcèlement moral.
Quelles étaient les propositions mises sur la table par la Mobbing asbl?
«En nous basant sur notre retour d'expérience, nous avions proposé trois volets essentiels, à savoir le maintien du soutien apporté par les associations spécialisées comme la nôtre - et donc leur subventionnement -, la mise en place d'un service de médiation dédié à la santé au travail et enfin l'attribution à l'ITM de nouvelles possibilités afin de sévir, le cas échéant. Le texte actuel gomme les deux premières options et place la totalité de ces missions sur l'ITM et les délégations du personnel dans les entreprises. Ce qui ne sera pas efficace et donc dommageable pour les victimes de harcèlement.
Pour nous, les trois volets sont importants, car ils instaurent des filtres capables d'évaluer une situation qui relève d'une certaine manière du subjectif. Car ce qui sera du harcèlement pour l'un ne le sera pas forcément pour l'autre. Le plus important autour de cette question relève de la notion de confiance entre les différents acteurs. Et donc une collaboration entre eux. Apparemment, le ministre du Travail a indiqué aux membres de la commission qu'il était ouvert à la création d'amendements, nous y comptons bien pour éviter de rater une belle occasion.
Nicolas Schmit, ancien ministre du Travail, avait reconnu que mettre en place ce dispositif était compliqué, sans rentrer dans le détail. Pourquoi selon vous?
«Car tout le monde n'a pas encore pris la mesure de ce qu'est le harcèlement moral au sein du monde professionnel. Le fait par exemple que le renversement de la charge de la preuve n'ait pas été retenu, contrairement à ce qui existe dans la loi contre le harcèlement sexuel qui date de plus de 20 ans, montre que cette question n'est pas évidente pour tous. Car il ne faut pas mélanger le droit d'un employeur de diriger son entreprise comme il l'entend, quitte à réprimander son personnel, et le vrai harcèlement moral qui consiste en une stratégie délibérée qui vise à 'casser une personne'.
Au final, je pense qu'il existe encore trop de différences de vue entre représentants patronaux et organisations salariales ou syndicales sur ce thème.
D'où viendrait ce décalage ? D'une approche philosophique radicalement différente entre partenaires sociaux ?
«Si je me base sur l'existence de la convention signée entre l'UEL et les syndicats et de la loi sur les conventions collectives, une sorte de consensus existe quant au besoin de veiller à mettre en place des conditions de travail dignes. Mais vous pouvez mettre tous les mécanismes en place, si les personnes en charge de les appliquer ne le font pas ou si la confiance dans les garants de ces mécanismes manque, le problème demeurera.
De mon point de vue, les conditions sont réunies pour qu'une telle loi voie le jour afin de lutter contre un phénomène qui fait énormément de dégâts. A condition que cette loi soit bien plus ambitieuse que ce qui est aujourd'hui présenté.»
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.
