La chaleur met à mal les écosystèmes luxembourgeois
La chaleur met à mal les écosystèmes luxembourgeois
Il a fait chaud, très chaud au Luxembourg pendant ce mois d'octobre 2022. Durant ces premières semaines d'automne, le prévisionniste national MeteoLux a enregistré des températures moyennes supérieures de 2,9 degrés par rapport aux normales de saison. Si cette période plutôt douce a permis aux résidents et aux entreprises de faire des économies de chauffage, elle n'est évidemment pas sans impact sur notre environnement.
Face à ce redoux, toutes les espèces ne sont pas logées à la même enseigne, fait savoir Guy Colling, botaniste au Musée national d'histoire naturelle (MNHN). «Pour certaines espèces végétales communes, ça se passe très bien. Si l'on jette un coup d'œil aux prairies à travers le pays, on voit que les graminées aiment ces températures clémentes et continuent à pousser», explique le spécialiste.
Dans nos forêts, les arbres ne semblent pas trop perturbés non plus par cet automne plus chaud que la normale. S'ils se sont parés progressivement de ces couleurs d'automne, c'est parce que la perte de leurs feuilles n'est pas liée simplement aux températures extérieures. «Beaucoup d'arbres réagissent par rapport au principe de photopériodisme, c'est-à-dire, par rapport à la longueur de la journée», indique le botaniste qui dirige le groupe biologie des populations et évolution au centre de recherche scientifique du MNHN.
Un risque de désynchronisation
Du côté des végétaux, ce sont davantage les grands écarts de températures qui risquent de poser problème. «L'absence de froid ne prépare pas les plantes à l'hiver. Pour certaines espèces, les écarts brutaux peuvent être fatals, car ces organismes sont habitués à une certaine prédictibilité du climat.» Face à cette situation, les plantes rares, en particulier les espèces des pelouses et landes non amendées et les relictes glaciaires adaptées au froid, sont spécifiquement vulnérables.
Mais cet automne clément n'est pas sans perturber les animaux. Vous avez sûrement remarqué une activité inhabituelle de certains insectes, à l'image des coccinelles, des guêpes ou des moustiques, plus présents que d'habitude en cette période de l'année. «Il est probable que les espèces animales qui s'adaptent à la température vont peiner. Cela peut être le cas d'insectivores comme les chauves-souris, qui vont s'épuiser à sortir alors que la nourriture n'est plus abondante, et, ainsi, ne pas constituer assez de réserves pour l'hiver», note Guy Colling.
D'autres espèces, telles que le cuivré de la bistorte, un papillon dont la chenille vit et se nourrit sur la renouée bistorte, une plante poussant dans les prairies montagnardes humides, risquent de souffrir de désynchronisation. «Le réchauffement climatique, surtout au printemps, décale petit à petit la période de floraison de la plante, ce qui fait craindre un risque déconnexion de l'insecte à la plante, qui pourrait en souffrir», indique le botaniste.
Certains animaux, comme les oiseaux migrateurs, ont, pour leur part, déjà modifié leur comportement du fait du changement climatique. Les températures plus douces à l'automne entraînent, par exemple, les grues cendrées à parcourir moins de kilomètres. En 2020, plusieurs milliers d'individus avaient notamment passé l'hiver dans le parc régional de Lorraine, alors que l'espèce s'installe initialement en Afrique du Nord ou dans la péninsule ibérique.
La migration des plantes
Les plantes, elles, ont le désavantage de ne pas pouvoir se balader. «Face à un changement climatique brusque, les espèces végétales ont trois possibilités: rester là où elles sont en arrivant à s'adapter, soit génétiquement, soit grâce à leur plasticité, s'éteindre, ou bouger vers le nors ou en altitude en suivant leur niche écologique», énumère le botaniste.
Moins aisée que celle des oiseaux, la migration des plantes repose sur ses graines, et sur le travail des pollinisateurs en ce qui concerne le flux générique entre les populations. Une manœuvre plus aisée en milieu montagneux que dans les plaines. «La température baisse d'un degré en moyenne tous les 170m d'altitude, ce qui tend un ''sauvetage génétique'' des populations alpines plus probable par l'introduction de variantes génériques de basse altitude adaptées à des températures plus élevées moyennant le flux génétique réalisé par les pollinisateurs. Dans les plaines, il faut parcourir environ 140km vers le nord pour constater une baisse de la température moyenne de l'ordre d'un degré.»
Au Luxembourg, certaines espèces végétales se sont d'ailleurs déjà éteintes. La première liste rouge du pays, sorte d'inventaire exhaustif des plantes existantes sur le territoire, a été rédigée en 2005 par Guy Colling. Elle fait actuellement l'objet d'une mise à jour qui devrait être disponible en 2023. «En 17 ans, 10% des espèces indigènes du Luxembourg ont été remplacées par des espèces non indigènes, en partie invasives. Cela représente la disparition de plus de 130 espèces natives et rares auxquelles se sont substituées des espèces communes. Une véritable perte de biodiversité et un pas de plus vers l'homogénéisation biotique entre les différentes régions du monde.»
Les écosystèmes vont se modifier, certaines espèces vont disparaître et d'autres vont arriver du sud.
Guy Colling, botaniste
Mais plus que l'automne doux, c'est bien l'été sec que le pays a traversé qui tracasse le botaniste. «Avoir 35 degrés en été, c'est plus critique que d'enregistrer 20 degrés en automne. Il suffit de se balader dans les forêts luxembourgeoises pour constater que nombre de hêtres, une des essences principales du pays, vont mourir à cause de la sécheresse.»
Guy Colling souligne par ailleurs que les conséquences du réchauffement climatique sur les végétaux ne sont pas sans impact sur les populations humaines. La floraison accélérée des graminées au printemps est un exemple très concret de ces répercussions. «On remarque qu'il y a plus d'allergies plus tôt dans l'année.»
Doit-on s'inquiéter pour la survie de nos écosystèmes? Selon le botaniste du MNHN, il y aura certainement des changements liés au réchauffement climatique, car un écosystème est formé par une multitude d'espèces différentes qui réagiront chacune différemment. «Beaucoup de choses se passent si l'on change la température ou la pluviométrie. Les écosystèmes vont se modifier, certaines espèces vont disparaître et d'autres vont arriver du sud.»
Donner un coup de pouce à la nature
Pour protéger au mieux les espèces nationales, il est encore temps d'agir. Le botaniste préconise notamment de permettre aux populations végétales et animales de pouvoir atteindre une plus grande diversité génétique en augmentant le nombre et la taille des réserves naturelles. «Des grandes réserves naturelles sont synonymes de grandes populations qui peuvent s'adapter elles-mêmes aux changements grâce à leur diversité génétique plus élevée. C'est cette diversité génétique, c'est-à-dire les subtiles différences entre les individus d'une même espèce, qui est un des ingrédients essentiels de l'évolution naturelle.»
Il est également possible d'intervenir directement en implantant des variantes génétiques ayant déjà des prédispositions à s'adapter aux conditions climatiques du futur, une méthode déjà utilisée pour repeupler des certaines espèces des barrières de coraux. «Mais il s'agit de procédures compliquées et coûteuses et qui seront réservées à quelques espèces phares.» Le geste le plus urgent à adopter pour tous les amoureux de la biodiversité restant bien évidemment la réduction des émissions des gaz à effet de serre comme le CO₂.
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