Henri Kox: «Il y a trop de débats autour du luxembourgeois »
Henri Kox: «Il y a trop de débats autour du luxembourgeois »
Avant les élections législatives d'octobre prochain, nous avons décidé d'interroger les députés sur leur rapport à la langue de Molière à travers une série d’interviews que nous publierons régulièrement jusqu'à l'été.
- Quel est votre rapport avec la langue française et la francophonie?
La francophonie est une tradition au Luxembourg. Notre législation se fait en français, d'ailleurs. Dans le temps, c'était plutôt la langue des aristocrates et plus tard, c'est à travers elle que s'est faite la séparation entre le monde rural et citadin. Aujourd'hui, les choses sont très différentes et le français est la langue d'intégration de plusieurs communautés étrangères dans le pays.
Le Luxembourg a été influencé par cette langue comme il l'a été par la langue allemande. On dit toujours que notre côté germanophone nous donne notre aspect sérieux et carré et que notre côté français nous apporte la culture, l'art de vivre et je pense que les Luxembourgeois savent profiter de ces deux aspects de leur culture. C'est une réalité que nos trois langues officielles cohabitent tous les jours et que nous sommes "multiculti".
Pour ma part, je suis né à Luxembourg-Ville mais j'ai toujours vécu à Remich où j'ai fréquenté l'école communale lorsque j'étais enfant. A la maison, nous parlions le luxembourgeois. Nous sommes luxembourgeois depuis 1683. Mon frère Jo a fait l'arbre généalogique de la famille: durant les guerres de Religion, notre aïeul est arrivé des Pays-Bas et a fondé la branche luxembourgeoise. C'était déjà un immigré! Il s'est installé à Remich et s'est marié avec une luxembourgeoise et c'est ainsi que notre famille s'est implantée.
- Vous êtes ingénieur de formation et vous avez enseigné au lycée technique des Arts et Métiers durant des années. Que pensez-vous de la manière dont la formation professionnelle est promue dans le pays auprès des jeunes et leurs familles?
Mon parcours personnel m'a appris qu'au moment de l'adolescence, l'entourage familial fait beaucoup. Comme tout le monde, j'ai vécu un passage de rébellion et je ne voulais plus étudier. Mes parents m'ont alors dit que je devais aller travailler et je me suis retrouvé à l'Arbed dans la sidérurgie pour faire un apprentissage en électromécanique. C'est là où j'ai eu le déclic et j'ai décidé de retourner étudier. J'ai alors fait des cours du soir durant trois ans en mathématiques, français et allemand. A mon époque, il y avait des ponts plus offensifs entre l'école et la vie active et on pouvait reprendre des études plus facilement qu'aujourd'hui. Je suis ensuite retourné à l'école où j'ai passé un baccalauréat technique. C'était d'ailleurs le premier bac technique au Luxembourg, en 1983. J'ai ensuite fait des études universitaires et puis, je suis devenu professeur!
C'est là que je me suis rendu compte que les professeurs et les parents peuvent avoir une très grande influence sur les élèves. Le problème dans notre pays, c'est que l'enseignement technique n'a pas arrêté d'être réformé sans véritable avancée car la formation professionnelle n'est pas assez valorisée au Luxembourg.
C'est la mentalité luxembourgeoise qui veut ça car nous n'avons pas la tradition de l'artisanat. Dans le temps, on l'avait mais on l'a perdue au profit du tertiaire et de la fonction publique.
- Vous pensez donc que c'est la faute au système scolaire actuel?
Je pense que notre système scolaire est fondé sur la notion d'effort, ce qui n'est absolument pas le cas dans d'autres structures. Par exemple, à l'ISL (International School of Luxembourg, ndlr) la démarche est tout autre: elle se fonde sur la valorisation de l'élève et non sur la notion d'erreur. Dans notre système, le multilinguisme joue également un grand rôle et peut poser un problème aux parents qui ne sont pas aptes à aider les élèves car ils souffrent eux-mêmes de la barrière de la langue.
Les maisons relais sont là pour aider les élèves et pour faire le lien avec l'école. Mais aujourd'hui, il faut bien reconnaître qu'on n'a pas encore réussi à synchroniser le fonctionnement de l'école et de la maison relais.
- Que pensez-vous de l'introduction de la langue française dans les crèches dès l'âge de trois ans?
Cela pourrait être une bonne chose si ça ne devient pas une obligation et si cela reste ludique. Il faut quand même bien avouer que c'est déjà la réalité! A Remich, nous avons une crèche financée en partie par la commune et quand on a proposé d'introduire le français, les éducatrices étaient plus que sceptiques. L'une d'elles est partie en formation et à son retour elle était transformée! Elle avait réalisé que c'était déjà sa réalité avec les enfants et qu'il s'agissait juste de professionnaliser et d'institutionnaliser des pratiques déjà en place.
Cette nouvelle mesure ne doit pas devenir une expérience sur les enfants et il faudra une évaluation systématique.
J'ai participé à beaucoup de réformes dans le lycée technique et je pense que le gouvernement n'a pas assez fait d'évaluations afin d'évoluer pas à pas. Il a préféré faire des changements radicaux et tout reprendre à zéro. Une bonne politique en matière d'enseignement doit être évolutive et dans la continuité.
- Lors de la prochaine législature, le nombre de résidents étrangers devrait dépasser le nombre de résidents luxembourgeois. Comment pense-t-on la cohésion sociale dans ce contexte?
Il est important que les communes soutiennent les initiatives à petite échelle, comme la fête des voisins par exemple, car l'intégration se fait d'abord au niveau communal. A Remich, on organise des soirées où les gens sont invités à venir parler luxembourgeois et ça marche! C'est un défi et un certain nombre de résidents étrangers viennent discuter. Cependant, aux élections communales, on a eu peu de participation de leur part à cause de l'obligation de vote. Pour beaucoup de nations, l'obligation de vote n'est pas culturelle! Et du coup, il y a un blocage. De l'autre côté, il faut bien reconnaître qu'il n'y a pas vraiment d'intérêt de la part des résidents étrangers à voter malgré les efforts qui sont faits par le gouvernement pour les inciter à le faire. Ce qui reste un défi, c'est la manière dont nous allons gérer les langues afin de permettre à chacun de comprendre ce qui se passe politiquement dans le pays. Une traduction simultanée? Un système scolaire repensé en ce qui concerne les langues? Tout est à construire en la matière.
- Justement, à propos de droit de vote, comment expliquez-vous les résultats négatifs du référendum de 2015?
Je pense que le gouvernement était bien trop enthousiaste à l'idée de ce référendum, surtout concernant la question du droit de vote pour les résidents étrangers. On aurait sûrement dû mieux l'organiser à travers des débats publics afin de motiver les gens et, surtout, leur expliquer ce qu'on entendait faire. Notre approche a été trop institutionnelle et éloignée du peuple, on aurait dû faire des messages plus positifs en précisant bien qu'il n'était pas question d'enlever quoi que ce soit aux Luxembourgeois!
Souvent, les résultats d'une élection ne sont pas basés sur des faits mais sur l'émotion. Et les réseaux sociaux y sont pour beaucoup. Surtout quand on sait que 75% des électeurs luxembourgeois sont actifs sur Facebook. Au moment du référendum, les émotions étaient plutôt négatives...
- Pensez-vous que ce résultat a changé la perception des étrangers dans le pays?
Oui, plutôt. Je pense que les débats autour de la langue luxembourgeoise sont bien trop dominants pour le moment avec ce côté anxiogène, comme quoi elle va être tuée puis disparaître. Il est important de dire que le luxembourgeois est la langue d'intégration mais il faut aussi donner les moyens aux gens de l'apprendre en faisant des démarches auprès des entreprises. Il faut bien se dire que notre pays est un laboratoire et que nous sommes précurseurs en Europe dans le multilinguisme.
- Pensez-vous que la maîtrise de la langue luxembourgeoise soit une condition sine qua non pour avoir le droit de vote?
Pour moi, il faudrait d'abord faire une évaluation du niveau qui est demandé en luxembourgeois pour l'obtention de la nationalité. De plus, si nous nous définissons comme un pays ayant trois langues, il faudrait savoir si l'utilisation de l'une d'elle peut suffire pour être luxembourgeois.
- Quand le Luxembourg comptera près d'un million d'habitants, vers 2060, il comptera aussi environ 350.000 travailleurs frontaliers, selon les projections du Statec et de la Fondation Idea. Est-ce pour vous plutôt une richesse ou un défi pour le pays ?
Le Luxembourg a une densité de 220 habitants au kilomètre carré. Les Pays-Bas sont à 550 habitants du kilomètre carré et d'autres villes ont dépassé ce chiffre... On n'a pas encore atteint la capacité maximale du pays. L'évolution du Luxembourg doit se faire progressivement. Ces dernières années, on a ouvert notre pays à de nouvelles entreprises mais nous n'avons pas organisé suffisamment les choses et c'est ce que nous sommes en train de faire maintenant en terme de mobilité, de protection de la nature et d'économie.
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