«Depuis deux ans, tous les défis ont été menés à bien»
par Thomas BERTHOL/ 18.11.2022
Steve Thull occupe la fonction de chef d'état-major depuis le 29 septembre 2020. Il dresse un bilan de l'action de l'armée luxembourgeoise et revient sur le conflit en Ukraine, avec notamment les derniers incidents en Pologne.
La guerre en Ukraine
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Quelle a été votre réaction après avoir appris qu'un missile avait causé la mort de deux personnes à Przewodow en Pologne, près de la frontière avec l'Ukraine?
Il est toujours tragique quand des innocents perdent leur vie et il va sans dire que cet incident a retenu toute mon attention! Je peux l'avouer à présent, il était clair pour moi qu'il ne s'agissait pas d'une attaque de la part de la Russie. Sans avoir connu à ce moment tous les détails de l'incident, c'était assez clair vu l’endroit de l'impact.
Face à un tel incident, la meilleure façon de réagir est alors de garder tout son sang-froid, ne pas dire des choses qui pourraient résulter dans une escalade du conflit, ne pas prendre parti pour l'un ou l'autre et attendre les résultats des experts. C'est d'ailleurs exactement de cette manière que l'OTAN a réagi. Cela démontre qu'aucun des membres de l'organisation n'a un intérêt à voir se produire un élargissement du conflit sur d'autres territoires.
Si un pays de l'OTAN est attaqué, l'article 5 est déclenché, ce qui signifie que les alliés considèrent être également attaqués. Qu'est-ce que cela signifierait pour le Luxembourg?
Dans une telle situation, après de mûres réflexions menées à l'OTAN et après constat à l’unanimité que l'acte commis est à considérer comme attaque, des suites seront mises en place. Le Luxembourg, comme membre de cette organisation, se conformera dans ce cas aux décisions prises.
Le conflit nous occupera encore pendant un bon bout de temps.
Craignez-vous un risque d'escalade avec ce type de situation, voire une troisième guerre mondiale?
Non, tel que déjà expliqué, nous n'en sommes pas là.
Croyez-vous qu'une négociation de paix soit actuellement possible ou le conflit risque-t-il de durer encore plusieurs mois?
Mon appréciation est, et cela n'engage que moi-même, que le conflit nous occupera encore pendant un bon bout de temps.
Le Luxembourg soutiendra-t-il l'Ukraine tant que le conflit perdure?
Ceci est une décision à prendre au niveau politique et tel que je le vois, le Luxembourg continuera dans cette voie. Il est important dans ce cadre de se rappeler que le Luxembourg a connu une situation semblable dans le passé et en a pu sortir uniquement parce que le support outre-Atlantique n'a jamais fléchi.
Deux ans à la tête de l'armée luxembourgeoise
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Vous êtes chef d'état-major depuis deux ans, en quoi consiste cette fonction?
C'est d'abord être chef de l'armée. Mon devoir est de veiller à ce que soit appliqué ce qui est demandé de la part de nos responsables politiques. Mon rôle est donc d'assurer le bon entraînement de nos soldats, afin de bien appliquer les instructions de notre ministre de la Défense François Bausch (déi gréng) et garantir notre sécurité. Mon quotidien change tous les jours, c'est ce qui rend ma fonction intéressante. Il y a l'aspect très stratégique, dont des réunions avec d'autres chefs d'état-major et d'autres situations très terre à terre comme des entraînements de tirs.
Le commandant des forces est en charge directe du commandement des troupes. Mon rôle est de faire ce lien entre l'échelon politique et l'armée. En tant que chef, la responsabilité envers nos soldats est toujours là, soit une responsabilité de vie ou de mort lorsqu'ils sont en mission et c'est toujours présent à l'esprit. Toutes nos missions, que ce soit la distribution de tests pendant la pandémie ou notre intervention lors des inondations, ont été menées de manière efficace.
Comment qualifieriez-vous ces deux dernières années à la tête de l'armée luxembourgeoise ?
Exigeantes, car remplies de plein de défis et en même temps comme encourageantes, car marquées par un engagement exemplaire de la part de tous le personnel de l'armée. Les deux dernières années ont été marquées par des crises multiples: la pandémie de covid-19, les inondations au Luxembourg d'une envergure inouïe, la première guerre entre deux nations souveraines sur le continent européen depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale…
Les temps de crise sont exigeants, car ils demandent de la part des décideurs une solution à des problèmes jamais vécus et pour lesquels il n'existe pas de recette universelle prête à l'emploi. Malgré cela ou peut-être justement dû à ces temps plein de défis, l'action quotidienne de tous les membres de l'armée, civils et militaires, est devenue plus visible et a ainsi connu une plus large valorisation. Selon les échos que j'ai pu recueillir, l'engagement de l'armée n'est plus vu comme quelque chose de diffus par les Luxembourgeois, mais comme étant ciblé et pleinement rempli de sens.
D'un côté, l'armée a concrètement et activement contribué à sortir la population de la crise causée par les inondations et la pandémie. Elle a donc permis un retour vers la normalité. D'un autre côté, l'armée a depuis toujours opéré pour maintenir ou rétablir un environnement sûr et sécurisé. Ces deux missions sont nobles et indispensables pour garantir le bien-être d'une nation.
Il est encourageant de constater que grâce au volontarisme de mes femmes et hommes, tous les défis ont pu être menés à bien. Nous sommes fiables ! Je suis enthousiaste, persuadé qu’à travers la continuation de nos efforts, nous resterons à la hauteur des tâches de demain.
L'armée a été mobilisée lors des inondations en 2021, vos troupes seront-elles davantage formées à ce genre de situation?
Notre premier domaine de prédilection est la sécurité et nous sommes déjà à la recherche de personnel, donc nous ne pouvons pas nous permettre de nous spécialiser dans d'autres domaines, alors que dans la société civile des personnes sont davantage formées et équipées pour agir dans ce type de situation. En revanche, l'armée est toujours là pour la population. Si nous pouvons aider, nous sommes évidemment toujours prêts à le faire.
Un projet de loi actuellement en cours d'instance doit justement faciliter le recrutement.
Cette réforme doit adapter l'armée aux défis du 21ème siècle. Nous avons un problème de ressources humaines. Par rapport à d'autres administrations, nous étions désavantagés parce que le salaire ne correspondait pas au niveau d'étude. Imaginez, vous avez le bac, mais vous gagnez la même chose que quelqu'un qui a arrêté ses études avant. La réforme doit changer cela. La durée de service passera aussi de trois à quatre ans, cela permettra de réduire le turnover et tirer davantage profit des personnes formées.
Mobilisation des soldats luxembourgeois à l'étranger
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Où sont actuellement mobilisés les soldats luxembourgeois à l'étranger?
Nous avons 6 personnes en Lituanie, 9 au Mali et une en Irak, soit un total de 16 soldats luxembourgeois mobilisés à l'étranger.
L'armée luxembourgeoise participe depuis 30 ans à des opérations de maintien de la paix, cette mobilisation est importante?
Défendre la sécurité est une des raisons d'être de l'armée et à l'avenir, ce sera encore davantage le cas. Au sein de l'OTAN, il est important de pouvoir compter les uns sur les autres. Si un pays ne mobilise aucun de ses soldats sur le terrain, cela voudrait dire que ce pays évite tout risque. Si Le Luxembourg procédait ainsi, nous aurions une mauvaise image à l'étranger. Le Grand-Duché est un petit pays, donc une petite armée, mais il est question ici de faire preuve de solidarité.
Poutine s'en est pris à l'Ukraine estimant qu'il s'agissait d'un adversaire à sa taille. Mais il y a de nombreux Etats plus petits que l'Ukraine comme les pays baltes. En revanche, des troupes de l'OTAN y sont présentes et la Russie n'y met pas les pieds. Cette alliance transatlantique permet donc de garantir leur sécurité. Si le Luxembourg peut y participer en veillant à maintenir la paix, alors nous aurons accompli notre travail. Cela montre à nos soldats que leurs missions ont également un sens. La paix est la base de tout, elle permet d'avoir un emploi, un avenir. S'engager pour la défendre est donc une mission noble, y compris pour les Luxembourgeois.
Actuellement six soldats sont présents en Lituanie, quelle est leur mission?
Ils sont intégrés dans un bataillon allemand et ils sont responsables de l'aspect logistique du «Battle Group» présent en Lituanie. Leur rôle est donc notamment de veiller à la réparation des véhicules, de l'approvisionnement de l'essence et de la nourriture lors d'opérations.
Les projets et défis de l'armée luxembourgeoise
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Pouvez-vous nous en dire un peu plus concernant le futur bataillon binational avec la Belgique?
En mai 2021, le Luxembourg a reçu comme mission de mettre en place un bataillon de «reconnaissance médiane» avec la Belgique à l'horizon 2028. Sur les 700 soldats, 50% seront mis à disposition par le Luxembourg et l'autre moitié par la Belgique, selon les prévisions de l'Otan. Le Grand-Duché fournit déjà 250 soldats dans le cadre de l'OTAN, il ne sera pas question d'en ajouter 350 soldats supplémentaires, mais 100 militaires en plus sur le contingent existant.
Ce futur bataillon s'inscrit dans les objectifs fixés par le NATO Defence Planning Process (NDPP). En clair, il est question de voir où se trouve l'ennemi, repérer ses forces et faire part de ces renseignements à son échelon supérieur. En fonction de ces informations, une décision peut être prise pour déterminer la suite des opérations.
L'armée luxembourgeoise a commandé 80 nouveaux véhicules d'intervention. Cet achat avec l'entretien s'élève à 367 millions d'euros. Vous en aviez vraiment besoin?
Obtenir ces véhicules de reconnaissance (CLRV) est essentiel, parce que ceux dont nous disposons actuellement sont en «fin de vie». Ce n'est pas possible d'obtenir de nouvelles pièces pour ces engins s'ils tombent en panne. Le châssis est bon, mais il est nécessaire d'avoir une complète rénovation pour les moyens d'observation, de tir et tout ce qui est informatique sur ces véhicules. Changer chacune de ses pièces nous aurait coûté au final plus cher.
Il est important d'équiper nos forces avec un matériel qu'ils peuvent utiliser en toute sécurité lors de leurs opérations. C'est ma responsabilité en tant que chef. Ces nouveaux véhicules commandés sont d'ailleurs garantis pendant 15 ans avec un entretien et suivi de maintenance, cela fait partie des 367 millions d'euros alloués à ce projet.
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