«Le phallus est le symbole suprême de la virilité»
«Le phallus est le symbole suprême de la virilité»
Craintes, constructions sociales et symbolique de la fertilité... La contraception masculine peine à se faire une place. Explications avec Laurence Stevelinck, auteur d'un essai sur la contraception partagée et titulaire d'un master en études de genre.
Si les femmes disposent d'un large choix de contraceptifs, les dispositifs de contraception masculine sont eux bien plus limités. Comment expliquez-vous cela?
Laurence Stevelinck: «La contraception dite masculine - ou testiculaire - fait face à des freins techniques. Il existe un véritable désintérêt de l'industrie pharmaceutique, de la médecine et des pouvoirs publics… et donc un manque de moyens alloués aux études sur la fécondité masculine. Ces budgets ont toujours été très limités.
Il existe pourtant bien des méthodes à disposition des hommes...
«Bien sûr! On peut citer la vasectomie, la contraception hormonale ou encore la contraception thermique. La méthode la plus connue et la plus utilisée reste le préservatif externe, mais il est rapidement délaissé par les couples hétérosexuels. Dès qu'ils entrent dans une relation dite stable ou durable, il est bien souvent abandonné au profit d'une contraception féminine.
Certains pensent qu'il s'agit d'une responsabilité naturelle des femmes.
Comment expliquer ce désamour pour la contraception masculine?
«Outre les limites techniques, il existe un frein professionnel, c'est-à-dire du corps médical. Certains médecins n'abordent d'ailleurs même pas la question de la contraception testiculaire. D'autant plus que, dans le cas des gynécologues, ils ne voient pas souvent les partenaires lors des consultations.
Ce serait donc une question de culture...
«Oui, il existe encore aujourd'hui des constructions sociales qui dessinent la masculinité et la féminité. Autrement dit, des rôles spécifiques attribués aux femmes et aux hommes. La contraception médicale est ainsi socialement liée à la sphère reproductive, elle-même attachée aux femmes. Certains pensent donc encore qu'il s'agit d'une responsabilité naturelle des femmes.
Un homme utilisant une contraception n'en serait plus tout à fait un.
Les hommes ne peuvent-ils pas eux aussi prendre leur part de responsabilité?
«Quand on évoque la contraception masculine, on entend aussi souvent l'argument de l'homme irresponsable: il ne peut pas être enceint, la femme ne pourrait donc pas lui faire confiance.
Il s'agit là d'une construction sociale qui est profondément intégrée. Bien sûr, elle peut parfois faire partie de la réalité, mais elle n'est pas pour autant une caractéristique biologique! De la même manière que la ''responsabilité féminine'' d'ailleurs... Malheureusement, c'est une vision qui freine les avancées vers plus d'égalité, infantilise et dédouane les hommes de leurs responsabilités... ce qui pèse finalement sur les femmes.
La contraception pourrait-elle aussi être considérée comme une menace à la virilité masculine?
«Bien sûr, c'est là l'une des résistances principales à la contraception masculine. Le phallus constitue le symbole suprême de la virilité. Perte d'érection, de libido, peur de devenir un sous-homme… les craintes sont imaginaires, mais elles sont encore bien ancrées et liées à une certaine vision de la masculinité. Pour beaucoup, fertilité et virilité sont également associées. Des chercheurs révèlent ainsi la peur d'une ''féminisation'' de l'homme, et donc de son infériorisation, que pourrait provoquer la contraception masculine. Un homme utilisant une contraception n'en serait plus tout à fait un.
On fait comme si les hommes n'étaient pas fertiles.
Finalement, les hommes ne tourneraient-ils pas volontairement le dos à la contraception?
«On le voit bien, les hommes sont très souvent absents comme s'ils n'étaient pas féconds ou concernés par les conséquences possibles d'une relation sexuelle sans contraception: la naissance d'un enfant. Leur vie reproductive est pourtant plus longue que celle des femmes et, contrairement à elles, ils sont fertiles tous les jours du mois. Mais on fait comme s'ils n'étaient pas fertiles.
La charge contraceptive revient donc à la femme...
«Inévitablement. C'est à elle que revient la responsabilité de la bonne utilisation de la contraception: prendre son comprimé à heure et à temps, placer correctement un nouveau patch ou un nouvel anneau. Elles sont aussi contraintes de se plier à un suivi médical régulier, sans parler de la charge financière.
Ce travail des femmes anticipe les relations sexuelles et crée toutes les conditions pour que le désir des hommes puisse, lui, être spontané, sans qu'ils doivent se soucier de la contraception.
Les effets secondaires subis par les hommes seraient-ils moins acceptables? La réponse est malheureusement oui.
Pourquoi cette différence? Les méthodes de contraception masculine sont-elles trop contraignantes?
«L'échec des contraceptions testiculaires hormonales et thermiques est souvent attribué aux contraintes et effets secondaires. À titre d'exemple, une étude commanditée par l'OMS justifie la décision de ne pas mettre sur le marché un nouveau contraceptif masculin hormonal en raison d'effets secondaires subis par 20 hommes sur... 320.
Les effets secondaires cités sont pourtant comparables à ceux subis par les femmes, ou même bien moindres, comme l'acné ou des troubles de l'humeur. Cela pose la question de la hiérarchisation sexuée de la santé, à court ou à long terme: les effets secondaires subis par les hommes seraient-ils moins acceptables? La réponse est malheureusement oui.
Les femmes seraient-elles donc davantage disposées à accepter ces contraintes?
«Bien sûr! La douleur des femmes est banalisée et minimisée, voire niée, depuis des millénaires, tout comme les violences en leur encontre. Et les femmes l'ont bien intégré, bien qu'elles s'y opposent de plus en plus et dénoncent ces situations. Elles sont aussi de plus en plus nombreuses à vouloir que leur partenaire prenne ses responsabilités.
La contraception masculine constitue-t-elle le même enjeu que pour les femmes?
«Pas vraiment... Contrôler leur fertilité était certainement vu comme plus important pour les femmes pionnières. Et actuellement encore, l'enjeu est tellement important - ne pas tomber enceinte - que beaucoup passent outre les contraintes et effets secondaires.
En démocratisant la contraception masculine, n’y a-t-il néanmoins pas un risque de déposséder la femme de la maîtrise de sa fertilité?
«C'est une très bonne question et il faut y faire attention. Oui, actuellement, de plus en plus de femmes souhaitent que leur partenaire prenne ses responsabilités, mais certaines restent réticentes, on peut les comprendre. Une grossesse se passe dans leur corps. Avec la contraception, notamment la pilule, les femmes ont acquis une autonomie. Certaines craignent donc que cette liberté leur échappe avec la contraception masculine.
Le risque est en effet que certains hommes, forts des rapports de pouvoir encore actuellement en leur faveur, instrumentalisent l'égalité contraceptive pour contrôler la contraception des femmes, leur imposer une grossesse et limiter leur droit à disposer de leur corps. Mais là encore, il est primordial de déconstruire les rapports sociaux de genre. Nous pouvons continuer à transformer notre société.»
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.
