Au Camping Cascade de Mullerthal, «c'est mon gagne-pain qui est parti»
Au Camping Cascade de Mullerthal, «c'est mon gagne-pain qui est parti»
Par Jean Vayssières
Le Camping Cascade, à deux kilomètres au sud-ouest de Waldbillig, étend ses sentiers idylliques sous les longs arbres de la Petite Suisse du Luxembourg. Enceint de deux cours d'eau, le ruisseau de Waldbillig et l'Ernz, il est parcouru par de nombreux canaux, qui clapotent sous les piquets des tentes.
Voilà justement ce qui a causé tant de désastres, le vendredi 1er juin, lorsque d'épouvantables orages ont éclaté dans le ciel du Grand-Duché: les deux rivières, gonflées par la pluie, ont quitté leur lit pour se rencontrer au milieu du camping, emportant tout sur leur passage.
Aujourd'hui, les torrents sont redevenus ruisseaux et ont regagné leur cours habituel, abandonnant derrière eux branchages, boue et rochers, mais également des voitures et du mobilier, dessinant un paysage absurde.
«À ce moment, on s'est dit que le ciel nous tombait sur la tête»
Au bout de la Rue des Moulins, à l'endroit où le village se mue en forêt, un riverain prévient les randonneurs que «l'on ne peut pas se promener là». Plus loin encore, Susana Spaus, propriétaire du camping, nettoie son palier au karcher en compagnie de son mari Stefan. Le 5 août dernier, ils ont fêté les 60 ans du site, qui passe de mains en mains depuis trois générations.
«Ça a commencé vers deux heures du matin», raconte-t-elle. «L'eau venait frapper contre la porte et a inondé tout l'avant de la maison. Heureusement, les pièces les plus fragiles, comme la cuisine, sont à l'arrière. À certains endroits, on avait un mètre d'eau, voire un mètre cinquante».
Ce matin-là, entre minuit et six heures du matin, des pluies torrentielles s'abattent sur la région, saturant les sols et abreuvant les rivières. «C'est descendu depuis Wallerbillig. De l'autre côté, l'Ernz est sortie aussi, et les deux se sont rejointes en emportant huit de nos caravanes. Mon mari est parti chercher sa machine pour tenter de les déplacer. À ce moment, on s'est dit que le ciel nous tombait sur la tête».
Armé de son nettoyeur à haute pression, Stefan Spaus poursuit son labeur, et sa compagne son récit. «Ici, ce matin, il y avait encore de la terre et des cailloux devant la porte. On nettoie notamment à cause des odeurs». Là où sable et terre s'amoncellent, des effluves de vase se perdent dans l'air.
Voitures emportées, ponts détruits, caravanes emportées et maisons inondées
La propriétaire du camping pointe du doigt une prise murale. «Ça, c'était la place de ma voiture électrique. On l'a retrouvée une cinquantaine de mètres plus loin. Ma voiture aussi a été emportée». Pendant ce temps, deux touristes slaloment entre les sentiers encore boueux et s'apprêtent à quitter les lieux.
«Ces gens, ils sont venus avec leur voiture. Aujourd'hui, ils repartent en voiture de location». Leur ancien véhicule a perdu de sa blancheur originelle. Sa carrosserie, défoncée, témoigne de la violence dont les eaux sont capables.
Partout où l'on porte le regard, des stigmates rendent compte du désastre. Le bord du chemin est jonché de tas de branches et de sacs poubelle. Au milieu des berges sablonneuses, rendues nues par le cours de l'eau, des arbres gisent dans le courant.
Une fissure béante parcourt le pont en béton qui chevauchait le ruisseau, au milieu du camping. Un ponton de bois, arraché à un sentier de randonnée à 400 mètres en amont, gît au bord de l'eau.
Depuis vendredi, bénévoles et militaires se relaient pour aider à tout remettre en ordre, mais la tâche est herculéenne. D'autant plus que les dégâts rendent le secteur difficile d'accès: avant qu'une machine puisse venir déplacer les caravanes, il va falloir déblayer gravats et terre.
«La saison est finie pour nous»
«On n'arrive pas à chiffrer les dégâts, c'est trop tôt. On devait travailler jusqu'au premier novembre mais maintenant, la saison est finie pour nous», soupire Susana Spaus. «C'est mon gagne-pain qui est parti».
Vendredi, alors que le niveau de l'eau était encore anormalement haut, le gouvernement a annoncé le déblocage d'une enveloppe de 30 millions d'euros pour venir en aide aux sinistrés. Mais face à l'ampleur des dégâts, la somme semble insuffisante pour la propriétaire.
«On va remplir le formulaire proposé sur le site du ministère de la Famille, pour espérer toucher un peu de cette somme. Mais ces 30 millions, ils sont pour tout le monde: les autres particuliers, les administrations, les ponts et chaussées... et réparer des routes, ça coûte très très cher».
Pour l'heure, c'est l'huile de coude qui prime au Camping Cascade. À la main, à la fourche ou au tractopelle, partout on s'affaire pour rendre à cette petite île son soin d'antan.
Entre cailloux et branchages, les pieds dans la boue, Susana et Stefan Spaus alternent entre balai, karcher et téléphone. Ils s'attellent à leur besogne patiemment, en espérant que les rénovations leur permettront de tenir la saison suivante.
Suivez-nous sur Facebook, Twitter et abonnez-vous à notre newsletter de 17h.
