L'esclavage moderne sévit jusqu'au Grand-Duché
L'esclavage moderne sévit jusqu'au Grand-Duché
(pj avec Rosa Clemente) Ils sont à la recherche d'une vie meilleure. Au lieu de cela, les voilà dupés par des parents, de supposés amis ou même de parfaits étrangers. Ainsi, près de 21 millions de personnes dans le monde et environ 60.000 en Europe sont exploitées d'une manière ou d'une autre. Le Luxembourg n'échappe pas à ce triste constat. Selon le dernier rapport de la Commission des Droits de l'Homme, entre 2017 et 2018, 31 victimes de traite des êtres humains ont été dénombrées au Grand-Duché.
Sur ces onze hommes, 18 femmes et deux mineurs, seules sept des victimes étaient originaires d'un pays membre de l'UE (Roumanie en tête). Pour les autres cas recensés, les 24 personnes avaient vu le jour en Albanie, en Chine et en Inde (deux). Mais nul doute que ces chiffres ne reflètent qu'une partie de la réalité. L'assistante sociale et responsable du Service d'assistance aux victimes de la traite des êtres humains (Savteh) en convient : «Beaucoup parmi les personnes exploitées ne connaissent pas leurs droits et ne cherchent pas non plus à obtenir de l'aide. Même la société remarque rarement leur souffrance».
Avec un psychologue et un travailleur social du Service Coteh -autre service d'assistance- ils forment actuellement le seul centre de soins luttant contre la traite des êtres humains au Luxembourg. Et pour des raisons de sécurité, nul ne souhaite donner son identité. C'est qu'ici il est question d'exploitation, de prostitution, de logements indignes, de salaires de misère: des faits hautement répréhensibles. Un esclavage moderne dont les victimes se retrouvent le plus souvent sous l'emprise de leur bourreau.
Début février, un couple de Rumelange comparaissait ainsi pour avoir exploité une nièce, alors mineure, comme main-d'œuvre bon marché. La jeune fille, venue de Guinée-Bissau pour vivre avec sa tante au Luxembourg depuis 2015, devait occuper tout son temps libre aux enfants du couple et à des tâches ménagères. Et c'est auprès d'un de ses professeurs que la demoiselle, épuisée, a osé se confier. Police, justice et au final la tante et son partenaire ont été condamnés en première instance à 42 et 36 mois de prison avec sursis. Ils devront également verser à leur souffre-douleur une indemnisation pour le préjudice subi.
Malheureusement, toutes les affaires ne sont pas portées devant les tribunaux. «Notre équipe n'est d'ailleurs pas assez étoffée pour rechercher activement des victimes présumées dans certains endroits. Nous devons compter sur le travail de la police et des travailleurs sociaux mais aussi sur l'attention des citoyens pour remonter les éventuels cas», explique le responsable de la Coteh.
L'an passé, l'équipe Savteh/Coteh a pris 24 personnes sous son aile. Huit d'entre elles étaient déjà des victimes identifiées, sept n'ont été identifiées qu'en 2019, et neuf étaient encore des victimes présumées. «Il s'agissait principalement de personnes travaillant dans le secteur de la construction, dans la restauration ou dans des ménages privés. La prostitution ne concernait que peu de monde parmi cet effectif.»
Le plus souvent, les victimes avaient été attirées au Luxembourg par de fausses promesses. Etrangers en situation irrégulière, travailleurs saisonniers, réfugiés et leurs proches : voilà les profils les plus souvent exploités. Autrement dit, des hommes, des femmes, des enfants ignorant leurs droits et n'ayant pas de connaissance pour se défendre.
Une fois prises en charge par les anges gardiens de Savteh et Coteh, les abusés sont avant tout relogés en foyers ou autres établissements coopérant avec les services. Chaque adulte peut alors percevoir une aide financière de 336€ par mois et bénéficier d'une prise en charge psychologique et médicale ainsi qu'un soutien juridique. «Notre objectif est de stabiliser psychologiquement ces personnes, pour la plupart marquées par la peur et souvent traumatisées. Nous les informons de leurs droits, les soutenons dans leurs relations avec la police et le ministère public. Nous les encourageons à redevenir sûres, autonomes et libres», décline le responsable de la Coteh.
Un travail délicat, d'autant qu'avant la tenue du procès plusieurs longs mois peuvent filer. La procédure entière prend ainsi souvent jusqu'à trois ans. «Trop long», tempêtent les experts de la question de la traite d'êtres humains. «Il existe encore de nombreux obstacles administratifs et juridiques limitant notre travail social», regrette l'équipe.
- Contact : www.stoptraite.lu
