«Encourager les propriétaires et non les contraindre»
«Encourager les propriétaires et non les contraindre»
Âgée de 38 ans au moment de son entrée à la Chambre en octobre 2019, Semiray Ahmedova était initialement architecte urbaniste au ministère de l'Energie et de l'Aménagement du territoire. Très vite, elle a remplacé Henri Kox (Déi Gréng) en tant que présidente à la commission du Logement lorsque ce dernier est devenu ministre.
Originaire de Dudelange, elle figure dans les rangs de Déi Gréng depuis les élections communales de 2017 et est arrivée en neuvième position de la liste du Sud (10.581 voix) lors des élections législatives.
Quel bilan dressez-vous depuis votre arrivée à la Chambre en 2019?
«Je tiens d’abord à préciser que je suis arrivée sans avoir fait réellement de politique avant. Je me suis présentée car comme beaucoup de personnes, je constatais que pas mal de choses n’allaient pas et ne vont toujours pas. Quand on m’a proposé d’intégrer une liste, je me suis dit pourquoi pas. Mais sans grande prétention au départ, je ne pensais pas du tout rejoindre la Chambre.
On a beau être encadrée par son parti et la fraction, il n’empêche que j’ai dû m’adapter seule très rapidement! Rien ne me prédestinait à cela. J’ai d’ailleurs mis pas mal de temps pour comprendre les rouages de l’exercice politique. Ma famille n’a pas baigné dedans, elle n’est pas militante au départ. Je me demandais s’il allait falloir que je change, mais au final je suis restée moi-même.
Je suis plus discrète et moins connue que d’autres, mais je me concentre sur tout ce que je peux faire. J’ai eu la chance d’être nommée très vite à la tête de la commission du Logement: architecte de métier au départ, c’est une vraie chance!
Comment cette formation d’architecte vous aide-t-elle au quotidien?
«C’est un avantage car on ne peut pas me perdre sur le langage technique, je sais de quoi je parle et de quoi on me parle. Mais l’autre avantage c’est que j’ai 40 ans et 14 ans d’expérience professionnelle derrière moi et j’ai travaillé dans plusieurs domaines, le privé, le semi-public… J’ai donc pu observer plusieurs façons d’appréhender toutes les questions relatives au logement.
J’ai également mon expérience personnelle, puisque quand j’ai débuté dans l’architecture, je n’avais pas un énorme salaire malgré mes six années d’études! J’ai moi aussi couru après les banques pour accéder à la propriété.
C’est une réalité que j’ai connue, je comprends les gens. Je l’ai vécu dans ma chair.
Pouvez-vous nous expliquer sur quels dossiers vous travaillez actuellement?
«J’essaye vraiment de visualiser les objectifs et de les tenir car le temps passe très vite, il reste un an avant les prochaines législatives! Je vis dans le présent, au jour le jour, dans l’urgence pour améliorer autant que faire se peut le quotidien des gens.
En ce moment, je me penche sur la question des chancres urbains: c’est lorsqu’on a un terrain vaste entre deux maisons, ou dans un quartier où une partie est construite et l’autre non. Des terrains à l’abandon en somme.
Nous réfléchissons à mettre en place des conventions de mise à disposition de terrain que les propriétaires signeraient avec l'Etat.
Semiray Ahmedova, présidente de la commission Logement à la Chambre
Mon objectif, c’est réussir à faire en sorte que les gens à qui ils appartiennent acceptent de mettre ces terrains à disposition pour que l’on puisse en faire quelque chose.
Il faut savoir que du point de vue de la loi, si on accepte de mettre son terrain à disposition, cela tombe dans le régime du bail emphytéotique. Dit plus simplement, vous acceptez de le prêter pour une durée de 50 ans ou plus, ce qui est bien trop long et a un effet dissuasif…
Puisque changer une loi prend énormément de temps, alors que du temps, nous n’en avons pas car nous sommes dans une crise du logement, nous réfléchissons à mettre en place des conventions de mise à disposition de terrain que les propriétaires signeraient avec l'Etat.
Quels en seraient les avantages?
«L’idée de base, c’est que ça soit une institution étatique qui signe une convention de mise à disposition de terrain. Pourquoi l’Etat? Car cela donne certainement plus confiance aux gens de céder pour un temps leur terrain à une institution étatique plutôt qu’à un promoteur privé. La volonté est vraiment de réduire cette durée de 50 ans en fonction des besoins des gens qui ont des terrains exploitables.
L'objectif à terme, après 10 ou 15 ans d’emprunt de terrain, c’est que ces derniers soient rendus en bon état à ceux qui auraient choisi de les prêter.
Ce laps de temps permettrait également aux promoteurs public de construire les logements abordables qui sont lancés aujourd’hui, à savoir Elmen, Wunne mat der Wooltz, Neischmelz et d’autres.
On pourrait démonter et déplacer des habitations par la suite. Nous sommes actuellement en plein contexte de guerre avec l’Ukraine et les réfugiés que nous accueillons. S’il y avait plus de logements d’urgence, on devrait moins compter sur la générosité des familles d’accueil.
Semiray Ahmedova, présidente de la commission Logement à la Chambre
J’ai discuté avec l’Union des locataires ou d’autres acteurs sociaux, et il serait également envisageable pour eux de donner chaque mois une compensation financière aux propriétaires pour ces terrains, afin d’encourager cette pratique. On sait que chaque année, le foncier prend de la valeur au Luxembourg.
Quand je parle de compensation, on pourrait parler de 100-150 euros par mois. On est donc sur du gagnant-gagnant, puisque le propriétaire d’un terrain continuera malgré tout à voir la valeur de son bien augmenter même s’il n’en dispose pas pour un temps donné, et recevra dans le même temps une somme chaque mois avant de le récupérer.
Je suis réellement d’avis qu’il faut encourager les privés et non pas les contraindre pour résoudre la crise du logement.
Avez-vous d’autres pistes à l’étude?
«Oui, puisque j’ai pu observer que les communes, qui sont en train de refaire leur PAG (Plan d’aménagement général), disposent de terrain elles-mêmes. Il serait donc également intéressant de les inciter à mener des projets pilotes en les utilisant pour des nouvelles formes d’habitat, des habitats participatives, intergénérationnels et modulables.
Ce serait une solution pour les maisons qui ont de grands terrains et de grands jardins. On pourrait construire des dépendances habitables. Il faudrait aussi pouvoir construire le plus rapidement possible. Je suis très satisfaite de la mise en place de conseiller logement pour chaque commune dans le cadre du nouveau Pacte Logement 2.0, cela aidera les élus à voir ce qu'il est possible de faire dans leurs villes.
La question des terrains n’est qu’une partie du problème, reste la construction que vous avez certainement à l’esprit…
«En effet, c’est tout un ensemble à considérer: la mise à disposition de terrains et la conception architecturale. Pour le volet architectural, le plus logique est de partir sur du préfabriqué modulable, qui coûte beaucoup moins cher qu’une construction classique, puisque pour ce type de matériel de construction d’habitat, on part sur une production répétitive en série qui fait tout de suite baisser les prix. On peut faire des appartements sur plusieurs niveaux mais aussi des maisons, selon les besoins et les terrains. Cela se fait déjà en France. Au Luxembourg, on commence à en parler.
On parle d’autre chose que d'un simple container recyclé?
«Absolument, j'ai pu découvrir le travail réalisé par des entreprises privées comme Oikos, ainsi que des habitats similaires construit par l’AIS (Agence immobilière sociale). On est sur de la haute qualité. J’ai pu voir des maisons préfabriquées de classe énergétique B voire A, bien loin du simple container en métal comme on peut d’abord se l’imaginer.
Je reste convaincue qu’une fois qu’on voit que c’est de la construction de qualitée, même les particuliers pourraient s’y intéresser!
L’atout majeur étant cette notion de maison en kit?
«Oui, si on arrive à amener cette idée, on pourrait démonter et déplacer ces habitations par la suite. Cela pourrait notamment résoudre la pénurie des logements d’urgence. Nous sommes actuellement en plein contexte de guerre avec l’Ukraine et des réfugiés que nous accueillons.
S’il y avait plus de logements d’urgence, on devrait moins compter sur la générosité des familles d’accueil, sachant que sur le long terme, ce n’est viable pour personne. Alors qu’un logement préfabriqué permettrait à une famille de s’établir pour six mois, un an, deux ans, trois ans… Le temps qu’il leur faudrait, sans trop de stress.
Quels seraient les autres publics cibles?
«Je pense aux jeunes qui n’ont pas les moyens d’acheter voire même parfois de louer. Mais il y a aussi les femmes battues. Certaines ont le courage de partir, parfois avec des enfants sous le bras et il n’y a pas de solution durable pour elles derrière, et elles doivent retourner dans l’enfer dont elles se sont échappées… Pour moi, il n’y a rien de pire qu’avoir eu du courage et de voir que c'est inutile...
On pourrait aussi envisager ce type de logement en cas d’incendies, d’inondations comme nous en avons eus l’an dernier et enfin, en cas d’insalubrité déclarée dans une habitation!
Semiray Ahmedova, présidente de la commission Logement à la Chambre
On pourrait aussi envisager ce type de logement en cas d’incendies, d’inondations comme nous en avons eus l’an dernier et enfin, en cas d’insalubrité déclarée dans une habitation! Maintenant, quand les communes condamnent des habitations pour vétusté, on constate qu’il n’y a pas forcément de meilleure solution derrière pour les locataires. On ne peut pas les reloger correctement…
Pourtant, le Luxembourg est perçu comme un pays riche, et certains vivent dans une vraie misère… Pourtant il y a des solutions à envisager.
Vous avez un regard sur les solutions possibles dans le privé?
«Oui, j’ai regardé ce qui se fait côté français, avec la société Monoma, anciennement Camelot. Le concept importé des Pays-Bas était encore peu connu en France avant son arrivée en 2011. Le principe suit un double objectif intéressant: d’un côté offrir des contrats de résidence temporaire pour des sommes bien au-dessous du prix du parc locatif, pour une durée limitée dans le temps dans des bureaux, des appartements, de grandes maisons; de l’autre permettre aux propriétaires de ces biens d’avoir une solution de gardiennage à bas coût, le temps que leurs propriétés soient vendues la plupart du temps.
En plus, cela participe à entretenir les habitations, qui sans occupant, sans chauffage, dépérissent et perdent en valeur! C’est certes transitoire et demande de la flexibilité, mais ça peut trouver preneurs, comme les travailleurs détachés et les jeunes actifs qui veulent mettre de côté avant de trouver plus stable.
J’ai eu cette semaine les nouvelles statistiques de l’Observatoire de l’habitat: dans l’investissement concernant l’achat de logement pour mise en location, on observe une augmentation qui arrive à 40%. Un effet direct de la crise sanitaire, puisqu’avant les investisseurs se tournaient plutôt sur les commerces et des surfaces de bureau.
Entre 2010 et 2021 les prix de l’immobilier ont augmenté de 116%. Penser à des initiatives comme Monoma pourrait enrayer un peu le phénomène.
Semiray Ahmedova, présidente de la commission Logement à la Chambre
Le danger c’est que plus les investisseurs achètent ce qui est prévu pour les logements de particuliers, moins les particuliers eux-mêmes pourront accéder à la propriété. On entre dans un cercle vicieux qu’il faut empêcher. Entre 2010 et 2021, les prix de l’immobilier ont augmenté de 116%. Penser à des initiatives alternatives comme Monoma pourrait enrayer un peu le phénomène.
Il n’existe pas d’autres alternatives perfectibles au Grand-Duché?
«Si, il y a l’Agence immobilière sociale (AIS). Le principal avantage, c’est que l’agence prend des biens vides, garantit un loyer au propriétaire, que les occupants honorent ou non ce loyer. De plus, fiscalement, les détenteurs du bien sont exonérés de la moitié du loyer qu’ils perçoivent et quand les gens sont partis, tout le bien est remis en état avant de leur être rendu.
L’inconvénient, c’est que les gens ne passent pas instinctivement à cette solution puisque le prix que l’AIS offre est bas. Pour 80m2 en ville, un propriétaire touche dans les 600 à 900 euros, alors que sur le marché, ils peuvent avoir le double ou plus. Certains s’estiment malheureusement plus gagnants en laissant le logement vide.
De son côté l’AIS ne souhaite pas demander plus aux locataires puisqu’elle est garante en cas de non-paiement et qu’elle doit dans tous les cas remettre en état le bien et garantir de toujours pouvoir tout payer aux propriétaires … On pourrait envisager d’apporter des solutions pour augmenter la compensation offerte aux propriétaires. Avec de la bonne volonté, pratiquement tout est possible.
Les changements prennent du temps. Comptez-vous vous représenter aux prochaines législatives?
«Oui, je compte me présenter aux prochaines élections. Si je suis réélue tant mieux, mais même sans ça, je continuerai mon combat avec d’autres armes. Je pourrais retourner au ministère, mais avec le recul, ma fonction était plus théorique et me permettait pas de participer à la réalisation, chose que j’expérimente de façon plus concrète dans mon rôle de députée, sur le terrain. Je ressens plus d’accomplissement.»
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