Fernand Kartheiser: «Avoir le courage d'arrêter cette croissance déraisonnable»
Fernand Kartheiser: «Avoir le courage d'arrêter cette croissance déraisonnable»
Après Françoise Hetto (CSV) et Gilles Baum (DP), Franz Fayot (LSAP) et Claude Adam (déi gréng), c'est aujourd'hui Fernand Kartheiser qui se prête au jeu. L'homme politique nous reçoit dans son bureau au siège de l'ADR, rue de l'Eau. De sa fenêtre, on aperçoit le palais grand-ducal dans toute sa splendeur. Très attaché au Luxembourg et à sa culture, Fernand Kartheiser nous confie son rapport à la langue française.
Quel est votre rapport à la francophonie?
J'ai un amour profond pour le français qui, pour moi, relève de la tradition. Dans ma vie professionnelle, je l'ai toujours parlé et j'ai un rapport historique à la langue car étant diplomate de carrière et je me suis toujours efforcé de parler la langue de Molière plutôt que celle de Shakespeare. De nos jours, tout le monde parle raisonnablement l'anglais mais il me semblait important de respecter la francophonie luxembourgeoise au niveau diplomatique. C'est pour vous dire, j'ai même parlé en français quand les Français eux-mêmes parlaient l'anglais!
Pourquoi avoir fait ce choix?
Car je m'oppose à l'idée d'une Europe plurielle et harmonisée uniquement autour de la langue anglaise. Il est d'ailleurs intéressant de noter que l'anglais devient si important au sein de l'UE au moment même où le Royaume-Uni se décide à quitter l'Europe. C'est comme une anomalie linguistique...
Le français a été une langue que vous avez pratiquée dès l'enfance ?
Absolument pas. Je viens d'un milieu familial davantage germanophone comme beaucoup de Luxembourgeois de ma génération. J'ai fait des études en France et en Belgique et c'est là que j'ai vraiment appris la langue, surtout à Montpellier où j'ai fait un doctorat d'histoire.
Je lis énormément dans toutes les langues que je connais! En français, surtout les "grands classiques" et actuellement, c'est plutôt dans cette langue que je lis des textes d'analyse philosophique sur l'intelligence artificielle, par exemple.
Quel regard posez-vous sur la politique française?
Je connais trop bien la France pour vous donner une réponse simple et je n'ai pas de vision rapide et stéréotypée de ce pays. Je suis conscient de son histoire et de la complexité de ses courants sociétaux et politiques. La France est caractérisée par des ruptures mais je dois dire que la Belgique est encore plus compliquée à cause des problèmes de langues et de communautés.
Il est important en tant que Luxembourgeois et homme politique, de bien comprendre et de s'intéresser à nos voisins car tout ce qui se passe là-bas peut avoir des incidences directes sur notre pays. On le voit d'ailleurs très bien en droit!
Tout ce qui touche la France et la Belgique, touche également le Luxembourg
Au cours de la prochaine législature, le nombre de résidents étrangers pourrait dépasser le nombre de Luxembourgeois. Comment garantir la cohésion sociale dans ce cadre ?
Les résidents étrangers font partie de notre société. Mon regard est objectif et je reconnais l'importance de la présence de ces communautés au Luxembourg et il faut en tenir compte dans la vie politique en ce qui concerne nos choix concernant, par exemple, la scolarité ou l'intégration et nous adapter. Notre travail de politique est de justement tenir compte des intérêts des uns et des autres et de trouver des consensus pouvant rassembler les gens.
Quelle place pensez-vous que le luxembourgeois ou le français devraient avoir dans la société?
Après la Deuxième Guerre mondiale, le Luxembourg a fait un choix conscient de valoriser la langue française par rapport à la langue allemande qui, avant celle-ci, était plus ou moins sur un pied d'égalité avec le luxembourgeois. C'était un choix politique.
Aujourd'hui, nous voyons les conséquences de ce choix: cette préférence pour le français a façonné l'immigration du pays qui a accueilli de nombreux francophones et notre société s'est recomposée autour de cette immigration au détriment de l'allemand. Je trouve cela dommage car on ne peut comprendre la culture luxembourgeoise qu'en connaissant ces deux grands pays que sont la France et l'Allemagne. Mon souci aujourd'hui n'est pas la place du français dans notre société mais plutôt l'importance de l'allemand qui est en recul, ce que je regrette.
Que pensez-vous alors de l'introduction du français dans les crèches?
Rien. Je crois que c'est une erreur et cela pour plusieurs raisons. Mon souci n'est pas de multiplier l'utilisation des langues à un âge que je juge trop jeune, mais d'intégrer les étrangers à une seule et même société. Il faut créer une solidarité et un sentiment d'appartenance à une unique communauté luxembourgeoise pour éviter la formation de sociétés parallèles.
A mon avis, l'intégration doit se faire autour d'une seule et même langue, le luxembourgeois. Je pense qu'il est discriminatoire envers les enfants qui ne parlent ni le luxembourgeois ni le français, d'être confrontés dès la petite enfance à deux langues étrangères au lieu d'une seule.
Que pensez-vous alors d'une école comme le lycée international de Differdange qui propose de suivre sa scolarité en plusieurs langues?
Ces écoles internationales que nous sommes en train de créer dans notre système public ne respectent pas, à mon avis, le trilinguisme du pays. Les gens qui sortiront de ces écoles parleront à peu près l'allemand et le français, peu le luxembourgeois mais ils auront tous un diplôme de l'école publique.
Je ne connais aucun autre pays où cela pourrait se faire. D'autant plus que nous créons des voies de garage et que des gens devront quitter le pays pour trouver du travail. Cette innovation est une erreur.
Pensez-vous que les frontaliers devraient parler luxembourgeois?
Il faut faire une distinction entre les gens qui résident ici et ceux qui y viennent pour travailler. Je ne m'attends pas à ce que quelqu'un qui traverse la frontière tous les jours pour gagner sa vie parle le luxembourgeois sauf s'il est en contact direct avec des clients. Ce serait alors un effort de politesse qui me semble normal.
Quand le Luxembourg comptera près d'un million d’habitants vers 2060, il comptera aussi environ 350.000 travailleurs frontaliers, selon les projections du Statec et de la Fondation Idea. Est-ce pour vous plutôt une richesse ou un défi pour le pays ?
Je pense que nous devons arrêter cette croissance démographique et que ce que nous faisons actuellement est suicidaire car notre pays ne peut pas croître infiniment ni en démographie ni en richesse économique ou produit national brut. Nous devons mettre un frein à cette évolution dont nous avons perdu le contrôle.
Depuis quand considérez-vous que le Luxembourg a perdu le contrôle de sa croissance?
Depuis toujours! Seulement, maintenant, on s'en rend compte et on commence à s'en affoler. Nos systèmes actuels de sécurité sociale nous forcent à maintenir un taux de croissance élevé pour pouvoir continuer à financer les retraites. Nous devons changer ces modèles de financement et plus tôt nous aurons le courage de le changer et mieux ce sera pour tout le monde.
Pensez-vous que cette question de la croissance économique va être un des enjeux de la prochaine campagne électorale?
Mon parti est prêt à en parler et ce sera sans doute un des sujets importants de la campagne électorale.
Est-ce que le résultat du référendum sur le vote des étrangers a changé la perception des étrangers au Luxembourg ?
Oui, car ensuite une discussion sur la loi sur la nationalité luxembourgeoise s'est amorcée et les exigences de son acquisition ont d'ailleurs été revues à la baisse... Notre société est en mutation et nous verrons bien comment les partis politiques se positionneront après les élections législatives mais la question de la participation politique des étrangers restera toujours centrale dans notre pays.
Pensez-vous qu'il était trop tôt en 2015 pour poser une telle question aux Luxembourgeois?
Je pense que c'était erroné d'envisager une participation politique des étrangers. Très peu de pays dans le monde le font et chacun d'entre eux est dans une situation historique et sociale particulière qui explique ce choix. Le Luxembourg est le seul pays où les étrangers formeront bientôt plus de la moitié de la population du pays. En donnant le droit de vote aux étrangers, les Luxembourgeois auraient perdu leur souveraineté nationale et il n'y aurait plus eu à proprement parler, de nation luxembourgeoise.
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