De la haute couture aux tenues sanitaires
De la haute couture aux tenues sanitaires
Pour un modèle à confectionner de A à Z, généralement, les doigts de fée de l'atelier Eva Ferranti comptent une soixantaine d'heures. Maintenant, elles se satisferaient plutôt d'un quart d'heure passé sur chaque modèle. Il faut dire que la dizaine de couturières ont remisé costumes et tailleurs pour ne plus réaliser que des tenues de protection pour les soignants du pays. Avant nous traitions des commandes sur mesure, nous travaillions la soie ou des tissus précieux. «Depuis trois semaines, c'est Tyvek, Tyvek, Tyvek», sourit Eva Ferranti.
Ainsi, la coopérative (créée en 2018) a décidé de passer en mode «machine de guerre». Entendez par là à produire vite et bien ce qui fait actuellement défaut dans le paquetage de nombreux soignants : les combinaisons, blouses et pantalons taillés dans la matière antivirale dont l'usine DuPont de Contern assure désormais une production à grande échelle. Facile à dire, mais en réalité pas si simple comme reconversion. «C'est vrai que lorsque nous avons dit "OK" aux hôpitaux Robert Schuman, on ne s'attendait pas à ce que ce soit si complexe à mettre en oeuvre», indique Paul Chambers.
De comptable, celui-ci a été parachuté coordonnateur de l'opération. Et voilà qu'il a d'abord fallu entièrement repenser le positionnement des tables de travail dans l'atelier de Bascharage. En respectant les deux mètres de distanciation mais aussi en installant de nouvelles machines. «Car pour cette matière et cette forme, il ne fallait plus de surjeteuse, indique la tailleure. Il fallait l'engin capable d'assurer des coutures en thermo-soudure aussi.»
De longues heures de recherche, des appels à des fournisseurs et à des amis, et l'appareillage indispensable était trouvé. En Italie... «CargoLux s'est gentiment proposé pour nous les acheminer gratuitement», sourit l'équipe. Même solidarité quand il s'est agi de réceptionner le tissu tant recherché, ce fameux Tyvek. Les couturières ne s'attendaient pas vraiment à recevoir une palette avec quatre bobines de 120kg à prendre en charge... Là encore, un voisin aidera à rentrer la matière première pour que la production puisse débuter.
Un test pour chaque recrutée
Aujourd'hui, chaque jour, l'atelier Eva Ferranti réussit à sortir 250 pièces. Autant de tenues qui filent rejoindre celles et ceux qui en ont le plus besoin au contact des malades du covid-19 au Luxembourg. Et cela, faut-il le préciser, à prix coûtant. Pas question pour la coopérative de faire le moindre bénéfice sur ce travail spécifique. «Comme nous sommes perfectionnistes, nous avons même adapté les patrons fournis à la demande des hôpitaux. Ils voulaient des blouses à cou resserré et descendant plus bas que la taille, nous avons créé les formes demandées», note Paul Chambers.
De fil en aiguille, ce ne sont d'ailleurs pas les seuls hôpitaux Robert-Schumann qui bénéficient du travail des couturières. Le centre hospitalier de Luxembourg s'avère lui aussi preneur des créations made in Grand-Duché. «Comme la demande augmente, il nous fallait plus de couturières» , assure Eva Ferranti. Là encore, le téléphone a chauffé et les premiers recrutements ont été effectués dans la foulée. Chacune des nouvelles recrues faisant l'objet d'un test de dépistage au coronavirus avant d'entrer en service.
Deux fondations en soutien
Déjà sept spécialistes de la machine à coudre ont rejoint les rangs. Compris des indépendantes ou des ouvrières jusque-là employées dans la confection de rideaux. «Ensuite, chacune à son propre poste de travail. Désinfecte avant et après le service. Respecte les distances et s'attaque à une partie bien précise de la confection. Dans cette situation d'urgence, on passe au mode production de masse qui n'a rien d'ordinaire pour nous», témoigne le coordinateur pas peu fier de cette armée en bon ordre de marche.
Et alors que l'épidémie se poursuit, la coopérative sait qu'elle va encore devoir recruter pour cette bataille des modistes contre le virus. Le projet est d'ailleurs si enthousiasmant que la Fondation des Hôpitaux Robert Schumann et la Fondation Covid-19 ont décidé de soutenir financièrement l'atelier. Car oui, dans cette guerre sanitaire aussi, l'argent reste le nerf de la guerre.
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.
