Changer d'édition

«Ici, c'est mon pays, je viens de Steinsel!»
Luxembourg 6 min. 24.03.2022 Cet article est archivé
Jana Degrott (DP)

«Ici, c'est mon pays, je viens de Steinsel!»

Le racisme peut intimider. Mais Jana Degrott en a tiré une force - et a attiré l'attention d'une célèbre fondation américaine.
Jana Degrott (DP)

«Ici, c'est mon pays, je viens de Steinsel!»

Le racisme peut intimider. Mais Jana Degrott en a tiré une force - et a attiré l'attention d'une célèbre fondation américaine.
Photo: Christophe Olinger
Luxembourg 6 min. 24.03.2022 Cet article est archivé
Jana Degrott (DP)

«Ici, c'est mon pays, je viens de Steinsel!»

Jana Degrott a vécu l'exclusion. Mais cela a motivé la jeune femme de 26 ans à s'engager socialement et politiquement.

(MKa avec Michael MERTEN) - C'était pendant la campagne électorale pour la Chambre en 2018. Jana Degrott, alors candidate du DP pour la première fois dans le district du centre, voulait rejoindre sa voiture. Mais un groupe de jeunes inconnus lui court alors après; les jeunes hommes lui crient: «Retourne donc dans ton pays!». Elle se souvient encore très bien de ce moment. Sur les réseaux sociaux également, la jeune femme, aujourd'hui âgée de 26 ans, a déjà été confrontée à des déclarations racistes et grossières : «Retourne dans ton arbre, va manger tes bananes».

Pas mal de gens se laisseraient intimider par de telles hostilités. Mais Jana Degrott a appris avec le temps à y faire face. «C'est un sentiment très étrange quand quelqu'un te dit: 'Retourne donc dans ton pays'», explique-t-elle. Et d'ajouter avec assurance: «Ici, c'est mon pays, je viens de Steinsel, j'ai un mandat là-bas, je m'engage».

Jana Degrott (DP) a rencontré les journalistes du Luxemburger Wort pour un entretien dans le tramway luxembourgeois.
Jana Degrott (DP) a rencontré les journalistes du Luxemburger Wort pour un entretien dans le tramway luxembourgeois.
Photo: Michael Merten

Récemment, une étude sur le racisme et la discrimination ethnique au Luxembourg a montré que certains stéréotypes sont bien ancrés dans l'esprit des résidents, comme le préjugé selon lequel les Africains sont paresseux et les réfugiés des parasites de l'asile. Jana Degrott a été confrontée à de tels préjugés, mais aussi à une hostilité ouvertement raciste.

Une haine sans filtre

Sur les réseaux sociaux surtout, il s'agit souvent d'émotions non filtrées et non contenues. «La haine, c'est juste pour nous faire taire», assure-t-elle. Elle ajoute même en riant: «Mais avec moi, ça ne marche pas !» Selon elle, il faut sans cesse remettre en question ses propres préjugés. Et en parler sans cesse: «Je ne normalise pas cela». Malgré tout, à 26 ans, elle a déjà la peau dure.

La haine, c'est juste pour nous faire taire. Mais avec moi, ça ne marche pas!

Jana Degrott

Aussi frustrantes que soient les hostilités liées à sa couleur de peau, elles sont incontestablement aussi l'un des moteurs de son engagement social et politique varié. Son objectif est d'être un «modèle» pour d'autres jeunes issus de l'immigration, de les encourager - car de tels modèles lui ont manqué lorsqu'elle était jeune. C'est pourquoi elle a fondé en 2020, avec quelques camarades, la plateforme «WeBelongEurope», qui doit être un espace sûr pour les jeunes personnes racisées afin qu'elles puissent échanger leurs expériences et trouver des idées.

Avec sa plateforme «We Belong Europe», Jana Degrott veut montrer des modèles aux jeunes personnes racisées.
Avec sa plateforme «We Belong Europe», Jana Degrott veut montrer des modèles aux jeunes personnes racisées.
Photo: Christophe Olinger

Ce qui a sans aucun doute aidé la jeune politicienne: elle a grandi à Steinsel en tant que fille d'un Luxembourgeois et d'une Togolaise - et elle n'a pas de barrières linguistiques: «J'ai toujours su parler luxembourgeois». Et pourtant, lorsqu'elle était enfant, elle avait très peur d'être harcelée; elle voulait toujours prouver aux autres enfants qu'ils avaient tort avec leurs préjugés. C'était épuisant, mais cela lui a appris à avoir du répondant.

Ceux qui se déplacent avec Jana Degrott ressentent littéralement son énergie. Elle parle avec enthousiasme de ses nombreuses fonctions honorifiques, qu'elle exerce en partie depuis son adolescence. Il s'agit notamment de sa participation à de nombreux comités d'adolescents et de jeunes adultes, comme le «Jugendrot» luxembourgeois, ainsi que de son activité de conseillère à Steinsel depuis 2017. En plus de ses études de droit à Bruxelles, qu'elle est en train de terminer, cela représente une charge de travail importante; ce n'est sans doute pas un hasard si elle compte parmi ses devises la phrase: «Le temps est précieux, gaspillez-le sagement».

Un frère qui lui appris beaucoup

L'inclusion est également une de ses préoccupations majeures. Cela tient à sa situation familiale: son frère Jeff, 19 ans, est autiste et ne parle donc pas. «Cela a marqué mon vécu; il m'a beaucoup appris sur la vie», confie Jana Degrott. Son frère n'a pas pu, comme elle, jouer avec d'autres enfants ou sortir à l'adolescence. Mais il est important de permettre à des personnes comme lui de mener une vie épanouie.

Jana Degrott s'est fait connaître du grand public en novembre dernier lors de son passage dans l'émission «Kloertext» de RTL, au sujet de l'affaire de plagiat dans la thèse de fin d'études du Premier ministre. «Comme Xavier Bettel, elle aussi combine un engagement politique précoce avec des études de droit», c'est ainsi que la présentatrice Caroline Mart a présenté son invitée. Et la jeune politicienne du DP a fait ce qu'on attendait d'elle: elle a défendu le chef du gouvernement en essayant de relativiser son comportement fautif.


Politik, Briefing, Covid, Paulette Lenert, Xavier Bettel, Foto: Luxemburger Wort/Anouk Antony
«Mon travail était mauvais, je ne l'ai pas caché»
Xavier Bettel est revenu sur l'affaire de plagiat entourant l'obtention de son DEA. Le Premier ministre avait annoncé mardi avoir renoncé à son diplôme, en raison d'un mémoire de fin d'études presque entièrement copié.

Bien sûr, le plagiat de Xavier Bettel était une erreur, elle ne le nie pas ; «je ne cherche pas d'excuses», précise-elle. Mais l'erreur remonte à 20 ans et on ne sait pas dans quelles circonstances il a écrit son travail à l'époque. «Nous ne parlons pas ici d'un Premier ministre qui a écrit la thèse à l'époque. Nous parlons de l'étudiant Xavier Bettel, qui avait 26 ans». Elle a le sentiment qu'on attend aujourd'hui trop de perfectionnisme.

À 26 ans, Jana Degrott est déjà une habituée des tables rondes.
À 26 ans, Jana Degrott est déjà une habituée des tables rondes.
Photo: Mike Zenari

La jeune femme s'est attelée avec beaucoup de verve à la tâche ingrate d'être la seule invitée du talk-show à devoir défendre son camarade de parti. Xavier Bettel, comme le dira plus tard Jana Degrott, est pour elle un modèle, il l'a inspirée : «Il a vraiment fait bouger les choses et a nettement modernisé le Luxembourg».

Un podcast à part entière

Ceux qui ont suivi cette prestation télévisée ont vu une politicienne sûre d'elle, qui a su maîtriser le débat. Ce qui est sans aucun doute lié à sa troisième corde à son arc, en plus de la politique et du bénévolat: le journalisme. Depuis mars 2021, Jana Degrott anime pour le «Lëtzebuerger Journal» le podcast «Wat Leeft» sur des thèmes de société contemporains. Les dix épisodes diffusés jusqu'à présent sont consacrés à des aspects tels que l'intégration, la perte et le deuil, la maltraitance des enfants ou la haine sur Internet.

Cela a influencé mon vécu; il m'a beaucoup appris sur la vie.

Jana Degrott à propos de son frère autiste Jeff

Jana Degrott se considère comme une politicienne sociale-libérale. «A l'époque, j'ai hésité entre le DP et le LSAP», raconte-t-elle. Le chef du groupe parlementaire DP Eugène Berger, décédé depuis, l'a finalement recrutée pour son parti. Avec sa coiffure rasta et son style vestimentaire branché, elle ne passe pas inaperçue au sein du DP, mais elle se sent bien dans le parti «parce que je peux y laisser libre cours à mon esprit d'entreprise».

En janvier, une nouvelle est tombée, que Jana Degrott a encore du mal à croire aujourd'hui: en raison de ses multiples engagements en tant que «jeune militante, juriste et politicienne luxembourgeoise», la fondation de Barack et Michelle Obama a décidé de l'intégrer dans son programme de soutien aux jeunes leaders en Europe.

Un programme de soutien de six mois

Actuellement, la jeune femme voyage beaucoup; elle fait avancer quelques nouveaux projets avec la plateforme WeBelongEurope, où il y a désormais aussi un podcast. Mais malgré toutes ses activités bénévoles, elle garde un œil sur la politique luxembourgeoise et l'année électorale à venir. L'avenir nous dira si elle se présentera au niveau communal ou si elle se présentera à nouveau aux élections de la Chambre. 2023, c'est encore loin.

Pour l'instant, elle se concentre sur le programme de soutien de six mois de la fondation Obama, avec de nombreux séminaires et coachings. Elle n'arrive toujours pas à y croire tout à fait : «C'est un énorme privilège, c'est tout simplement génial».

Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.