Une dent pour rapprocher la Belgique du Congo
Une dent pour rapprocher la Belgique du Congo
De notre correspondant MAX HELLEFF (Bruxelles) - Le 29 juin prochain, veille de l'anniversaire de l'indépendance de la République démocratique du Congo (RDC), la dépouille de l'ex-Premier ministre congolais assassiné, Patrice Lumumba, sera inhumée à Kinshasa.
En fait de dépouille, il s'agit d'une dent. Le corps de Patrice Lumumba a été dissous dans l'acide après son assassinat, survenu le 17 janvier 1961, près d'Elisabethville (aujourd'hui Lubumbashi), au Katanga. Cette dent fut saisie en 2016 par la justice auprès d'un ancien policier belge qui l'avait arrachée à la dépouille du Premier ministre. En 2020, un tribunal a décidé que la Belgique devait la restituer à la RDC.
La restitution d'une telle «relique» a une portée symbolique évidente. Elle montre la volonté de la Belgique et de son ex-colonie d'apaiser leurs relations, 61 ans après les faits qui ont conduit à l'exécution de Patrice Lumumba.
Des relations tourmentées
En 2002, une commission d'enquête a conclu que l'exécution de Lumumba - jugé trop progressiste et trop proche de l'Union soviétique - avait été décidée par le président katangais Moïse Tshombé, mais que quatre représentants belges y avaient également participé. La même commission d'enquête devait relever la forte implication anti-Lumumba du gouvernement belge de l'époque, lequel finit par soutenir la sécession katangaise et son fer de lance Moïse Tshombé. Baudouin Ier, l'oncle de l'actuel roi Philippe, intervint personnellement pour s'opposer à la libération de Lumumba.
Rappelons ici que la sécession katangaise est survenue moins de deux semaines suivant l'accession du Congo à l'indépendance (30 juin 1960), sous l'impulsion de milieux pro-occidentaux opposés à la fin de la colonisation. Moïse Tshombé en fut le seul président. En 1964, le Katanga fut rattaché de force au Congo, sous la surveillance de l'ONU.
Ce rappel historique montre à quel point l'assassinat de Patrice Lumumba reste une pierre angulaire dans l'histoire des relations tourmentées entre la Belgique et son ex-colonie. L'indépendance du Congo fut difficile à digérer par certains milieux politiques et financiers belges, mais aussi par une partie de la population restée attachée à un mythe passéiste.
La plupart des anciens colons sont aujourd'hui morts et le moment paraît propice pour tenter une fois encore de resserrer les liens entre Kinshasa et Bruxelles. Pour le cabinet du Premier ministre Alexander De Croo, la restitution des restes de Patrice Lumumba est vue «positivement comme un nouveau moment charnière dans l'histoire des relations diplomatiques entre la Belgique et la RDC».
À Bruxelles, la diaspora congolaise rendra un dernier hommage au Premier ministre assassiné avant que ses restes ne quittent le sol belge. À Kinshasa, une cérémonie suivra leur réception.
Un souvenir explosif
Seule ombre au tableau: à l'origine, il était question que la restitution des restes de Patrice Lumumba ait lieu en même temps que la visite royale effectuée en RDC par Philippe et Mathilde. Maintes fois reportée en raison de la crise sanitaire, elle aura lieu du 7 au 13 juin. Mais elle sera finalement dissociée du dossier Lumumba, le souvenir de ces événements restant douloureux – et potentiellement explosif- de part et d'autre.
Le 30 juin 1960, lors des cérémonies d'indépendance, Patrice Lumumba avait prononcé en présence du roi Baudouin un discours mettant en cause les «bienfaits» de la colonisation. Le roi des Belges ne devait jamais oublier.
En juin 2020, son neveu le roi Philippe a au contraire exprimé ses «plus profonds regrets» pour les «actes de violence» et les «souffrances» infligés à l'ex-colonie dans une lettre adressée au président de la RDC Félix Tshisekedi.
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