Cécile Hemmen: "J'étais l'oiseau rare qui savait parler le français"
Cécile Hemmen: "J'étais l'oiseau rare qui savait parler le français"
Le français: langue pivot dans le travail au Luxembourg mais aussi langue en perte de vitesse parmi les Luxembourgeois. Avant les élections législatives d’octobre prochain, nous avons décidé d’interroger les députés sur leur rapport à la langue de Molière, à travers une série d’interviews que nous publions depuis le début de l'année.
Cette fois, c'est la plus francophone des députés socialistes, Cécile Hemmen, qui nous a reçus pour parler de ses origines françaises et de son regard sur la législature qui s'achève.
- Vous avez grandi à Remich, avec la frontière allemande juste de l'autre côté de la Moselle. Y avait-il une place pour la langue française dans votre quotidien?
Oui, une grande place, car je suis née d'une maman française, née en Lorraine, et d'un papa né en France, à Paris, dont les parents étaient originaires d'Auvergne. Ma mère est arrivée au Luxembourg dans les années 1950 et a très vite appris le luxembourgeois. A la maison, mes tout premiers mots, ceux que j'ai échangés avec ma maman, étaient en français.
A l'école maternelle de Remich, cela faisait de moi un oiseau rare! J'étais la seule à savoir m'exprimer en français.
D'autant que du côté de Remich, forcément, le climat était plutôt germanophone. Les parents de mes camarades de classe étaient aussi portés vers l'allemand à cause de la guerre, donc c'était rare d'entendre des gens parler facilement le français.
Petite, j'ai passé du temps chez ma grand-mère en Lorraine, chez mes grands-parents paternels à Paris puis en Auvergne, où ils étaient retournés.
J'ai un lien très fort avec la France
Toutefois, j'ai vite compris que la langue parlée et la langue écrite étaient deux choses tout à fait différentes. Les conjugaisons, la grammaire, l'orthographe: c'était difficile!
Je me suis rendu compte enfant que le français était une langue qu'il fallait bien apprivoiser pour en faire un bon instrument de communication.
J'ai donc un lien très fort avec la France.
A la maison, le français était-il présent?
On a eu la télévision très tard donc pour moi, le passe-temps était plutôt la lecture. Je lisais beaucoup de contes. Et puis, à 12 ans, j'ai été hospitalisée à Paris durant une longue période, et là bien sûr, j'ai lu en français tout ce qui me tombait entre les mains: Pif Poche, Le Journal de Mickey, et aussi des Agatha Christie.
Je suis friande de lecture de toute façon, je ne peux pas me séparer de mes livres, c'est comme ça!
Je lis plus volontiers en français car en allemand, cela me demande plus d'efforts... D'ailleurs, en regardant récemment dans ma bibliothèque, j'ai encore vu toute une encyclopédie médicale que je m'étais offerte avec mon premier salaire! Il y a une vingtaine de livres au total, qui répertorient toutes les maladies, tous en français. J'ai toujours été attirée par le domaine de la santé.
- Là, c'est déjà un niveau de français très élevé...
Oui, mais j'adore ça. Je suis fan des livres de Jean d'Ormesson, c'est un enrichissement fabuleux.
- Est-ce que vous avez des souvenirs particuliers de vos séjours en France?
Quand j'étais à Paris pour raisons de santé, j'avais le sentiment d'appartenir un peu à cette ville car je n'étais pas là en tant que touriste, et c'était une longue période. J'ai donc vécu un peu de la vie parisienne alors que je venais de Remich qui était un grand village à l'époque.
On traversait tout Paris dans le taxi de mon oncle qui s'énervait en argot au volant
J'avais un oncle qui était chauffeur de taxi à ses heures dans la capitale donc il venait nous chercher à la gare et on traversait tout Paris, avec lui au volant qui s'énervait contre les autres voitures avec des mots en argot... Avec ma mère, assises à l'arrière, on riait. Ça me fascinait, je trouvais ça merveilleux, je me tordais de rire!
Mes grands-parents habitaient un immeuble typique, tout en haut, quasiment sous les toits... Ma grand-mère m'envoyait acheter des "berlingots" de lait, je n'avais jamais entendu ce mot! Il y avait la baguette parisienne, le sandwich jambon-beurre, c'était tout ça la France pour moi.
Je ramenais des petits gadgets, des petites Tour Eiffel à mes amis, on allait visiter le Louvre avec mon père, on allait au zoo de Vincennes...
L'Auvergne, c'était autre chose! Surtout le caractère des gens, très dur! Tisser des liens avec les Auvergnats n'est pas évident. J'ai lu dans un livre de Gérard Klein que "les Auvergnats sont comme les pierres avec lesquelles ils construisent leurs maisons: volcaniques".
Et puis, les Français se rebellent, s'enflamment très vite, sont remontés contre le système: ce tempérament bien français, m'a marquée.
Alors je me dit toujours que gouverner le Luxembourg, ce n'est déjà pas facile, mais gouverner une France... (rires)
- Vous avez fait des études universitaires?
Non, j'ai très vite intégré le milieu des médias, et plus particulièrement la télé et la radio, après mon baccalauréat littéraire. Depuis toujours, j'avais des facilités dans la communication.
J'avais fait du théâtre, de la diction... En 1978, la radio cherchait quelqu'un pour un remplacement de congé maternité. Et ça a commencé comme ça!
Puis, j'ai eu l'opportunité de faire de la télé et d'être coordinatrice du Télévie, où j'avais le rôle d'intermédiaire entre les malades, les médecins, les spectateurs, les auditeurs. J'incarnais une sorte de relais entre les chercheurs d'un côté et les malades de l'autre.
- Et la politique dans tout ça?
Pour moi, c'était la suite logique. Au niveau national, je me suis dit que je connaissais beaucoup de monde et que j'avais acquis beaucoup de connaissances dans différentes sphères, en coulisses aussi, et qu'il était temps de mettre ces compétences au service du plus grand nombre.
J'avais envie de me rendre utile à la communauté. Cela ne peut se faire que si on aime ses citoyens. Vraiment.
Je le fais parce que ma commune me tient à cœur et que je veux que chacun puisse s'épanouir. Quand j'ai été élue au Parlement, c'était une bénédiction pour moi mais aussi pour ma commune, je me suis tout de suite dit que je pourrais faire bénéficier ma commune de cette représentation nationale.
- Quel regard portez-vous sur ce premier mandat et cette législature pas banale qui se termine?
Non, c'était pas banal du tout! Je suis très très fière d'avoir appartenu justement à cette coalition extraordinaire à mes yeux, qui s'est formée par la force des choses et qui a fait un bien fou à notre pays.
Nos ministres socialistes ont eu un grand courage politique
Je suis triste de voir les sondages parce que je me dis que c'est dommage que les gens n'aient pas compris ça comme un investissement des trois partis pour faire avancer ce pays.
On a fait de belles choses... même si au début il y a eu des petits couacs, mais ces gens débutaient dans l'exercice du pouvoir, donc c'est normal. Mais la plante qui a germé de toutes ces semences est absolument formidable. Nos ministres socialistes ont eu un grand courage politique lors de cette législature.
Evidemment, je souhaite continuer sur cette lancée. Ça fait peur de voir le plus grand parti d'opposition parfois, ne pas voter certaines lois ou lancer des petites phrases en insinuant qu'ils vont aller à l'encontre de ce qui a été fait...
- Les chrétiens-sociaux sont restés en 2013 selon vous?
Disons qu'ils ont mis très longtemps à passer à autre chose. J'ai été confrontée à des députés qui ont été ministres avant donc je peux m'imaginer que ça doit être frustrant. Certains m'ont confié que c'était dur et je le comprends. Au fur et à mesure, ça s'est calmé et je pense que cette frustration a laissé place maintenant à une autre énergie.
- Est-ce qu'il y a une mesure, une loi, un moment, qui restera gravé pour vous?
Oui, la loi hospitalière. J'étais tellement émue quand j'ai terminé mon rapport. J'ai repensé à ces innombrables séances en commission, ces innombrables entrevues, discussions avec notre ministre, pour finalement arriver à une loi qui redimensionne le médecin, le valorise, etc. On a réussi à le faire. Quand on a ficelé cette loi-là, je me suis dit: "tu as réussi à apporter ta petite pierre à cet édifice-là".
C'est là que vous vous rendez compte de la portée de votre travail
Le vote de la réforme des services de secours aussi, avec tous les camions de pompiers devant la Chambre pour remercier le ministre... Quand vous êtes assis à la Chambre, que la loi est votée, et que vous entendez tous ces klaxons retentir... (elle sourit) C'est là que vous vous rendez compte de la portée de votre travail, de votre engagement, et de ce que vous pouvez faire pour les gens.
