«La voix des réfugiés ne pèse pas lourd dans la balance»
«La voix des réfugiés ne pèse pas lourd dans la balance»
L'accueil de réfugiés ukrainiens depuis fin février a montré qu'il y a beaucoup de marge de progression dans le domaine de l'immigration et de l'intégration. Pascale Zaourou, présidente du CLAE (Comité de Liaison des Associations d'Etrangers), déplore à cet égard que les organisations de la société civile soient confrontées à des obstacles bureaucratiques dans leurs efforts pour promouvoir la cohabitation. Dans une interview accordée au Luxemburger Wort, Zaourou explique pourquoi un «ministère de la Citoyenneté» pourrait y remédier.
Pascale Zaourou, comment se passe la communication entre les organisations de la société civile et les ministères compétents au Luxembourg?
«La pandémie a été une période dramatique pour les associations de la société civile. Par définition, nous dépendons du contact entre les gens. Si nous ne sommes plus en mesure d'organiser des événements parce que personne ne peut plus sortir de chez soi, nous perdons notre raison d'être. Il semble maintenant que nous nous éloignions lentement de ce silence radio entre la société civile et les ministères qui a prévalu pendant la pandémie.
Nous avons besoin de réponses de toute urgence. Attendre dix ans pour une solution ne nous suffit pas.
L'été dernier, le CLAE a signé une lettre ouverte de l'organisation d'aide aux réfugiés Passerell: elle y critiquait surtout l'attitude passive du gouvernement lorsqu'il s'agit de soutenir des projets liés à la protection des droits de l'homme. Le sort de Passerell est-il représentatif du traitement réservé aux associations de la société civile dans ce pays?
«Passerell est un bon exemple et nous regrettons vivement que cette association n'ait pas reçu le soutien auquel elle avait droit. Nous ne parlons pas ici de n'importe quelle association, mais de la seule organisation active dans le domaine de la protection des droits de l'homme dans notre pays. Personne d'autre n'offre aux demandeurs d'asile au Luxembourg des conseils juridiques gratuits sur leur statut ou le regroupement familial. Si une telle association disparaît, j'y vois un affaiblissement de la protection des droits de l'homme au Luxembourg.
L'exemple de Passerell illustre le fait qu'il ne suffit pas d'investir dans des projets culturels. Ainsi, des associations avec certaines priorités ne peuvent pas survivre durablement. Il y a encore beaucoup à faire dans le domaine de la promotion de l'engagement de la société civile. L'accès aux locaux et aux subventions ainsi que la diversification des appels à projets doivent être à l'avenir la priorité des ministères compétents.
Il faut surtout mettre un terme à la bureaucratisation croissante des associations, afin que toutes aient accès aux ressources dont elles ont besoin pour se rendre utiles dans notre pays. Car trop souvent encore, ce sont toujours les mêmes associations qui peuvent bénéficier de subsides. Cela doit changer à l'avenir.
Est-il facile pour vous de tracer la ligne de démarcation entre l'intégration et l'immigration, qui relèvent, rappelons-le, de deux ministères différents?
«Ce sont les deux faces d'une même médaille. Elles sont indissociables, c'est pourquoi nous, au CLAE, nous nous battons depuis des années pour qu'un 'ministère de la Citoyenneté' voie enfin le jour. Pour que nous cessions enfin de séparer de manière aussi distante les préoccupations des Luxembourgeois et des non-Luxembourgeois. Dans un pays où près de 49% des personnes n'ont pas la nationalité luxembourgeoise, la création d'un tel ministère serait un signe fort de la part des politiques qu'ils s'intéressent à la question de la migration dans notre pays.
D'autre part, ce ministère nouvellement créé pourrait en outre répondre plus clairement aux intérêts des 200.000 frontaliers de la Grande Région qui se rendent chaque jour au Luxembourg pour maintenir la prospérité de notre pays. Une meilleure desserte par les transports en commun, la promotion d'une vie culturelle dépassant le cadre de la Grande Région, la question du home-office: tout cela serait également abordé dans ce ministère.
Quel rôle joue pour vous l'intégration dans un pays où près de la moitié du pays n'a pas la nationalité luxembourgeoise?
«Parler d'intégration au Luxembourg est un peu paradoxal. Dans quoi s'intègre-t-on? A quel modèle culturel doit-on s'adapter? Ici, nous valorisons les cultures issues de la migration. Cette valorisation est un facteur décisif pour que les gens aillent les uns vers les autres. Au Luxembourg multiculturel, il n'y a pas de modèle culturel imposé auquel on pourrait s'adapter. Au final, la diversité fait la force de notre pays car oui, les cultures issues du processus migratoire enrichissent le Luxembourg et élargissent notre vision du monde.
Trouver un emploi, un logement, avoir accès à l'éducation, avoir la possibilité de participer à la vie culturelle et sociale: telles sont toutefois les conditions qui doivent être posées pour faciliter également la cohabitation des immigrés dans le pays.
Au Luxembourg multiculturel, il n'y a pas de modèle culturel imposé auquel on pourrait s'adapter, car en fin de compte, la diversité fait la force de notre pays.
Comment définiriez-vous le terme d'intégration?
«C'est un processus par lequel tout le monde passe car comme nous l'avons déjà dit, nous favorisons le vivre ensemble par notre participation à la vie culturelle et économique. L'intégration n'est donc pas liée à notre citoyenneté. Cependant, pour les immigrés, le processus d'intégration comporte des obstacles plus importants. Pour les demandeurs d'asile, par exemple, le libre accès au marché du travail n'existe pas et le permis de séjour est très restrictif.
Pour ceux qui s'installent au Luxembourg par le travail, le processus d'intégration est facilité. Celui qui travaille dans une entreprise anglophone n'est pas mal vu parce qu'il ne connaît pas le luxembourgeois. On n'attend pas de lui qu'il apprenne une autre langue parce qu'il ne parle qu'anglais à la maison et au travail. Mais celui qui vient au Luxembourg sans travail est confronté à l'obstacle de devoir apprendre au moins une langue nationale pour pouvoir exercer un emploi. C'est là que commencent les injustices, qui peuvent se multiplier au cours du processus d'intégration.
Le Luxembourg est-il injuste avec les demandeurs d'asile?
«Les injustices existent dans le pays, c'est certain. Mais j'utiliserais plutôt le terme d'inégalités. Car si l'on supprime les inégalités, on aboutit à l'égalité. Dans un tel état, la cohabitation serait plus pacifique.
Le terme d'intégration a été remplacé par celui de «cohabitation» au cours des dernières années. Si l'on regarde la situation des demandeurs d'asile dans notre pays, diriez-vous que nous appliquons le principe du vivre-ensemble? Ou bien les demandeurs d'asile, les Luxembourgeois, les non-Luxembourgeois et les frontaliers vivent-ils seulement côte à côte au lieu de vivre ensemble?
«L'absence de volonté politique de répondre à la question de la migration est une réalité. Il manque des logements sociaux. Cette problématique concerne certes tout le monde dans le pays, mais ce sont les demandeurs d'asile qui doivent ensuite vivre plusieurs années dans des structures d'accueil inadaptées. Des plans sont certes élaborés pour s'attaquer à la crise du logement, mais concrètement, il ne se passe pas grand-chose. Nous avons besoin de réponses urgentes. Attendre dix ans pour trouver une solution ne nous suffit pas. Cela vaut également pour le regroupement familial, un éternel enfant terrible de la politique migratoire, bien que nous demandions depuis des années que toute la procédure soit simplifiée.
Il est politiquement possible de faire plus que nous ne l'aurions jamais imaginé. Seule la volonté fait souvent défaut.
Pourquoi fait-on apparemment si peu de choses?
«La politique s'oriente selon la volonté des électeurs. La voix des réfugiés ne pèse pas lourd dans la balance. Sans une véritable participation démocratique de l'ensemble de la population, il sera toujours difficile à l'avenir de représenter les intérêts de tous dans le pays.
Quelle est la conclusion que vous tirez de ces derniers mois en ce qui concerne l'accueil des réfugiés ukrainiens?
«Lorsque les premiers Ukrainiens sont arrivés au Luxembourg, la situation dans le domaine de la migration s'est visiblement détendue, mais pas pour tout le monde: accès ouvert au marché du travail et à la sécurité sociale, des logements ont été créés de toutes pièces et des structures d'accueil ont été mises en place là où il n'y avait auparavant pas de place pour les réfugiés d'Afghanistan ou d'Érythrée... Nous avons ici affaire à une inégalité de traitement. Même les personnes d'origine africaine qui étaient présentes sur place lorsque la guerre a éclaté en Ukraine ont eu des difficultés à obtenir le statut de protection. Ces inégalités sont criantes et soulèvent des questions quant au respect des droits de l'homme.
La vague migratoire actuelle en provenance d'Ukraine nous montre qu'il est politiquement possible de faire plus que nous ne l'aurions jamais imaginé. Ce qui manque souvent, c'est la volonté.»
Cet article est paru une première fois sur wort.lu/de.
(Traduction : pam)
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