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Des réfugiés ouvrent le premier restaurant afghan de la ville
Luxembourg 5 min. 05.02.2023
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Des réfugiés ouvrent le premier restaurant afghan de la ville

De gauche à droite: Esmatullah, Sakina, Shukria et Jawid ont ouvert leur restaurant social Bamyan fin novembre 2022.
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Des réfugiés ouvrent le premier restaurant afghan de la ville

De gauche à droite: Esmatullah, Sakina, Shukria et Jawid ont ouvert leur restaurant social Bamyan fin novembre 2022.
Photo: Chris Karaba
Luxembourg 5 min. 05.02.2023
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Des réfugiés ouvrent le premier restaurant afghan de la ville

Sarita RAO
Sarita RAO
Servant des spécialités de la province de Bamyan, sur la route de la soie, les Afghans Hazara racontent les dangers qu'ils ont fuis et leur nouveau départ au Luxembourg.

Le qabuli, du bœuf mijoté, cuit dans un plat en forme de dôme avec du riz, des carottes, des raisins secs, de la cardamome et des noix, est le repas maison préféré de Jawid Modasir et de sa femme, Shukria, arrivés au Luxembourg en 2015 en tant que réfugiés d'Afghanistan.


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En novembre 2022, le couple, ainsi que ses compatriotes afghans Esmatullah et Sakina Etemadi, ont ouvert le premier restaurant afghan du Grand-Duché, Bamyan, à côté des casemates du Bock, dans les locaux du bar Mirador.

Bamyan est une province centrale de l'Afghanistan, une étape clé sur l'ancienne route de la soie, où la cuisine unit l'Orient et le Moyen-Orient, mêlant de nombreuses épices et saveurs. C'est également le principal territoire de la minorité ethnique Hazara en Afghanistan - principalement des musulmans chiites, qui sont persécutés par la majorité sunnite pachtoune au pouvoir depuis plus d'un siècle.

«Je suis devenu une cible»

C'est cette persécution qui a forcé Modasir à partir il y a sept ans. «La situation empirait chaque jour. Puis je suis devenu une cible. Je ne pouvais obtenir aucune aide du gouvernement, je n'ai donc eu d'autre choix que de fuir ma maison», raconte-t-il.

Il y a plus de 130 ans, l'émir d'Afghanistan, Abdur Rahman Khan, a tenté d'éradiquer le peuple hazara, l'accusant d'être un hérétique religieux. Il a réussi à éliminer 62 % de la population et a entamé une histoire d'exclusion des fonctions gouvernementales ou des postes d'influence qui se poursuit à ce jour.

La communauté hazara a accueilli favorablement l'invasion et l'occupation menées par les États-Unis en 2001, notamment dans l'espoir d'une démocratie représentative et, en tant que segment le plus éduqué de la société, d'un soutien à la scolarisation pour tous, y compris les filles. Ils sont également les grands perdants du retrait des troupes occidentales en 2021.

L'année dernière, les talibans ont torturé et exécuté 150 civils hazaras dans le district de Balkhab, d'où Modasir est originaire. Quelques mois plus tard, un attentat suicide au centre éducatif de Kaaj, dans l'ouest de Kaboul, a coûté la vie à 35 filles de la communauté hazara.

«Maintenant, la situation est dangereuse, car nous ne cessons d'éduquer les filles dans les centres privés, alors ils déplacent les gens, annonçant que des centaines de familles doivent déménager. Il n'y a aucun soutien de la part de la communauté internationale ou du gouvernement local», explique Modasir.

Reconnaissant envers le Luxembourg

Il est arrivé en Europe via la Grèce, et alors qu'il se trouvait en Allemagne, il a pris la décision de s'installer au Luxembourg. «Nous sommes arrivés en tant que réfugiés. Nous ne sommes jamais partis à cause de problèmes économiques, nous avons été obligés de partir pour notre sécurité. Cela n'a jamais été facile car c'est une culture et un système totalement différents. Mais les gens au Luxembourg nous ont facilité la tâche.»

Ce n'est qu'après son arrivée en Grèce que Jawid Modasir s'est senti en sécurité.
Ce n'est qu'après son arrivée en Grèce que Jawid Modasir s'est senti en sécurité.
Photo: Chris Karaba

Il se rappelle être arrivé en Grèce, mouillé et gelé, et avoir été accueilli et avoir reçu des vêtements secs. «Ce jour-là, j'ai senti que ce ne serait pas trop pour nous». Lorsqu'il est arrivé au Luxembourg, il n'y avait que 50 résidents afghans, mais aujourd'hui, cette communauté est passée à quelque 2.000 personnes.

«Je suis toujours reconnaissant envers les familles luxembourgeoises qui m'ont accueilli pour vivre avec elles et m'ont guidé», confie-t-il, rappelant qu'il lui a fallu un an et demi pour obtenir ses papiers, période pendant laquelle il a suivi des cours de langue et de commerce.

Créer des opportunités d'emploi

Modasir et Etemadi ont tous deux essayé de trouver du travail après avoir obtenu leurs papiers. «Nous voulions rendre la pareille aux personnes qui nous avaient accueillis. Nous avons postulé à de nombreux emplois, mais ils demandaient toujours trois langues, et nous n'étions pas en mesure de les parler.»

Le couple a décidé de créer sa propre offre d'emploi et de fournir du travail «à des gens comme nous, qui ont des difficultés sur le marché du travail normal». Modasir connaissait les propriétaires du Mirador, qui ont soutenu l'idée d'un restaurant social et ont fourni les locaux pour qu'il fonctionne les jours de semaine. La cuisine est orchestrée par Sakina, mais «nous faisons tous tout», dit Modasir.

Boulettes, ragoûts et riz au safran

L'un des plats est constitué de boulettes de pâte Ashak, un plat très apprécié de la communauté afghane, fabriqué à partir d'une recette familiale et rempli de poireaux et d'oignons de printemps, servi avec une sauce à l'ail et aux tomates. Parmi les autres plats populaires, citons le Zerishk Palaw, qui combine du poulet avec du riz au safran, et le Bamia, un ragoût de gombo et de tomate servi avec du pain traditionnel.

Qabuli, viande de bœuf mijotée, cuite dans un plat en forme de dôme avec du riz, des carottes, des raisins secs, de la cardamome et des noix.
Qabuli, viande de bœuf mijotée, cuite dans un plat en forme de dôme avec du riz, des carottes, des raisins secs, de la cardamome et des noix.
Photo: Bamyan

L'approvisionnement en ingrédients est difficile en raison de la situation actuelle dans leur pays d'origine, mais ils peuvent encore acheter des produits secs et des assaisonnements dans un magasin afghan en Belgique. La viande et les légumes sont obtenus localement.

Établissement familial, le partage est au cœur des repas qu'il produit. Le Bamyan propose un menu à partager pour les groupes de six personnes ou plus, et peut organiser de petits événements privés.

Impossible de rentrer chez soi

Modasir espère pouvoir s'installer dans ses propres locaux à terme. Il ne pense pas qu'il soit possible de rentrer chez lui dans un avenir proche : «Il n'y a pas de réaction forte de la communauté internationale face aux talibans. Je ne veux pas que mes enfants aient peur d'être tués ou qu'ils aient du mal à obtenir une éducation.»

Ma patrie n'est plus ma maison, mais ici, nous avons commencé à nous sentir à la maison, et nous sommes prêts à rendre la pareille.

Modasir

Son partenaire commercial Etemadi fait écho à ces sentiments : «L'espoir créé au cours des 20 dernières années pour les gens, que les enfants puissent aller à l'école, ainsi que la liberté et la paix promises qu'aucun d'entre nous n'aura désormais, me manquent», dit-il, ajoutant : «Ma patrie n'est plus ma maison, mais ici nous avons commencé à nous sentir à la maison, et nous sommes prêts à rendre la pareille.»

Cet article est paru initialement sur Luxtimes.lu

Traduction: Mélodie Mouzon

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