Augmenter le prix du tabac, mesure n°1 pour protéger les jeunes
Augmenter le prix du tabac, mesure n°1 pour protéger les jeunes
De l'aveu même de Lucienne Thommes, l'objectif est «très ambitieux»: arriver à moins de 5% de fumeurs au Luxembourg en 2040. «Et pour l'instant, on en est loin», enchaîne la directrice de la Fondation Cancer. Chiffres à l'appui, elle dresse un tableau peu flatteur pour le Grand-Duché: ce dernier compte 19% de fumeurs quotidiens, soit 100.000 habitants; surtout, cette proportion atteint 37% chez les 18-34 ans.
La stratégie déployée par la Fondation Cancer, présentée ce mercredi 8 mars, vise donc en premier lieu les jeunes, et même les très jeunes. «Nous voulons permettre aux enfants et adolescents d'aujourd'hui de grandir dans un environnement sans fumée, sans tabac, afin qu'ils deviennent la première génération sans tabac en 2040.» Radical mais faisable, selon Lucienne Thommes, pour qui il est «nécessaire de tirer le signal d'alarme.» Pour mettre en œuvre cette stratégie et atteindre l'objectif fixé, la Fondation Cancer présente donc six mesures.
Mettre le paquet sur les prix
La principale consiste à toucher au porte-monnaie des fumeurs ou potentiels fumeurs, en augmentant le prix du tabac et des produits associés «significativement et annuellement». «L'Organisation mondiale de la Santé indique clairement que cette mesure-là est la plus efficace, explique Lucienne Thommes. Au Luxembourg, nous avons un sérieux problème avec cela, les prix sont dérisoires.» Par rapport aux pays voisins surtout, à la France en particulier, «où il y a une vraie politique anti-tabac».
C'est le prix qui peut empêcher les jeunes de fumer et convaincre les fumeurs d'arrêter.
Lucienne Thommes, directrice de la Fondation Cancer
Mais toucher au prix du tabac est sensible politiquement. En 2022, sa vente a rapporté un peu plus d'un milliard d'euros à l'Etat luxembourgeois, soit 5% des recettes budgétaires. «Ce n’est pas un secret que les accises constituent des revenus importants, c'est une réalité historique», déclarait la ministre des Finances Yuriko Backes en novembre devant la Chambre des députés. «Nous l'avons rencontrée à ce sujet. Elle est très sensible à la prévention mais nous dit aussi qu'il faut avoir les moyens de faire cela», rapporte Lucienne Thommes.
La directrice de la Fondation Cancer n'évoque pas des prix identiques à ceux pratiqués en France - deux fois plus élevés qu'au Luxembourg - «mais une augmentation montrerait que l'on va dans la bonne direction. La direction de la Santé bataille également pour cela», ajoute-t-elle, regrettant que l'on ne connaisse pas, au Luxembourg, la balance entre ce que le tabac rapporte avec les accises et ce qu'il coûte aux caisses maladie en termes de soins liés au tabagisme. En France, c'est ce calcul, effectué par la Cour des comptes, qui a véritablement déclenché la politique anti-tabac.
Faire disparaître les distributeurs automatiques de cigarettes
Autres mesures proposées par la Fondation Cancer dans le cadre de sa stratégie 2040: mener des campagnes de prévention plus régulières «là où sont les jeunes et pas seulement sur les affiches des abribus». Ou encore interdire toute forme de publicité (une loi est en vigueur au Luxembourg) ou publicité détournée: «La première chose que l'on voit dans une station-service ou un supermarché et à laquelle sont exposés les jeunes, c'est un mur de cigarettes. Et sur les réseaux sociaux, l'industrie du tabac met un fric fou pour les attirer», détaille Lucienne Thommes.
Selon notre enquête, huit résidents sur dix sont favorables à la disparition des distributeurs automatiques.
Lucienne Thommes, directrice de la Fondation Cancer
Elle milite aussi pour une réduction de la disponibilité des cigarettes. «Qui peut me citer un produit disponible sept jour sur sept, 24h/24? La cigarette semble être un produit essentiel pour survivre», ironise-t-elle. Il existerait, au minimum, 1.100 points de vente de tabac au Luxembourg. «Nous souhaitons tout d'abord que les distributeurs automatiques de paquets disparaissent. Selon notre enquête, huit résidents sur dix sont favorables à cela.» Le paquet neutre puis «l'invisibilisation» des cigarettes, c'est-à-dire qu'elles ne soient plus présentées sur des étals pour être vendues, s'inscrivent également dans cette démarche de réduction de la disponibilité. «Nous voulons y aller progressivement.»
Un impact social, économique et environnemental
La protection de la population contre le tabagisme passif fait aussi partie des mesures annoncées. «Après l'interdiction de fumer dans les bars et les restaurants, continuons dans les voitures, et pas seulement en présence d'un enfant de moins de 12 ans mais dès qu'il y a deux personnes à bord», lance Lucienne Thommes.
Enfin, le dernier axe de la Fondation Cancer concerne l'accompagnement des fumeurs qui souhaitent rompre avec le tabac. «Il faut une prise en charge totale, un remboursement à 100% par les caisses maladie.»
Lucienne Thommes l'assure: ces mesures déclamées par la Fondation Cancer, si elles sont effectivement appliquées, se traduiront par des résultats concrets: une baisse de la mortalité et une meilleure santé des habitants; des dépenses de santé moins élevées pour l'Etat. La directrice évoque aussi un impact environnemental, sujet qui touche beaucoup les jeunes: «Rien qu'un mégot jeté dans la nature met 15 ans pour être détruit.»
Un réseau de partenaires dans tout le pays
Pour mener ce combat et arriver à cette génération sans tabac en 2040, la Fondation Cancer n'est pas seule. Elle agrège, autour d'elle, 36 partenaires, des milieux de la santé, sportif ou encore associatif. Chacun fera la promotion de cette stratégie. «Il est très important de mettre tous les moyens pour empêcher les gens de fumer. 10% des AVC sont en principe évitables, et le tabac est évidemment un facteur de risque», souligne ainsi Chantal Keller, présidente de l'ASBL Blëtz, partie prenante du projet.
La Fondation Cancer compte aussi sensibiliser les communes à la problématique et à sa stratégie, en décernant un label «commune anti-tabac». C'est donc un programme à l'échelle du pays et intégrant tous ces acteurs que la Fondation Cancer souhaite mettre en application. «C'est une promesse importante à faire à nos enfants», conclut Lucienne Thommes.
Plus d'infos sur le site de Génération sans tabac.
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.
