Le droit à la déconnexion attend sa loi
Le droit à la déconnexion attend sa loi
A quand le droit à la déconnexion? Un an après la formation du gouvernement, le sujet reste encore en suspens. Et ce, en dépit des intentions affichées sur le sujet par Nicolas Schmit (LSAP), l’ancien ministre du Travail de la précédente équipe. En dépit également des promesses de la nouvelle coalition qui avait pourtant inscrit cette notion dans sa feuille de route: «Le principe de la déconnexion sera établi. Il sera mis en œuvre par les conventions collectives ou les accords interprofessionnels», précise l’Accord de Coalition.
Pour certains, un simple cadre de principe ne suffit pas. En octobre 2018, une pétition avait déjà été lancée, réclamant une loi relative à l’introduction d’un droit à la déconnexion. Ne plus être à la merci d'un appel ou d'un mail en dehors de son temps de labeur devenant un acquis à conquérir. L’initiative n’avait toutefois pas atteint les 4.500 signatures requises pour être examinée par les députés. Sur la question, un arrêt de la Cour d’appel de mai dernier avait toutefois reconnu ce droit, pour un salarié en congés.
La Chambre des Salariés du Luxembourg (CSL) veut aller plus loin. L’organisme de défense des intérêts des salariés souhaiterait en effet une législation dédiée. «Jusqu’à présent aucun projet de loi n’a vu le jour», regrette la juriste de la CSL, Nathalie Moschetti.
En attendant un éventuel texte législatif, cette dernière émet quelques principes de base: «Le droit à la déconnexion est un devoir à charge de l’employeur et des managers», rappelle-t-elle. L’exemple devant venir d’en haut.
Selon la CSL, l’entreprise doit, d’une part, s’assurer que la charge de travail et les échéances ne rendent pas impossible pour le salarié son droit à la déconnexion.
L'employeur doit, d’autre part, veiller à ce que chaque salarié n’empiète pas sur le droit à la déconnexion des autres collaborateurs. Concrètement, afin de permettre aux salariés de respecter les durées minimales de pause, de repos, de congés, l’employeur devrait organiser des formation ou des sensibilisations à ces problématiques.
Ni collègues, ni hiérarchie
Pareille initiative permettrait notamment d'informer sur les enjeux pour la santé et sur les bonnes pratiques liés à l’utilisation des outils numériques.
Plus concrètement encore, les salariés devraient bénéficier du droit de ne pas être contactés à des fins professionnelles, par leurs collègues ou hiérarchie, et ce, en dehors des heures ouvrées, telles que définies contractuellement dans l’horaire collectif applicable. «Le salarié n’est jamais tenu de prendre connaissance des courriels ou des appels qui lui sont adressés ou d’y répondre en dehors de son temps de travail», insiste Nathalie Moschetti.
Autre proposition de la CSL: «Bloquer tout accès du salarié à sa messagerie professionnelle entre 20h et 7h30, ainsi que durant les jours de repos, congés et fériés non travaillés».
Cependant, au Luxembourg, quelques dispositions existent déjà. Des textes que la Chambre des salariés qualifie de «garde-fous». Il y a notamment la Convention relative au régime juridique du télétravail. Celle-ci considère que cette mission «constitue une forme particulière d’organisation de travail qui est régie par les dispositions du Code du Travail» et rappelle «son caractère librement choisi» par le salarié.
La spécificité française
En 2017, la France avait introduit un droit à la déconnexion dans sa législation. «Chaque employeur doit négocier annuellement sur l’effectivité de ce droit à la déconnexion». A défaut d’accord avec les partenaires sociaux, la direction doit élaborer une charte pour définir les modalités de l’exercice de ce droit.
«Aucune définition légale du droit à la déconnexion n’existe, ce qui permet de l’appréhender de la façon la plus large possible», relevait à l’époque Dorothée Vincey, avocate, auprès de Castegnaro Ius Laboris Luxembourg, sur le site legitech.lu.
Pour Tarik Chakor, maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Savoie Mont Blanc, ce dispositif juridique constitue une spécificité française. «Il concerne le droit de ne pas être en permanence joignable par son employeur en dehors de ses heures de travail, pour des motifs liés à l’exécution de son travail, afin de protéger son temps de repos et d’assurer le respect de la vie personnelle et familiale», décrit-il.
Le texte présente, selon le chercheur, trois problèmes. L’absence de contrainte juridique d’abord: «aucune sanction n’est prévue en cas d’absence d’accord». «La déconnexion ne s’applique pas aux salariés du secteur public, ensuite. Enfin, la loi ne donne pas de définition claire et précise du droit à la déconnexion», regrette-t-il.
Une loi sans contraintes n’a aucune utilité.
Dan Kersch, ministre du Travail
Si l'actuel ministre luxembourgeois du Travail Dan Kersch (LSAP) est favorable au droit à la déconnexion, il ne voit pas l’intérêt de légiférer sur le sujet. «La question d’une loi ne se pose pas». A ses yeux, avec ou sans loi, il y aura toujours des salariés qui resteront connectés hors des heures de travail. Impossible de les obliger à changer.
L’exemple de la France le démontre : la loi ne résout pas le problème, «car elle ne prévoit aucune sanction, sauf pour les entreprises de plus de 50 personnes», justifie le ministre.
Etablir des standards minimums
Pour Dan Kersch, la solution n’est donc pas technique, mais bien politique: «L’essentiel est de trouver un accord avec les partenaires sociaux, selon le modèle luxembourgeois. La démarche est certes plus longue mais l'on parvient ainsi à trouver des issues acceptées par tout le monde».
Plutôt qu'une loi donc, le ministre préférerait «des solutions qui font avancer les conventions collectives. Mais il faut aussi trouver des arrangements, avec des standards minimums, pour les salariés qui ne disposent pas de pareilles conventions».
