A31 bis: "Un projet déjà obsolète, daté, dépassé"
A31 bis: "Un projet déjà obsolète, daté, dépassé"
Le comité d'accueil laissait déjà pressentir la tournure des événements: plus d'une soixantaine de Florangeois, banderoles et panneaux en main, t-shirt personnalisé et prospectus, ont pris la pose fièrement devant le tout nouveau centre des Congrès messin. "Plus nombreux nous sommes, plus de poids nous aurons", scandent-ils en cœur devant les photographes.
Quelques minutes plus tard, ils envahissent la salle et s'installent aux côtés de 200 autres personnes venues assister aux festivités. L'ambiance est déjà un peu électrique, même si la bonne humeur prédomine. On sent très vite que le débat qui va se dérouler ce soir a son importance.
Face à eux, la brochette des responsables politiques et en charge du projet de l'A31 bis: plusieurs préfets des départements concernés et des membres de la DREAL. Les sourires sont crispés, ils savent ce qui les attend.
Un "garant" des concertations, nommé spécialement pour ces quatre prochains mois est là pour assurer des échanges cordiaux et constructifs entre chaque partie. Son rôle est d'ailleurs important: c'est lui qui rendra son rapport final en 2019 au gouvernement français qui prendra alors une décision définitive, notamment sur le tracé de la zone.
I. Le constat
Que serait un débat sans une petite mise au point des différents enjeux? Ils ont longuement été évoqués mardi soir - peut-être même un peu trop? - et ont rappelé de précédents débats publics ayant eu lieu trois ans auparavant. Rien de nouveau en somme.
C'est simple: l'A31 est un axe principal du sillon mosellan, qui sert de corridor pour les déplacements de part et d'autre en Europe, et la proximité avec l’influenceur colossal qu'est le Luxembourg n'aide pas à la diminution du trafic.
Mieux encore, quelques chiffres, pour appuyer les propos: 80.000 véhicules sillonnent cette route chaque jour dont 10.000 poids lourds et on comptabilise +28% de trafic ces 15 dernières années. Vous l'aurez compris, et certains d'entre vous, vécu au cours des dernières années, l'A31 est complètement saturée et est arrivée à ses limites, surtout dans la partie nord vers le Grand-Duché.
II. Les variantes du projet, pour la partie nord Thionville-Luxembourg
Passé ce constat, il faut donc bien agir. Mais cette question épineuse de l'agrandissement de l'autoroute n'est pas nouvelle; cela fait déjà plusieurs décennies qu'elle est évoquée et débattue par les différents politiques lorrains. Alors qu'est-ce qui change ici?
Il s'avère qu'après de premiers débats publics réalisés en 2015 - que nous avions suivis, notamment à Thionville -, l'Etat français a tranché, en février 2016 et décidé que cette A31 bis verrait bien le jour. Ce chantier fait même partie des "projets prioritaires" pour le gouvernement français.
Plusieurs variantes sont donc soumises pour ces quatre prochains mois à la population locale, pour l'informer des possibilités mais aussi recueillir des avis, des protestations, d'autres idées constructives.
Les quatre variantes proposées - il y en avait 10 au départ! - sont les suivantes:
- La variante F3, en vert sur les cartes ci-dessous, qui ne desservira pas directement les vallées de l'Orne et de la Fensch et qui prévoit un péage aux alentours de 3,50 euros.
- La variante F3 bis, en brun ci-dessous, qui générera des nuisances pour les riverains, notamment au niveau de Uckange et impliquera un allongement des travaux de 5 à 10 ans. Coût du péage ici: 3,50 euros en moyenne aussi.
- La variante F4, en jaune ci-dessous, qui déchargera la traversée de Thionville mais coupera complètement la ville de Florange en deux. Coût du péage: environ 2 euros. Cette possibilité est vivement critiquée par de nombreux élus lorrains dont le maire de Florange lui-même, qui a pris la parole mardi soir, n'hésitant pas à mentionner que sa ville "sera prête à tout pour éviter la saignée".
- La variante F10, en rose ci-dessous, qui déchargera grandement la traversée de Thionville sans assurer de dessertes de la vallée de l'Orne et de la Fensch mais avec une incidence limitée sur le milieu naturel et humain. Coût du péage: 1,50 euro environ. Cette possibilité-ci a été accueillie par quelques applaudissements dans la salle. Il faut dire que c'est la solution la moins chère proposée par la DREAL.
III. Le Luxembourg et les usagers devraient mettre la main au porte-monnaie
Voilà donc les quatre options qui s'offrent aux Lorrains pour décongestionner l'A31. Coût total du financement, en comptant les aménagements dans le centre et le sud du corridor: entre 1,4 et 1,9 milliard d'euros. C'est bien la partie nord qui coûtera le plus cher. Entre la mise à 2x3 voies de l'A31 existante et la création d'une toute nouvelle autoroute, c'est une enveloppe qui avoisine les 600 à 800 millions d'euros.
Avec 400 millions d'euros déboursés par l'Etat français pour l'entièreté du projet, il reste donc tout de même une certaine somme à débourser. Et c'est là que le péage fait son apparition. Rien que pour la partie nord, on estime entre 580 et 620 millions de financement grâce au péage "free flow".
Si cette annonce a bien évidemment été accueillie par des huées dans la salle, suivies de "on n'a pas tous les moyens de payer de telles sommes chaque jour!", très vite, les esprits se sont tournés vers le Luxembourg. Dominique Gros, maire de Metz, a ainsi récolté une salve d'applaudissements après avoir exigé que le "Luxembourg participe financièrement à ce projet".
"Je ne vois pas d'avenir dans ce projet sans des études transfrontalières. Le Luxembourg est la plaque tournante de cette région et nous devons discuter avec eux, c'est obligatoire! Les impôts des frontaliers vont au Luxembourg, nous leur fournissons la main-d'oeuvre, tout! On se fait avoir, sans rien demander en échange", tempête-t-il avant de quitter la salle rapidement.
Une question du financement luxembourgeois qui a déjà été abordée à de nombreuses reprises ces dernières années. Et qui s'est vu refusée catégoriquement par le Luxembourg - qui a accepté de financer à hauteur de 120 millions d'euros, côté français, l'amélioration des conditions de transport des frontaliers, notamment sur le rail - qui estime investir déjà suffisamment d'argent pour la mobilité transfrontalière.
IV. L'environnement au cœur des préoccupations: la multi-modalité comme solution phare
Outre la question du financement et du péage, ce sont surtout celles relatives à la santé, la pollution et l'environnement qui ont été plébiscitées par le public ce mardi soir. Un effet du rapport du Giec, publié début octobre? Il semble en effet que l'héritage laissé pour les générations futures préoccupe grandement nos concitoyens.
Face au projet de l'A31 bis, les critiques ont donc fusé à ce sujet: "Votre vision est ici obsolète, datée, dépassée, pas dans l'air du temps"... Le public n'a pas été tendre avec les responsables présents. "Qu'en est-il de notre santé? Vous construisez simplement une nouvelle route! On n'est plus dans les années 80!", entend-on dans la salle.
Face à un projet qui ne répond pas à leurs attentes, ce sont donc les citoyens qui ont proposé leurs alternatives pour limiter l'impact sur l'environnement et faire prendre conscience aux responsables que ce sujet leur tenait particulièrement à cœur.
Proposer davantage de parkings autour des gares, mettre les moyens dans les TER, favoriser le transport fluvial pour les marchandises, avoir une vraie réflexion multi-modale sur le sujet... "Pensez à l'avenir, pensez à nos enfants, notre santé! Incluez dans vos plans les études environnementales pour proposer de vraies alternatives à cette autoroute! Prenez le problème dans l'autre sens", clame, micro à la main, un Lorrain présent au centre des Congrès, sous les applaudissements.
Avec un début des travaux estimés - pour la partie nord Thionville/Luxembourg toujours - entre 2023 et 2027 et des consultations publiques encore nombreuses dans les prochains mois, ce projet de l'A31 bis promet encore de longs débats.
Mais les prévisions mises en avant ce mardi soir posent un problème: la région - et le Luxembourg - n'ont pas su voir l'augmentation conséquente du nombre de frontaliers ces 30 dernières années; avec déjà 30 ans de retard dans la prise en charge des infrastructures et un nombre toujours plus croissant de travailleurs transfrontaliers, n'est-ce pas là essayer de combler un manque, en vain?
Pour plus d'informations sur le sujet et les prochaines consultations publiques, rendez-vous sur le site a31bis.fr
