Crise, qui a dit crise?
Crise, qui a dit crise?
Par Patrick Dury, président national du LCGB
L’accord tripartite «Solidarpakt» a été signé le 31 mars 2022. Or, d’après certaines publications et prises de position récentes à travers les médias, on pourrait croire que les négociations menées sont superfétatoires et qu’il s’agit finalement d’un accord de complaisance que le gouvernement et les organisations syndicales signataires ont conclu en faveur du patronat capitaliste. En dernière conclusion ces propos nient l’existence même de la crise actuelle et rejettent donc les différentes mesures ficelées par l’accord tripartite.
Cette approche est en contradiction complète avec la situation économique et sociale actuelle qui est fortement marquée par une imprévisibilité jamais vue et des incertitudes croissantes depuis l’éclatement de la crise sanitaire du covid. Les différentes mesures de confinement et de restrictions liées à la gestion pandémique ont eu un impact énorme sur l’économie luxembourgeoise.
Depuis mars 2020, un paquet de soutien important a été mis en place par le gouvernement. Les enveloppes budgétaires et les garanties financières s’élevaient en 2020 à 11 milliards d'euros, soit environ 18,6 % du PIB. Les aides directes aux entreprises et indépendants se chiffraient à environ 265 millions d'euros. Le recours massif au chômage partiel constituait l’aide budgétaire phare en faveur du maintien des emplois avec une dépense d’environ 800 millions d'euros dont 456 millions d'euros pour la période de l’état de crise allant de mars à juin 2020.
Ces aides financières étatiques substantielles ont permis de limiter une casse sociale en réduisant fortement le recul du PIB de -6,5 % initialement projeté à -1,8 %.
Crise dans la crise
Même si le début de la sortie de la crise sanitaire a été entamé au courant de l’année 2021, la relance économique restait essentiellement marquée par la pandémie. La croissance de 6,5 % du PIB en 2021 doit ainsi être mise en relation avec le recul en 2020. Compte tenu de la recrudescence de la demande malgré une pénurie de demi-produits résultant des disruptions logistiques et des problèmes d’approvisionnement liés à la pandémie ainsi qu’une augmentation des prix de l’énergie tout au long du dernier trimestre 2021, l’inflation a fortement repris pour atteindre 2,5 % en fin d’année 2021 contre 0,6 % en 2020.
Afin de soutenir la reprise économique, les aides financières étatiques en faveur de l’emploi et des entreprises ont été maintenues à un niveau élevé avec 199 millions d'euros dédiés au chômage partiel tandis que les aides directes aux entreprises se chiffraient à 286 millions d'euros.
Toutes ces mesures ont permis de stabiliser l’économie et de pérenniser les emplois dans un effort de solidarité nationale. La preuve de leur réussite est très tangible comme il n’y a eu ni une multiplication de faillites ni une croissance durable du taux de chômage.
Alors que la crise sanitaire est toujours en cours, l’agression russe de l’Ukraine et les nombreuses sanctions économiques prises dans la foulée par la communauté internationale dont l’Union européenne ont fait surgir une crise dans la crise.
Les problèmes d’approvisionnement ont été aggravés et pour la toute première fois une insécurité plane sur l’approvisionnement en produits énergétiques dont notamment le gaz naturel et le diesel vu la forte dépendance de l’Union européenne face à la Russie. Les prix de l’énergie sont dès à présent marqués par une volatilité extrême.
La première conséquence de cette succession de crises étant une flambée de l’inflation qui a atteint 7 % en avril 2022 et qui risque désormais de s’élever aux environs de 5,8 % fin 2022 et de maintenir un niveau élevé de 2,8 % en 2023. Il en résulte de multiples incertitudes pour les salariés et les entreprises.
Certaines entreprises, notamment celles de l’industrie et de la logistique, éprouvent de grandes difficultés pour maintenir leur production puisque celle-ci repose sur une forte consommation énergétique, pour d’autres entreprises, notamment dans la construction et l’artisanat, les disruptions au niveau des chaînes d’approvisionnement et la surenchère des différents demi-produits et matières premières entraîne un risque non négligeable pour la continuité de leurs activités. Face au risque d’une augmentation des taux d’intérêts sur prêts, un arrêt des investissements est également à craindre.
Imprévisibilité et multiples doutes
L’inflation galopante conduit à un déclenchement de plusieurs tranches indiciaires dans un délai très rapproché. Alors que la dernière tranche d’avant la crise a été déclenchée en janvier 2020, la sortie de crise dans un environnement perturbé a fait tomber une tranche indiciaire en octobre 2021, puis les répercussions économiques de la guerre en Ukraine ont déclenché une nouvelle tranche en avril 2022 et une tranche supplémentaire s’annonce pour juillet 2022. Au-delà de cette date, le rythme des différentes tranches indiciaires reste très imprévisible.
Cette imprévisibilité combinée aux multiples doutes macroéconomiques crée un champ de tension entre la nécessité de maintenir le pouvoir d’achat et de pérenniser les activités de nombreuses entreprises fragilisées par la succession de crises. De ce fait, les salariés sont doublement impactés par la crise comme ils courent à la fois le risque de perdre du pouvoir d’achat et de perdre leur emploi. Cette incertitude existentielle est la conséquence directe de la volatilité de l’économie et de son évolution.
Sans nouvelles aides, une diminution de la création de nouveaux emplois voire même des pertes d’emplois ne peuvent plus être exclues. Faute d’une prévisibilité suffisante pour les entreprises, une multiplication d’emplois précaires avec un recours plus poussé à des contrats à durée déterminée ou au travail intérimaire est également à craindre.
L’accord tripartite du 31 mars 2022 s’inscrit dans ce scénario de crises et retient des mesures ciblées et limitées dans le temps afin de donner la prévisibilité nécessaire aux entreprises, de pérenniser les emplois existants et de soutenir la croissance de l’emploi tout en garantissant le maintien du pouvoir d’achat des salariés et pensions à revenus modestes et moyens.
L’accord confirme le système d’indexation des salaires et pensions comme instrument primordial du maintien du pouvoir d’achat et de la paix sociale au Luxembourg et prévoit pour la toute première fois à l’instar des décisions antérieures de report de tranches indiciaires, un mécanisme de compensation pour tous les salariés et pensionnés à revenus modestes et moyens sans oublier les bénéficiaires du revenu d’inclusion sociale (Revis) et du revenu pour personnes gravement handicapées (RPGH).
Nouvelle tripartite accordée
Le gouvernement s’est engagé dans l’accord à convoquer une nouvelle tripartite nationale si la situation économique et sociale venait à empirer et si une tranche indiciaire supplémentaire était déclenchée.
Les aides aux entreprises pérennisent directement et indirectement les emplois menacés par l’évolution récente et soutiennent en même temps la création de nouveaux emplois qualitatifs. Ce paquet de mesures fait donc preuve de la solidarité nationale nécessaire et indispensable face aux événements récents. Il est en phase avec les différentes aides et mesures mises en place aux moments forts de la crise sanitaire.
A l’heure actuelle, l’accord tripartite a permis de développer les bons instruments qui fourniront, le cas échéant, les bonnes solutions pour éviter une tragédie sociale que ce soit au niveau du chômage ou du pouvoir d’achat.
Finalement, l’accord tripartite constitue un compromis entre trois parties engagées dans les négociations. Il est certes facile de critiquer son contenu, mais encore faut-il pouvoir démontrer les alternatives. Ce qui est complètement inadmissible dans la situation actuelle est le fait que certains nient l’existence de la crise actuelle!
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