«La mobilité ne sera pas la prochaine victime du virus»
par Patrick JACQUEMOT/ 14.05.2020
Le covid-19 aura-t-il eu raison du plan mobilité si savamment mis en place par François Bausch? Le ministre veut croire en la sagesse de chacun pour vite reprendre goût aux transports en commun, au covoiturage et à la mobilité douce.
Et si la voiture l'emportait au sortir de cette crise? Et si la peur d'attraper le virus via son voisin de siège poussait chacun à délaisser les transports en commun au profit de la «bagnole» ? Le ministre de la Mobilité, François Bausch (Déi Gréng), repousse l'idée du cocon protecteur. «Deux semaines avant ce maudit covid-19, nous avions fait un pas énorme avec la gratuité des transports en commun sur tout le Luxembourg. Je le dis: ce n'est pas le moment de reculer, pour les résidents comme pour les frontaliers. Il faut oser reprendre bus, train, tram, oser partager ses voyages avec d'autres passagers».
Confiance à bord
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Si le déconfinement a attaqué sa deuxième phase, lundi 11 mai, c'est encore loin d'être dans la foule dans les transports en commun. Certes, toutes les activités n'ont pas repris, mais incontestablement la crainte est là. Le masque obligatoire à bord rassure les uns; le risque viral freine les autres. CFL, SNCF ou SNCB l'ont compris pour le train : l'important pour récupérer des passagers sera de multiplier les précautions sanitaires. Alors même si le trafic sur rail est loin d'avoir redémarré au plus fort, les compagnies multiplient les annonces sur le nettoyage complet et régulier des rames.
Même chose du côté des bus de la Ville ou du réseau RGTR dont les chauffeurs veillent au respect des consignes (masques, distanciation). Pour la confiance, les usagers auraient sans doute besoin d'un bon psy. Ou de croire en cette vérité rappelée par le ministre des transports : «Si chacun revient à ses habitudes individuelles d'auto-soliste, on va vite se retrouver face à un autre lockdown. Ce n'est plus le virus qui bloquera le pays, mais à nouveau la congestion des routes.»
Ce recul serait d'autant plus dommageable que la circulation au Grand-Duché via tram, trains et bus gagnait chaque année en adeptes. Exemple, en 2019, les autobus de la Ville de Luxembourg ont à eux seuls vu monter plus de 40 millions de personnes. Même succès pour les autres modes de transport publics.
Go, le vélo !
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Le grand gagnant de la crise covid-19 a deux roues, une selle, un guidon. Les gens ont retrouvé goût au vélo, «exercice solitaire, sans risque de contact, et qui dégourdissait les jambes après des heures à la maison», sourit François Bausch. L'écologiste en est persuadé: cette dynamique ne va pas retomber. Et sans doute que d'ici peu son ministère mettra en place des dispositifs visant à voir se multiplier les bicyclettes dans le paysage luxembourgeois. Aide plus incitative à l'achat d'un vélo électrique ou voucher pour aider à remettre en circulation un modèle ancien : l'idée fait son chemin.
Mais c'est surtout le réflexe de prendre son vélo que le ministre de la Mobilité veut développer au quotidien. «Pas pour que le gars de Troisvierges vienne travailler à la capitale à vélo, mais plutôt pour que ces habitants de Walferdange, Bertrange, Strassen et autres coins redécouvrent qu'il serait plus facile d'aller d'un point A à un point B en pédalant plutôt qu'en venant congestionner le réseau routier. En plus, c'est une activité bonne pour la santé!»
Le redémarrage du covoiturage
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Ce devait être la prochaine étape pour libérer la circulation : faire comprendre à chaque conducteur qu'il avait intérêt à partager ses déplacements avec d'autres occupants. Intérêt environnemental, financier, social. L'appel à la société Klaxit, experte dans le développement du covoiturage, devait accélérer le mouvement. L'épidémie vient de freiner net cet élan. «Nous allons relancer la promotion de ce service. Mais plutôt à l'automne, le temps que chacun retrouve un fonctionnement "normal".»
Avantage fiscal, baisse de la pollution et des émissions de CO, rencontres : le covoiturage a bien des avantages à (mieux) faire connaître en effet. Sans parler que cette mesure limiterait les pertes de temps et d'argent occasionnées par les bouchons dus au nombre de voitures avec une seule personne à bord. On parle de plus d'un milliard d'euros...
Miser sur les grands chantiers
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Pas de plan mobilité (lire au bas de l'article) sans investissements. «C'était vrai avant la crise, et ça l'est plus encore maintenant» veut persuader François Bausch. Profitant de sa double casquette (Mobilité et Travaux publics), le ministre entend profiter du peu d'entrain prévisible du public à se précipiter dans les transports en commun pour... les développer. «Il faut que, quand ils en ressentiront le besoin, les gens trouvent des réseaux plus efficaces, des liaisons plus fréquentes, des véhicules plus confortables. Là, on va gagner du temps.» Pas sot.
Et d'annoncer la couleur: pour le tram, une demande d'annulation du congé collectif va être déposée. Pour que la nouvelle ligne voie bien le jour en 2021, que le tram y circule et surtout qu'on arrête le plus rapidement possible de nuire aux commerçants du quartier gare. Ceux qui viennent de subir coup sur coup un chantier faisant fuir les acheteurs et six semaines de fermetures pour cause de covid... Même chose pour le chantier d'élargissement du pont Buchler essentiel pour le passage de bus et tram demain.
Même volonté de pousser les feux sur la voie ferrée Bettembourg-Luxembourg en cours de réalisation, le 6e quai en gare de Luxembourg ou la troisième voie dédiée au covoiturage sur l'A3 (vers la France) ou l'A6 (côté belge).
En plus économiquement, mener ces grands chantiers apporterait des contrats aux travaux publics qui viennent de subir des pertes. «Double bénéfice donc. Ne reste plus qu'à convaincre le ministre des Finances de débloquer des budgets plus vite que prévu...
Le télétravail
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C'est aussi une des découvertes de cette crise covid-19, le pays peut fonctionner alors qu'une bonne partie de sa population active travaille depuis chez elle... Voilà qui intéresse doublement François Bausch. En tant que ministre de la Mobilité, «parce que des gens qui restent chez eux ne créent pas de bouchons». Et comme écologiste «car le télétravail engendre bien moins de pollution que le travail posté loin de chez soi»
Pour le vice-Premier ministre, «ce ne sera pas le remède à tous les maux du pays et de la planète. Mais c'est un levier de développement durable de notre société dont nous ne nous sommes sans doute pas encore assez servi. Il faudra sans doute étendre ce dispositif, dans le privé comme dans l'administration, pour les salariés venant des pays voisins comme aux résidents».
Le secteur aérien
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«Je crois que c'est un secteur qui va souffrir», ne cache pas le ministre. Ce n'est pas en 2020 donc que le Findel reverra 4,4 millions de passagers (comme l'an passé). Et François Bausch d'expliquer sa crainte. «D'abord, les gens auront sans doute un recul en se disant je vais rentrer dans une carlingue, rester des heures enfermé et risquer peut-être une contagion.» Là encore, il faudra user de mesures sanitaires et de bienveillance pour rassurer ces clients en plein désarroi. Sans parler de ces destinations "exotiques" que la pandémie a rendues moins attractives pour les voyageurs. «Ce sera un bouleversement pour le tourisme au sein de l'Europe et à l'échelle du globe.»
Mais le ministre craint aussi que règles d'hygiène et contrôles qui seront imposés dans les aéroports ou par les compagnies aériennes ne viennent faire flamber le prix du billet d'avion. Une hausse des tarifs qui pousse le passager à rester au sol. Et d'adresser un petit clin d’œil à son ancien directeur de cabinet qui vient d'être choisi pour prendre les commandes de Luxair. Voilà Gilles Feith averti : turbulences en vue.
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