«La proportionnalité doit être respectée»
«La proportionnalité doit être respectée»
(MKa avec Danielle SCHUMACHER) - Actuellement, la ministre de la Justice Sam Tanson (Déi Gréng) est occupée à élaborer la base légale pour une vaccination obligatoire. Mais ce n'est pas le seul sujet délicat auquel elle doit s'attaquer. Elle veut également adapter le droit pénal afin de mieux sanctionner les débordements lors des manifestations. Sans oublier d’autres sujets d’envergure tels que les réformes de la protection de la jeunesse et du droit de la filiation, qui doivent aussi être menés à bien.
Madame la ministre, le chapitre sur la réforme de la Constitution a été adopté en première lecture par le Parlement le 20 octobre. Comment évaluez-vous le nouveau texte?
«Le nouveau texte est un bon compromis. Auparavant, les discussions avaient été assez vives, surtout en ce qui concerne l'indépendance du ministère public. Je reste d'avis que les poursuites pénales doivent pouvoir être menées en toute indépendance et que le gouvernement ne doit donner que des directives générales. Le nouveau texte renforce également la magistrature, puisque son indépendance et le Conseil national de la magistrature sont désormais explicitement inscrits dans la Constitution.
La loi de base sur le Conseil de la justice se fait attendre. Le texte initial a été entièrement remanié en raison des critiques parfois virulentes et scindé en deux projets de loi distincts. Comment percevez-vous cette évolution?
«Les travaux sur le projet de loi sur le Conseil de la justice ont été retardés parce que le texte définitif sur le chapitre de la justice était encore en cours de négociation. C'est pourquoi nous n'avons pas pu aller de l'avant. Si, par exemple, l'indépendance du ministère public n'avait pas été retenue, cela aurait évidemment eu des conséquences sur le fonctionnement du Conseil de la magistrature, mais aussi sur le statut des magistrats.
Il y a également eu des discussions sur la composition. La Commission européenne a insisté pour que celle-ci soit équilibrée et a demandé que les magistrats qui font partie du Conseil de la magistrature soient élus. A l'origine, il était prévu que les trois chefs de corps fassent automatiquement partie du Conseil. Afin de ne pas exposer d'emblée le nouvel organe à la critique internationale, nous avons donc encore amélioré les choses.
N'y a-t-il pas un risque que la Constitution soit suspendue parce que la loi de base pour le Conseil de la justice n'a pas encore été adoptée?
«Ce risque existe. C'est pourquoi j'ai insisté à plusieurs reprises au sein de la commission de la justice et des institutions sur le fait que cette loi soit la condition sine qua non pour que la Constitution puisse entrer en vigueur.
Néanmoins, il était juste de scinder le texte initial. Le premier projet de loi porte sur le Conseil de la magistrature lui-même, le second sur le statut des magistrats. Le Conseil d'État a déjà été saisi des deux textes. J'espère que les avis seront rendus le plus rapidement possible.
La Constitution garantit les libertés individuelles. Or, il est question d'introduire une obligation de vaccination. Comment cela s'accorde-t-il?
«Que les choses soient claires: je ne veux pas d'une vaccination obligatoire. Ce n'est pas un remède miracle ni une fin en soi. Elle constitue une atteinte aux libertés individuelles. Mais c'est un outil pour sortir définitivement de la pandémie.
La question de la restriction des droits et des libertés n'a pas commencé avec le débat sur la vaccination obligatoire. Depuis le début de la pandémie, nous nous trouvons dans une zone de tension entre la liberté de l'individu et la protection de la collectivité.
Lorsque je suis devenue ministre de la Justice, je n’aurais jamais imaginé que je serais obligée de restreindre un jour à ce point les droits des citoyens. C'était tout simplement inimaginable.
Lorsque nous réfléchissons à une vaccination obligatoire, nous devons donc absolument garder à l'esprit que nous avons dû imposer de nombreuses mesures restrictives de liberté au cours des deux dernières années. L'obligation est un moyen de surmonter les restrictions et d'agir de manière préventive afin d'éviter de nouvelles restrictions à l'automne.
D'un autre côté, elle constitue une atteinte au droit à l'intégrité physique. Nous devons donc peser le pour et le contre et respecter la proportionnalité. C'est pourquoi il était important que nous demandions l'avis des scientifiques et des médecins. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons savoir dans quelles conditions et sous quelle forme une vaccination obligatoire est nécessaire.
Le gouvernement a suivi la proposition des scientifiques et a opté pour une obligation vaccinale sectorielle et en fonction de l'âge. L'avis des autres instances, comme le comité d'éthique ou la commission des droits de l'homme, n'a pas été pris en compte. Pour quelle raison?
«Les experts de la santé sont arrivés à la conclusion que seules les personnes de plus de 50 ans devaient être soumises à une obligation de vaccination. Afin de ne pas surcharger le système de santé, ils estiment qu'une obligation ne serait vraiment nécessaire que pour cette tranche d'âge. Au vu de cette analyse scientifique, je trouve difficile d'obliger une plus grande partie de la population à se faire vacciner. La vaccination est une atteinte aux libertés individuelles qui doit être aussi limitée que possible.
En raison de la conclusion scientifique selon laquelle il suffit d'obliger la population de plus de 50 ans à se faire vacciner, je vois un risque que la proportionnalité ne soit pas respectée en cas d'obligation générale de vaccination. Une loi pour une vaccination obligatoire générale pourrait avoir des fondements fragiles.
La solution que le gouvernement a maintenant retenue ne comporte-t-elle pas un risque de discrimination?
«La division de la société me préoccupe beaucoup. Je comprends très bien que les partisans d'une vaccination obligatoire générale mettent en garde contre une éventuelle discrimination. Mais à mon avis, il ne s'agit pas d'une discrimination. Il existe des raisons objectives de dire à une partie des citoyens qu'ils doivent se faire vacciner pour protéger leur santé et celle de la collectivité.
En ce qui concerne les travailleurs du secteur de la santé, je suis convaincue qu'ils ont l'obligation de protéger ceux dont ils ont la charge. Une vaccination obligatoire pour les professionnels de la santé est donc défendable.
N'aurait-il pas été plus simple de trouver une base légale pour une vaccination obligatoire générale ? Cela n'aurait-il pas conduit à une plus grande sécurité juridique?
«Non, car même en cas d'obligation générale de vaccination, une limite d'âge aurait dû être inscrite dans le texte. Dès le départ, il était hors de question de rendre la vaccination obligatoire pour les mineurs.
Dans le cas de l'obligation vaccinale sectorielle, il s'agit de mettre en place un bouclier autour des personnes vulnérables, les malades ou les personnes âgées étant plus fragiles.
Le succès d'une vaccination obligatoire dépend aussi des sanctions. Quelle est la voie que vous voulez suivre?
«Il y aura probablement des sanctions administratives, mais elles auront un caractère récurrent. Cela signifie que celui qui ne respecte pas la loi et ne se fait pas vacciner peut être poursuivi plusieurs fois. Toutefois, nous ne devons pas fixer le montant des amendes à un niveau trop élevé, afin d'éviter que les personnes à faibles revenus ne puissent pas payer l'amende.
Vous avez laissé entendre que le projet de loi pourrait être prêt dans trois mois environ. Quand l'obligation de vaccination entrera-t-elle en vigueur?
«Nous avons constitué un groupe de travail chargé d'élaborer le texte. Y sont représentés, outre le ministère de la Justice, le ministère d'État ainsi que les ministères de la Santé, de l'Emploi, des Finances, du Numérique et de la Famille. Nous préparons le texte ensemble.
Les critères sur lesquels nous nous baserons pour justifier l'obligation de vaccination seront également évalués en fonction de l'évolution de la pandémie.
Sam Tanson, ministre de la Justice
Les critères sur lesquels nous nous baserons pour justifier l'obligation de vaccination seront également évalués en fonction de l'évolution de la pandémie. Lorsque ce sera le cas, nous verrons si nous avons vraiment besoin d'une vaccination obligatoire ou non. Je serais heureuse que nous puissions nous en passer. Mais la pandémie nous a toujours surpris au cours des deux dernières années, personne ne peut dire aujourd'hui comment la situation se présentera à l'automne. Nous devons donc être prêts.
En raison des mesures sanitaires, les débordements se multiplient. Le ton se durcit. Les opposants se rendent même devant les domiciles de politiciens et de journalistes. Des menaces de mort ont également été proférées. Vous avez annoncé un texte qui sanctionne le partage de données personnelles sur les médias sociaux. Que faut-il en déduire?
«Les débordements sont très pénibles, surtout pour les policiers qui sont sur le terrain chaque week-end. Mais aussi pour les commerçants et les nombreuses personnes qui veulent simplement se rendre en ville.
Je peux comprendre que l'on ne soit pas d'accord avec les mesures sanitaires. Tout le monde a le droit de manifester contre. Mais les débordements sont inacceptables.
Pour sanctionner les infractions à la loi commises dans le cadre des manifestations, nous ne devons pas réinventer la roue. Le droit pénal en vigueur prévoit toute une série de mesures pour lutter contre les personnes qui ne respectent pas les règles du jeu.Il faut également créer un cadre légal pour que la police puisse enquêter sous couvert d'un pseudonyme dans les médias sociaux. Actuellement, cela n'est possible que pour les crimes graves.
Il faut créer un cadre légal pour que la police puisse enquêter sous couvert d'un pseudonyme dans les médias sociaux. Actuellement, cela n'est possible que pour les crimes graves, nous devons également étendre cette possibilité aux délits.
Sam Tanson
Nous devrions toutefois apporter des améliorations ponctuelles, par exemple en ce qui concerne le délit de rébellion contre les forces de l'ordre. Il me semble judicieux d'augmenter les peines. Un autre point concerne les crachats sur les policiers, ce qui est particulièrement problématique dans la situation actuelle. Il faut également créer un cadre légal pour que la police puisse enquêter sous couvert d'un pseudonyme dans les médias sociaux. Actuellement, cela n'est possible que pour les crimes graves, nous devons également étendre cette possibilité aux délits.
Les politiciens ne sont pas les seuls à être critiqués en permanence, les journalistes sont eux aussi de plus en plus souvent pris pour cible par les manifestants. Les attaques s'étendent désormais jusqu'à la sphère privée. Nous ne pouvons pas accepter cela. Les attaques contre la presse libre sont des attaques contre l'une des pierres angulaires de l'État de droit. Il est inacceptable que des menaces de mort soient proférées à l'encontre de journalistes ou que leurs données privées soient diffusées sur les réseaux sociaux - et ce, même par des élus. Ces tentatives d'intimidation sont inacceptables.
Je ne suis pas non plus fermée à un débat sur une loi générale sur les manifestations. Il s'agit bien sûr d'une discussion délicate, car il s'agit là aussi d'une atteinte à une liberté.
Sam Tanson, ministre de la Justice
A l'avenir, si l'on diffuse des données privées dans le but d'intimider, cela doit devenir une infraction pénale. Une telle réglementation existe déjà en France.
Je ne suis pas non plus fermée à un débat sur une loi générale sur les manifestations. Il s'agit bien sûr d'une discussion délicate, car il s'agit là aussi d'une atteinte à une liberté.
A l'automne, vous avez déposé un projet de loi visant à redéfinir le traitement des inscriptions au fichier Jucha. Les experts, mais aussi l'opposition, soulignent que le texte va dans la bonne direction. Que va-t-il se passer maintenant?
«Lorsque toutes les expertises seront disponibles, nous déposerons les amendements nécessaires. J'espère que le projet sera voté le plus rapidement possible.
Je tiens toutefois à souligner que les nouvelles règles, par exemple en matière d'accès ou de durée de conservation, sont déjà appliquées. La loi donne une base juridique à ces règles.
Les travaux relatifs à la nouvelle loi sur la protection des mineurs avancent difficilement. Quel est l'état d'avancement des travaux?
«Nous travaillons d'arrache-pied sur le projet, nous sommes dans la dernière ligne droite. Nous travaillons d'ailleurs en étroite collaboration avec le ministère de l'Enfance et de la Jeunesse, qui est responsable du domaine de la protection de la jeunesse.
La loi actuelle, qui date de 1992, régit à la fois la protection des mineurs et le domaine pénal. Elle ne fait donc pas de distinction entre le délinquant et le jeune qui doit être protégé. Or, nous avons besoin d'une séparation. Il existe désormais trois textes entièrement nouveaux. Le premier projet traite du droit pénal des mineurs, le deuxième concerne les victimes et le troisième englobe la protection des mineurs proprement dite. Cela signifie que le droit pénal des mineurs aura sa propre base légale.
Nous continuons à travailler en étroite collaboration avec l'ancienne présidente du Conseil des droits de l'enfant des Nations unies, Renate Winter, notamment pour nous conformer aux exigences internationales.
Il s'agit d'une matière très complexe et délicate. Cela a malheureusement conduit à un durcissement des fronts entre les différentes parties concernées, au point qu'une solution commune n'était plus possible. Avec le ministre Claude Meisch (DP), nous avons donc pris une série de décisions politiques. Les textes suivront le chemin des instances avant Pâques. Le projet initial est retiré.
Vous avez présenté il y a quelques semaines un nouveau texte sur les abus sexuels. Il y est également question d'une meilleure protection des mineurs. Quels sont les points forts?
«Le projet réforme de manière générale le droit pénal en matière de violences sexuelles. Il ne concerne pas uniquement les mineurs victimes de violences sexuelles. Le message du nouveau texte est le suivant : les auteurs peuvent être amenés à rendre des comptes, même longtemps après les faits.
Cela commence déjà par la terminologie. Le droit actuel parle toujours d'atteinte à la pudeur, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il s'agit d'une atteinte à l'intégrité sexuelle.
L'échelle des peines est également adaptée, certaines peines sont renforcées. Le point le plus important concerne les délais de prescription. Ils seront généralement prolongés, et pour certaines infractions, la prescription sera totalement supprimée. Actuellement, le droit pénal prévoit que les jeunes victimes d'un viol ou d'un inceste ont encore dix ans après leur majorité pour porter plainte contre l'auteur. Cela ne suffit pas à mes yeux, car les victimes ne prennent souvent conscience de ce qui leur a été fait qu'après une longue période et ne peuvent en parler qu'à ce moment-là. Elles ont donc besoin de temps pour se défendre.
Le viol de mineurs ou l'inceste sont parmi les crimes les plus graves que l'on puisse infliger à un être humain. Les victimes ne pourront probablement jamais mener une vie normale. Leur vie est ébranlée dans ses fondements par l'acte commis.
On pourrait objecter qu'après 20 ou 30 ans, il n'est guère possible de trouver des preuves. Néanmoins, je suis fermement convaincue que de tels crimes ne doivent pas être prescrits.
Concernant le droit de la filiation, la réforme se trouve depuis des années sur le chemin des instances. Quand et comment les choses vont-elles évoluer?
«La réforme est en effet en suspens depuis des années et a été entièrement remaniée entre-temps. Le Conseil d'État a rendu son avis complémentaire en juillet dernier. Il nous reproche de vouloir régler les questions bioéthiques par la voie du droit civil, car il n'existe pas de loi bioéthique.
Je peux comprendre cette critique. Les nombreuses objections formelles remettent fondamentalement en question le texte. J'ai donc décidé, après concertation avec le gouvernement, d'élaborer un nouveau texte et de le simplifier en grande partie en nous concentrant sur les aspects de droit civil. Ce texte suivra le chemin des instances avant la fin de l'année.»
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