Hélas, l'Adem ne va pas manquer de travail
Hélas, l'Adem ne va pas manquer de travail
Un taux de chômage grimpant en flèche (7% en mai), des demandes d'inscriptions à l'Adem arrivant au galop, comment percevez-vous ce tsunami qui s'abat sur le Luxembourg?
Isabelle Schlesser: «Tsunami, c'est un peu fort. Le pays a bien subi une grosse vague de chômage sur ces trois derniers mois (+ 5.000 demandeurs inscrits depuis un an), mais personne ne peut dire si le Grand-Duché a passé le pire de la crise question emplois. De mon point de vue, il faut redouter un phénomène plus discret mais tout autant ravageur avec un nombre d'inscrits qui va en s'accentuant au fil des mois. Le sort de beaucoup de sociétés ne tient qu'à un fil aujourd'hui: le chômage partiel. Le gouvernement a prolongé ce dispositif jusqu'au 31 décembre, c'était indispensable pour servir de parachute et éviter le crash immédiat.
L'Adem a-t-elle les moyens de prendre en charge ces quelque 20.200 demandeurs d'emploi?
«Nous sommes 620, et ces cinq dernières années nous avions vécu une situation de décroissance constante du chômage. Là, il faut nous adapter à plein de phénomènes en même temps. Evidemment que les effectifs de l'Agence ne vont pas suivre la courbe du chômage. Il y aura des embauches, mais je compte surtout sur notre réorganisation pour réussir ce challenge du retour vers l'emploi d'un maximum d'inscrits.
La digitalisation va nous permettre d'alléger certaines tâches purement administratives pour mieux nous concentrer sur l'accompagnement humain des demandeurs. Le transfert de personnels d'un service vers l'autre sera indispensable (je pense notamment au traitement des demandes de chômage partiel où cela a très bien fonctionné déjà grâce à la capacité d'adaptation de nos agents). Nous nous lancerons également dans la mise en place d'un système de profilage des candidats via l'intelligence artificielle. Une première.
Epidémie oblige, les conseillers ont perdu le contact physique avec les demandeurs...
«Cela va reprendre, petit à petit. Mais nous avons su renforcer les contacts téléphoniques ou par mail pour assurer nos missions essentielles même en pleine période de crise. Mais les rencontres vont à nouveau se développer. Tout comme la reprise des formations. Soit dans le respect des règles de distanciation (délicat), soit via le e-learning.
Je suis persuadée d'ailleurs que la sortie de crise passe par une meilleure formation de tous, à commencer par celle des prochains demandeurs d'emploi. Quand la reprise va se faire ressentir, les modèles d'organisation auront changé dans les entreprises, sur le terrain, dans les bureaux. Les qualifications ou les compétences recherchées seront différentes de celles du monde d'avant. A l'Adem de flairer ce qu'il en sera.
L'Adem, on l'oublie, c'est aussi une administration utile aux entreprises. Ne faudra-t-il pas renforcer ce rapprochement?
«Incontestablement. Depuis sa mise en place, en 2014, le "service employeurs" a su établir cette relation. On l'a vu dès le début de la crise, c'était impressionnant de voir le nombre de chefs d'entreprise qui se tournaient en priorité vers nous pour savoir comment ils pouvaient appliquer les dispositifs de chômage partiel, voir comment les mesures évoluaient et s'adapter mieux à tel ou tel cas.
Mais la satisfaction vient aussi du fait que ces mêmes employeurs potentiels se tournent toujours vers nous, maintenant, pour signaler leurs besoins de personnels. Ainsi, en mai, pas moins de 2.309 postes vacants nous ont été signalés. Cela veut dire que des recrutements sont à nouveau envisagés. C'est tout de même 414 propositions supplémentaires de job par rapport au mois d'avant. Et puis, dans certains métiers la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée reste une réalité. Cela veut dire qu'il reste des niches de postes à proposer.
Quelles sont les pistes à creuser pour remettre plus de monde en situation d'emploi?
«Toutes les solutions possibles! Les aides financières (telles que celles prévues par le gouvernement pour la restauration, du tourisme ou de l'événementiel par exemple) restent un bon levier. Mais il faut aussi valoriser les mesures pour l'emploi (comme le stage de professionnalisation), redire que la date limite pour conclure des contrats d'apprentissage a été repoussée au 31 décembre, creuser cette idée de travaux d'intérêt général et l'adapter aux différents types de chômeurs qui vont venir à nous. On ne traitera pas de la même façon le cas d'un jeune sans qualification et celui d'un quinqua bac+8.
L'initiative Jobswitch qui, au début de la crise particulièrement, a permis à certaines personnes en chômage partiel de mettre leurs bras ou leurs compétences au service d'autres sociétés que leur employeur habituel reste un modèle à creuser. L'alimentaire, la logistique, le gardiennage expriment des besoins en personnels maintenant, en raison de la situation nouvelle, pourquoi ne pas développer le champ de ces prêts temporaires de main-d'oeuvre vers ces secteurs?
Travailler est important à plus d'un titre pour chaque individu. Le revenu, mais aussi la socialisation, l'activité physique et intellectuelle, le développement privé, la considération de soi. Voir une grande partie de la population se retrouver privée de ces multiples apports est une réelle perte pour tout le pays, alors je crois que la mission de l'Adem en cette période va bien au-delà de la mise en relation entre un demandeur d'emploi et un recruteur. Nous allons nous attacher à franchir ce cap inédit de toutes nos forces.
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