Antonio: "C'est comme si on me déracinait une deuxième fois"
Antonio: "C'est comme si on me déracinait une deuxième fois"
Par Christelle Raineri - @ChristL_Raineri
Hier, les Luxembourgeois ont refusé, à une écrasante majorité, le droit de vote à leurs concitoyens de nationalité étrangère. Un "non" ferme et massif qui fait mal: Antonio Da Silva, nous confie combien il se sent aujourd'hui "rejeté" par ce pays qu'il aime tant.
Il a 48 ans et vit à Weiler-la-Tour avec sa femme et ses deux filles. Il travaille chez Luxair où il occupe un poste d'acheteur en pièces aéronautiques.
Petit garçon, il fait une croix sur ses rêves
Il n'a que 10 ans lorsqu'il quitte son Portugal natal en cette fin d'été 1978 aux côtés de ses parents. Arrivé au Luxembourg et placé dans une "classe d'accueil", le petit garçon comprend vite qu'il va devoir abandonner son rêve de devenir architecte pour quelque chose de plus "réaliste": mécanicien peut-être, ou alors les chantiers avec son père.
Il a construit sa vie ici, pierre après pierre, et à force d'un travail acharné, qui lui a d'ailleurs valu la médaille d'argent de l'ordre de la Couronne de Chêne.
Alors hier, face aux résultats du référendum, Antonio a pleuré. Il s'attendait à ce que le "non" au droit de vote des étrangers l'emporte. Mais il n'avait pas envisagé un tel raz-de-marée.
Aujourd'hui, il a encore du mal à en parler. C'est la voix tremblante qu'il nous explique pourquoi ce vote l'a atteint en plein cœur.
"Je suis et resterai un citoyen de seconde zone"
"Je me sens comme... remis à ma place. Je ne me suis jamais senti autant étranger. C'est dur. Je ne sais pas comment ça va se passer maintenant, comment on va se regarder? Dimanche, j'ai passé la journée à un barbecue avec uniquement des Luxembourgeois. Ça va forcément changer des choses."
"Je savais que les résultats s'orientaient vers le "non" mais ce qui m'a choqué, c'est que ce soit tellement massif: j'étais abasourdi, les larmes aux yeux. J'ai l'impression que mes efforts d'intégration toutes ces années n'ont servi à rien, que je suis et resterai un citoyen de seconde zone."
Dès hier, Antonio a ressenti le besoin de partager sa tristesse sur les réseaux sociaux. Il a publié un texte très émouvant sur Facebook dans lequel il se confie sur sa vie au Luxembourg, et a aussi tweeté dans la soirée:
"Bon pour travailler et ça s'arrête là"
"On m'a bien fait comprendre que je ne suis qu'une paire de bras, bon pour travailler et ça s'arrête là. Je me croyais pourtant intégré."
"Au final, on n'est pas ce pays où l'intégration des étrangers est idéale: le vernis a craqué. Cette belle image d'un Luxembourg uni s'est envolée. On aurait pu être fiers, être un pays pionnier en Europe, comme par le passé. Je suis si déçu. C'est comme si on me déracinait une deuxième fois, comme si on m'enlevait le peu que j'ai."
"La nationalité? Pour moi, ça n'était pas ça l'important"
"Ma femme et mes filles ont la double-nationalité mais pour moi, ça n'était pas ça l'important. Je me disais, on est en Europe, quel différence cela fait d'avoir un passeport portugais ou luxembourgeois? Aujourd'hui, je me rends compte que ça a beaucoup d'importance."
"Trop d'amalgames et de fausses informations"
Face aux 78% d'électeurs qui ont dit "non" au vote des étrangers, Antonio reste persuadé que le manque d'information durant la campagne est en grande partie en cause.
"Je ne suis pas certain que les gens aient bien compris les conditions à remplir pour accéder au droit de vote en tant qu'étranger. Pour moi, la campagne n'a pas joué son rôle d'information au public correctement. Il y a eu beaucoup trop d'amalgames et de fausses informations: en parlant avec des amis ou des collègues, j'ai entendu certains soutenir que les travailleurs frontaliers allaient pouvoir voter après ça..."
"Quant à l'argument disant que ceux qui souhaitent voter n'ont qu'à prendre la nationalité luxembourgeoise: cela me blesse. Je ne veux pas demander la nationalité pour pouvoir voter, mais parce que j'aime ce pays."
"C'est ici mon pays"
"Depuis hier, je suis passé par différents états. Au début, je me suis dit: s'ils ne veulent pas de moi, très bien, pourquoi je prendrais la nationalité luxembourgeoise? Finalement, j'ai changé d'avis, je suis encore plus motivé désormais: pas pour la double-nationalité, mais bien pour demander ma naturalisation. Je veux abandonner ma nationalité portugaise. C'est ici mon pays."
Antonio est aujourd'hui décidé à entamer les démarches pour se faire naturaliser. Il était déjà Luxembourgeois dans son cœur depuis bien longtemps, il le sera bientôt officiellement pour l'état civil.
