Voter après le massacre de Boutcha
Voter après le massacre de Boutcha
Par Gaston Carré
Le taux d'abstention. C'est l'autre question, décisive, à quelques jours du premier tour de la présidentielle. Il est à craindre que ce taux, élevé depuis longtemps, et qui de longue date atteste ce qu'on a nommé une «fatigue démocratique», ne soit plus élevé encore ce dimanche.
La France comme le monde a vécu – vit encore – le Covid et l'insidieuse léthargie en quoi il nous plonge. Certes nous tâchons ces jours-ci de renouer avec une forme de normalité, mais la pandémie a fait son travail de sape, d'érosion de la sensibilité, de l'intérêt, de l'attention au bien commun, de sorte que des enjeux qui semblaient cruciaux il y a trois ans encore ont perdu de leur acuité.
Selon un sondage publié mardi, 66 % des Français seulement comptent se rendre aux urnes.
Et voilà qu'au moment même où la léthargie pouvait se dissiper un peu, où l'on croyait respirer mieux, nous sommes confrontés à cette guerre en Ukraine qui à son tour nous étrangle, et voilà que ces enjeux qui avaient perdu de leur acuité peuvent paraître dérisoires. Le pouvoir d'achat? Trop de Français sont trop démunis pour l'oublier, Marine Le Pen d'ailleurs l'a compris, qui depuis des semaines fait florès en recentrant sa campagne sur cette problématique-là. Mais la réforme des institutions? L'Ecole, la Justice? Comment se passionner pour ces chantiers quand en Ukraine se découvrent des charniers?
Pour Emmanuel Macron, le «retour du tragique» pèse de tout son poids. Depuis le week-end dernier et la découverte de l'horreur à Boutcha. Macron aux premiers jours du drame fut le président qui parlait à l'oreille de Poutine – on n'était pas loin de croire que s'il restait un homme en ce monde qui pourrait l'infléchir, ce serait lui, Macron. Mais la guerre se poursuit, et vient de révéler son visage. Ce visage, on l'avait redouté, on l'avait deviné, mais on ne l'avait pas vu encore, pas vraiment. C'est fait désormais: on l'a vu à Boutcha, dans son indicible vérité, et Macron a parlé à l'oreille d'un «boucher». Comment voter quand on a vu Boutcha? A quels changements prétendre, quand les nations même subissent la loi du plus fort?
Certes, la barbarie en Ukraine n'empêche pas la réforme des retraites en France. Mais voilà: le temps est lourd, les esprits sont empoissés. Selon un sondage publié mardi, 66% des Français seulement comptent se rendre aux urnes. Moins qu'en 2017 (77,7 % de participation), moins même qu'en 2002, année record, quand 71,6 % seulement des Français s'étaient déplacés.
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