La seconde main ne séduit pas les résidents
La seconde main ne séduit pas les résidents
Si les intentions écologiques des résidents sont là, elles peinent à se concrétiser. C'est en tout cas l'information mise en valeur par la deuxième partie d'une enquête sur le climat, publiée par la Banque européenne d'investissement le 3 février dernier. Au total, 70% des résidents estiment faire tout ce qui est en leur pouvoir pour lutter contre le changement climatique au quotidien, tandis que la moyenne de l'Union européenne se situe à 78%.
Mais dans la pratique, les chiffres sont loin de venir confirmer cette affirmation. En particulier, lorsque l'on en vient à l'achat de vêtements de seconde main. Se classant juste derrière le pétrole, le textile est pourtant la deuxième industrie la plus polluante au monde. En Europe, l'habillement représenterait 2 à 10% de l'empreinte carbone des ménages. Quoi de plus naturel, donc, de se tourner vers la seconde main afin de réduire drastiquement son impact écologique.
Si le geste semble être testé et approuvé par nos voisins allemands, belges et français, qui sont respectivement 37%, 43% et 51% à affirmer acheter des vêtements de seconde main plutôt que des neufs, seulement 26% des résidents luxembourgeois adoptent le même comportement. C'est 16 points de moins que la moyenne européenne, située à 42%. Une mention spéciale est attribuée aux femmes, qui sont 33% à préférer les habits d'occasion aux neufs, tandis que les hommes sont à la traîne (19%). Les Luxembourgeois âgés de 15 à 29 ans semblent également être plus sensibles (38% ont adopté le réflexe), mais ils restent loin derrière leurs jeunes camarades français (64%), belges (57%) et allemands (53%).
Un «retard» qu'il est possible d'attribuer au marché encore timide de l'occasion au Grand-Duché. C'est d'ailleurs en partant de ce constat, pas très reluisant, que Caroline Poincelot a fondé Pardon my closet en 2019. «Etant une très grande fan de la seconde main depuis mes 14 ans, j'ai constaté très rapidement qu'il y avait un marché très peu développé au Luxembourg, de mon point de vue», explique la Française, qui est arrivée dans le pays en 2015.
En créant son entreprise, la jeune femme a donc pris parti de moderniser l'image de la seconde main, et de la démocratiser afin qu'elle devienne tendance. «Au Luxembourg, il y a un gros pouvoir d'achat, donc j'étais persuadée que les résidents devaient avoir de petites pépites dans leur dressing.» Un pari qui a tout de suite pris, dès le premier pop-up store organisé par la fondatrice de Pardon my closet. «Il y a eu un réel succès, un fort engouement qui m'a encouragée à poursuivre», indique Caroline Poincelot.
Après un corner installé aux Galeries Lafayette pendant un an, ayant permis de toucher de nouvelles clientes, la Française a multiplié les pop-up stores, dont un dernier à Monoprix jusqu'au 12 février. Actuellement installée rue Aldringen, dans une boutique éphémère jusqu'au mois d'août, Caroline Poincelot note tout de même que l'achat de vêtements d'occasion n'est pas dans les habitudes de consommation des résidents «même si ça avance doucement».
«Il y a un sentiment de honte»
Cet intérêt mesuré des Luxembourgeois pour la seconde main, la fondatrice de Pardon my closet l'attribue à l'image de luxe qui colle à la peau du Grand-Duché. «J'ai déjà entendu mes clientes dire que certaines de leurs amies avaient honte de venir dans une boutique de seconde main. Il y a ce sentiment honteux qui est encore présent au Luxembourg, car quand on regarde le centre-ville bourré de maisons de luxe, une boutique de seconde main peut faire tache. Je suis d'ailleurs toujours à la recherche d'une boutique permanente», détaille l'entrepreneuse.
Un sentiment partagé par Irène Jamsek, responsable des épiceries sociales et des trois «Kleederstuff», les magasins de seconde main de Caritas Luxembourg. «Il y a sûrement une peur du préjugé, du ''qu'en dira-t-on?''. Le Luxembourg aime à paraître comme un pays qui a un certain niveau de vie, et peut-être que les gens pensent que le fait de se vêtir dans un magasin de seconde main n'appartient pas à leur classe sociale», analyse la responsable.
Pourtant, à l'inverse des épiceries sociales qui nécessitent une carte d'accès, les Kleederstuff gérées par Caritas Luxembourg sont ouvertes à tous. Ces magasins de seconde main proposent des vêtements à prix hyper-concurrentiels, comme des t-shirts à 3 euros, ou des pulls à 5 euros, pour permettre à l'ensemble de la population de se vêtir à petit prix. «On a des arrivages de qualité tous les jours qui font super plaisir. Il est possible de venir avec 20 euros et de refaire entièrement la garde-robe de son enfant avec de super marques», indique Irène Jamsek.
Faire une bonne action
Au-delà du bon geste pour la planète, qui motive plusieurs clients à venir faire un tour dans les Kleederstuff, l'achat dans ces magasins permet aussi de faire une bonne action. «Pour se fournir en vêtements, nous fonctionnons grâce à un système de don. Le prix auquel nous revendons les habits s'appelle une participation aux frais, et grâce à cet argent, nous pouvons réinvestir dans les épiceries sociales pour proposer des produits de qualité pour les personnes qui sont dans le besoin au Luxembourg.»
Pour Irène Jamsek, le changement de comportement des résidents luxembourgeois vis-à-vis de la seconde main devient urgent. «26%, ça me parait peu. Il faudrait qu'on se vêtissent tous en seconde main. Dès qu'on allume la télévision, on se rend compte de la surconsommation, des effets nocifs de la fast fashion», argue la responsable des épiceries sociales et des Kleederstuff.
Afin d'encourager les résidents à franchir le pas, Caroline Poincelot et Irène Jamsek ne manquent pas d'arguments. Quand la première vante qu'il est possible de «s'habiller à 90% en seconde main», la seconde avance que «dans un magasin d'occasion, on ne sait jamais sur quoi on va tomber, contrairement aux centres commerciaux».
Vers une démocratisation
Si les jeunes résidents étaient plus nombreux à affirmer se vêtir en seconde main lors de l'enquête réalisée par la Banque européenne d'investissement, ils seraient cependant peu à essayer de dénicher des trésors dans les Kleederstuff. «Les mamans sont davantage nombreuses.» Le faible pourcentage d'hommes intéressés par l'occasion, lui, s'explique. «On est en manque de vêtements hommes, car forcément ils font moins de shopping. On a vraiment du mal à trouver des articles en bon état pour les jeunes hommes», regrette Irène Jamsek qui invite ceux qui en ont l'occasion «à faire un petit check dans leurs armoires».
Si le combat contre la surconsommation est loin d'être terminé, Caroline Poincelot, de son côté, reste pleine d'espoir quant à une démocratisation de la seconde main au Luxembourg. «Il y a un engouement, une vraie raison, et ça ne peut continuer. Surtout avec l'impact écologique, le prix du vêtement neuf. On a assez de vêtements pour habiller les cinq prochaines générations, donc pourquoi continuer d'en produire?», se demande la Française.
Pour parachever l'implantation des boutiques de seconde main à Luxembourg-ville, il reste cependant un important problème à régler, celui du prix des loyers. «On voit déjà pas mal d'initiatives, mais il s'agit principalement de pop-up stores car les loyers restent inabordables pour les boutiques de seconde main», regrette Caroline Poincelot. Un problème également souligné par Irène Jamsek, qui est toujours à la recherche d'un local à proximité de la gare de Luxembourg, afin d'y ouvrir la quatrième Kleederstuff de Caritas.
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