L'amertume d'une vie sans goût ni odeur
L'amertume d'une vie sans goût ni odeur
Avec le covid-19, la vie n'a plus la même saveur. Littéralement, pour certains. La perte de l'odorat - et par ricochet du goût - serait en effet un symptôme «fréquent, typique et brutal», souligne le docteur Eugène Panosetti, ORL au centre hospitalier de Luxembourg (CHL). Si les chiffres varient d'une étude à l'autre, ces troubles toucheraient plus de la moitié des personnes infectées. Au Luxembourg, pas moins de 30.000 résidents pourraient être - ou avoir été - concernés.
Car si neuf patients sur dix retrouvent leurs sens dans les quinze jours, pour d'autres, la récupération du goût et de l'odorat nécessiterait en effet davantage de temps. «De cinq à six mois» et parfois plus, précise le Dr Panosetti. Ce symptôme prolongé, phénomène également appelé «covid long», Maxime* le connaît bien. Depuis qu'il attrapé le covid-19 en octobre dernier, le quotidien de ce résident de la capitale a un bien triste goût. «Tout ce que je mange a un goût de carton», déplore ce pâtissier amateur.
Bien qu'il ne s'agisse pour lui que d'un loisir, pour ceux dont la bouche ou le nez sont le métier, la perte du goût et de l'odorat peuvent rapidement devenir un véritable handicap professionnel. Cuisinier, sommelier ou encore parfumeur… Pour eux, impossible alors d'ajuster un assaisonnement, d'évaluer un vin ou de travailler sur une nouvelle fragrance. Un nouvel inconvénient qui peut également constituer un tout aussi gros obstacle dans la vie quotidienne.
A commencer par un sentiment d'«insécurité personnelle», notamment au niveau du couple, souligne le chef du service ORL du CHL. Difficile en effet de contrôler une éventuelle mauvaise haleine, transpiration ou autre odeur incommodante. Bien que pour certains, cela puisse parfois être un avantage. «Au moins, après une séance de sport, ça ne dérange que ma copine», s'amuse Maxime dont la compagne s'est plus rapidement rétablie.
S'il en rit aussi aujourd'hui, Philippe, 54 ans, a mal vécu son infection au covid-19. Pour cet amateur de vin et gastronomie, le repas de Noël a laissé un goût particulièrement amer. «Mon vin de table et mon grand cru classé avaient le même goût», raconte-t-il. «C'est à ce moment-là que j'ai réalisé qu'il y avait un problème...», précise celui qui a été diagnostiqué positif quelques jours plus tard.
Mais avant d'être un sens lié au plaisir, l'odorat a pour mission première de protéger contre un éventuel danger. Un «système d'alerte», rappelle Eugène Panosetti, qui permet de détecter «un départ de feu, une fuite de gaz ou encore un aliment avarié». Laura, une Française récemment installée au Luxembourg, en a d'ailleurs fait les frais plusieurs fois. «Je fais tout brûler», raconte la jeune femme qui ne peut plus se fier à son nez pour surveiller la cuisson de ses plats.
Si ces situations peuvent s'avérer gênantes, elles ne sont en rien irrémédiables. Au-delà de six à huit semaines sans changement, «il ne faut pas s'inquiéter, mais consulter», conseille ainsi l'ORL du CHL. Une rééducation peut ainsi être proposée aux patients pour les aider à récupérer une mémoire olfactive.
Concrètement, cette pratique consiste à entraîner le cerveau par une «exposition répétitive» à des odeurs connues, allant du clou de girofle à la rose, en passant par le citron. «Il faut être patient», prévient néanmoins le médecin avant d'ajouter que la procédure peut être très longue. En moyenne, il faut entre «trois et six mois» pour récupérer l'intégralité de son odorat.
Face à la lenteur du processus, «certains perdent courage», note toutefois le spécialiste. Cette perte de l'odorat peut en effet avoir d'autres impacts insoupçonnés. «Manger, sentir les odeurs constituent des plaisirs de la vie», rappelle Dr Panosetti avant d'ajouter que certains patients peuvent alors «se sentir déprimés». «Il y a du travail pour les psychiatres», prévient-il. Pour ces personnes, la potentielle réouverture des terrasses le 7 avril prochain pourrait donc ne pas avoir la même saveur à plus d'un titre.
(* Les prénoms ont été changés)
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