«Je souhaiterais une Europe sociale qui protège»
«Je souhaiterais une Europe sociale qui protège»
Après l'élection présidentielle en France se profilent désormais les législatives. Depuis 2012, les Français de l'étranger ont aussi leur député et c'est le cas aussi pour les Français du Benelux. Cécilia Gondard (PS), élue consulaire en Belgique, porte les couleurs de l'union de la gauche avec la coalition NUPES.
En quoi est-ce que les Français du Benelux sont concernés par le vote des législatives?
Cécilia Gondard: «Même si en habitant à l'étranger, il n'y a pas forcément un impact quotidien, beaucoup de mesures symboliques comptent. L'urgence écologique n'est pas un problème qui s'arrête aux portes de la France. Malheureusement, c'est un sujet qui nous touche tous. Nous avons besoin maintenant d'une vraie politique volontariste qui prenne conscience de cette urgence.
Nous avons aussi conscience de l'urgence sociale. Nous avons suivi de loin la crise des gilets jaunes qui nous a affectés. Elle était partout dans les médias, y compris à l'étranger, donc nous avons envie de trouver des solutions à ces problèmes.
Nous avons également des lycées français à l'étranger. La privatisation de l'enseignement français à l'étranger ces dernières années inquiète énormément.
À partir du 2 juin, il y a une grève sans précédent au ministère des Affaires étrangères du Quai d'Orsay. S'ils se mettent en grève juste avant les législatives, je pense que ce n'est pas pour rien. Il y a eu énormément de suppressions de postes et c'est pour ça que les délais ont été rallongés au consulat pour renouveler son passeport.
À chaque fois qu'on supprime un poste, il ne faut pas oublier que derrière, ce sont tous ces services publics-là qui dysfonctionnent. La suppression de postes a touché 10% du personnel de l'ambassade sur le Luxembourg ces dernières années et ça complique l'organisation des élections. Ils sont sous pression à l'étranger.
Si vous êtes élue députée, votre combat sera la défense des services publics, y compris à l'étranger ?
«Le soutien aux services publics figure dans le programme de la NUPES. Je pense qu'il faut réinvestir dans ce domaine. Tout le monde y a accès de la même manière et ça permet de lutter contre les inégalités.
J'ai déjà lancé l'alerte depuis de nombreuses années sur ces budgets-là au sein de l'Assemblée des Français de l'étranger en tant que présidente de la commission des Finances. Maintenant, il faut aller un peu plus loin en tapant du poing sur la table lors du vote des lois de finances et budgets à l'Assemblée nationale et au Sénat pour rétablir des services publics dignes de ce nom à l'étranger.
Que faut-il faire concrètement?
«C'est une question budgétaire. Il faut rouvrir les postes qui ont été fermés avec de nouveaux agents dans les consulats. Beaucoup d'agents du corps diplomatique ont été remplacés depuis quelques années par des agents locaux. Ça pose aussi un énormément de problèmes et le corps diplomatique est en train d'être supprimé. Nous allons recréer de la puissance publique à l'étranger dans les services publics et dans les réseaux de la francophonie.
Pour le financement, nous souhaitons reprendre la main sur le fonds de soutien au tissu associatif des Français à l’étranger (STAFE) et le distribuer à des acteurs qui participent vraiment au rayonnement de la France à l'étranger. Ce fonds STAFE représente 2 millions d'euros par an (actuellement seulement 1,2 million d'euros sont utilisés) et pour moi, il faudrait multiplier cette enveloppe au moins par deux. Au-delà de la question budgétaire, il faut aussi reconstruire les réseaux français qui se sont étiolés. Je constate le sentiment de colère et d'abandon de ces structures.
Que souhaitez-vous faire pour l'enseignement français à l'étranger?
«Les frais de scolarité posent un problème pour la classe moyenne et les plus pauvres n’ont pas les moyens de payer 5.000 euros au Luxembourg ou presque 10.000 euros aux Pays-Bas. Nous sommes dans cette fourchette-là sur toute la circonscription, par an et par enfant. Nous proposons d'agir sur la gratuité, c'est-à-dire en changeant la formule des bourses pour pouvoir élargir le cercle des personnes qui puissent toucher 100%, parce que certaines personnes ne bénéficient que de 40% de la bourse attribuée. Les familles doivent pouvoir mettre leur enfant au lycée français sans se poser de question financière.
Pour l'élection, vous avez fait alliance avec la France insoumise. Votre accord parle d'une désobéissance par rapport aux traités européens. Au Benelux, il y a un fort attachement européen. Une fois élue, vous serez l'étendard contre l'Europe?
«Je suis d'origine alsacienne, donc une partie de ma famille a combattu l'autre partie pendant la Première Guerre mondiale. L'Europe représente pour moi d'abord la paix et c'est pour ça que je l'aime. Avec la guerre en Ukraine à nos portes, on se rend compte aussi que c'est essentiel d'avoir une défense européenne et d'être un bloc fort.
La France insoumise dit être l'héritière du non au traité constitutionnel et le PS se dit fier d'avoir contribué à la construction européenne. Si nous avons chacun notre propre identité, nous défendons un objectif commun. L'ambition n'est pas de désobéir aux traités européens, mais d'avoir une Europe sociale.
En Belgique par exemple, l'aide à l'office social contacte l'Office des étrangers quand un résident français en grande difficulté financière arrive au bout de son allocation chômage. Il reçoit alors un papier qui lui demande de quitter le territoire belge. 50 à 100 familles sont ainsi concernées chaque année à cause d'une directive européenne de 2004 qui autorise les Etats à le faire si ces personnes ''n'ont plus les moyens nécessaires à leur propre subsistance'' sur le territoire belge. Il ne s'agit pas d'une expulsion manu militari, mais ces personnes sont privées de leur droit.
Je souhaiterais une Europe qui protège tous ceux qui sont entre les deux systèmes, y compris pour les étudiants privés de bourses.
Vous avez un objectif commun, mais des méthodes différentes ?
«Le pacte de stabilité et de croissance n'apporte de mon point de vue ni stabilité ni croissance. Personne ne le respecte et la France y déroge depuis longtemps. Il y a un peu cette hypocrisie de dire attention, ils veulent désobéir alors que tout le monde le fait.
Il vaut mieux pour cela reconnaître que c'est un traité complètement obsolète dont les règles doivent être changées pour qu'il soit applicable par tous les pays européens.
De toute façon, dans l'urgence écologique et sociale, nous avons besoin d'une relance budgétaire. Nous avons besoin d'investir massivement dans la lutte contre le changement climatique. Je pense qu'il faut mettre ces luttes-là avant toutes les autres et adapter les traités à cette nouvelle donne.
Si les électeurs glissent un bulletin de vote pour vous, est-ce qu'en réalité ils votent pour que Mélenchon devienne Premier ministre?
C'est dans l'accord et je le respecterai. Si Emmanuel Macron propose au Parlement Jean-Luc Mélenchon comme Premier ministre, je voterai pour lui. Il faut savoir qu'on est là avec la NUPES dans un préaccord de coalition. Nous souhaitons un régime parlementaire avec beaucoup plus de proportionnelle et une meilleure représentativité des citoyens. Notre accord prévoit que chacun de nous siégera dans des groupes différents, on n'est pas obligé d'être d'accord sur tout non plus. Si nous sommes arrivés à cet accord, malgré nos divergences parfois avec la France insoumise, c'est parce qu'il y a une certaine maturité politique collective qui va nous permettre de gouverner ensemble.
Vous pensez que cette cohabitation, souhaitée par Jean-Luc Mélenchon, peut être atteinte?
C'est tout à fait possible. 95% de l'électorat français de gauche en France souhaitait une union de la gauche et des écologistes. Si on a fait cet effort de dépasser nos différences et de s'attacher à nos convergences, c'est parce que nous avons envie d'être au pouvoir.
En 2017, la participation aux élections législatives du Benelux était de 22% au Luxembourg. Est-ce que vous craignez de nouveau une forte abstention?
Je le crains oui. J'appelle évidemment l'électorat de gauche et écologiste à se mobiliser dès le 5 juin. Le vote par Internet commence déjà le 27 mai. Il faut que chacun se bouge s'il a envie d'une nouvelle majorité et d'avoir une députée de terrain qui va se battre pour les budgets d'aide sociale et d'enseignement et pour l'urgence écologique dans les cinq prochaines années. Malgré le long weekend de la Pentecôte, je crois à un sursaut. Je pense que beaucoup avaient envie de cette union de la gauche et que ça redonne espoir de se dire que tout est possible pour le 5 juin.
Quel est votre regard sur le mandat du député Pieyre-Alexandre Anglade?
Sur le terrain, il a été très peu vu d'après ce qu'on me dit. Je pense que c'est important d'aller à la rencontre des gens. En tant qu'élue locale, on a eu seulement une réunion avec lui en cinq ans. Il est proeuropéen, il a cherché à devenir ministre des Affaires européennes pendant ces cinq prochaines années. C'est tout à son honneur, mais ce n'est pas le rôle d'un député. Le rôle d'un député est aussi de contrôler l'action du gouvernement en étant critique, notamment quand ça porte préjudice aux Français de sa circonscription. Il a par exemple voté la réforme fiscale pour les Français de l'étranger qui vont travailler en France. C'est une hausse d'impôt de 20% qui touche les plus pauvres. Moi, je propose au contraire plus de progressivité.
Quel est votre lien avec le Luxembourg ?
«Je viens régulièrement, parce que j'ai des camarades du PS et LSAP au Luxembourg. Monique Dejean (ndlr: déléguée du PS au Grand-Duché) avait notamment organisé un échange entre militants.
Quel est votre état d'esprit à quelques jours du scrutin?
«Je suis confiante, je pense qu'il y a deux blocs qui se dessinent entre d'une part un bloc de gauche et d'autre part celui de la macronie qui a déçu pendant cinq ans. On reprend espoir avec les législatives. Je dis à tout le monde, mobilisez-vous!»
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